Traité des six Jours de la Création

Thierry de Chartres

Originaire de la Bretagne, Thierry arrive à la cathédrale de Chartres avec son frère Bernard. Selon tout ce qu’écrit Abélard ( Historia calamitatum , 10), Thierry était déjà magister scholarum au moment du Concile de Soisson (1121). Il est probable qu’il résidât à Paris entre 1124 et 1141, où il eut pour élève Aldebert de Mayence, Herman de Carinthie et Jean de Salisbury. En 1148, il prit part au Concile de Reims, et en 1149 à la Diète de Francfort. De l’oraison funèbre publiée par Vernet, il s’avère que Thierry se retira dans un monastère. La date de sa mort est postérieure à 1156, étant donné qu’Alexandre de Neckam (1157-1217) la rappelle parmi les plus grands logiciens de son temps.

Les oeuvres principales de Thierry sont les trois commentaires du De Trinitate de Boèce (1) , dans lesquels il élabore une doctrine métaphysique et gnoséologique bien à lui qui suscite l’admiration de ses contemporains Clarembalde d’Arras, Herman de Carinthie, Bernard Sylvestre et, plus tardivement, Nicolas de Cuses, lequel, dans son Apologia doctae ignorantia définit Thierry comme : « le plus lucide des commentateurs de Boèce qu’il ait lus ».

Aux commentaires de Boèce doivent être ajoutés le Traité sur l’oeuvre des six jours et le Commentaire au « De Inventione » de Cicéron : le premier est l’ouvrage qui fit connaître de Thierry son interprétation de la Création « selon la physique » et sa théologie rationnelle. Du second, après des éditions partielles, on attend l’édition complète, promise par Karin Margarita Fredborg, dans les « Cahiers de l’Institut du Moyen Age grec et latin » de Copenhague.

J’accepte l’attribution des oeuvres établie par Häring et aussi la période de leur rédaction (ou également remaniées), postérieure à 1148 ; toutefois, à la différence de Häring, j’estime que le Tractatus appartient à ces mêmes années, au lieu d’être antérieur à 1140 (2) .

La traduction italienne des textes de Thierry a été menée sur le texte établi par N.M. Häring, Commentaries on Boethius by Thierry of Chartres and his School (Pont. Inst. of Mediaeval Studies, Toronto 1971).

(1) Häring attribue aussi à Thierry le commentaire des textes boétiens De Hebdomadibus et Contra Eutychen Les texte des opuscules de Boèce est édité dans cette même collection [ I Classici del pensiero ] aux soins de L. Obertello (Boezio, La consolazione della filosofia e gli Opuscoli teologici , Rusconi, Milan 1979).

(2) Cfr. mon Rerum Universitas ..., c. IV).

La traduction française (par Daniel Kmiecik) est réalisée à partir de l’ouvrage général de Enzo Maccagnolo : Le divin et le méga-Cosmos » (édité aux soins de) Rusconi, Milan 1980.


[Intention de l’oeuvre - Promesse d’une explication selon la physique - Les causes qui ont donné existence au monde et l’ordre des temps - l’oeuvre des six jours]

1. [555] Moi, en m’apprêtant à expliquer (1) selon la « physique » et selon l’ordre d’exposition la première partie de la Genèse, qui concerne les sept jours et la distinction des six oeuvres, je dirai avant tout quelque chose au sujet de l’intention de l’auteur et au sujet de l’utilité du livre. Je passerai ensuite à l’explication du sens littéral (2), en négligeant cependant l’interprétation allégorique et morale qui a déjà été donnée avec clarté par les saints interprètes (3).

Moïse, par cet écrit, a entendu montrer que la création des choses singulières et la génération de l’homme ont été faites par le seul et unique Dieu, auquel on doit seulement adoration et révérence. Et l’utilité de ce livre consiste à réaliser à partir des choses créées la connaissance de Dieu, auquel est réservée l’adoration religieuse.

Le titre de l’ouvrage est  : « Commence la Genèse », c’est-à-dire le livre qui traite de la génération des choses ou de la création, ainsi appelé pour la partie initiale, de la même façon que l’Évangile de Matthieu est appelé Livre de la génération de Jésus-Christ pour sa première partie.

2. « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre », etc.. Moïse expose rationnellement les causes à partir desquelles le monde a pris existence et l’ordre des temps, dans lequel le monde a été fondé et que se sont formés les êtres qui le décorent. Par conséquent, nous parlerons des causes et ensuite de l’ordre des temps.

Les causes, donc, de la réalité du monde sont quatre : cause efficace, à savoir, Dieu ; cause formelle, à savoir, la sagesse de Dieu ; cause finale, à savoir, sa bonté ; cause matérielle, à savoir, les quatre éléments.

Puisque les choses qui composent le monde sont changeantes et caduques, il est de fait nécessaire qu’elles aient un auteur. Et puisqu’elles sont disposées selon un très bel ordre, il est nécessaire qu’elles aient été créées selon la sagesse. Puisqu’en outre le créateur, si l’on en comprend bien la nature, n’a besoin de rien, mais est en Lui-même bien suprême et autosuffisance, il est nécessaire qu’il crée tout ce qu’il crée [556] seulement par bonté et par amour, de sorte qu’il fait participer à sa béatitude, selon le moyen de son amour.

Et puisque tout arrangement est imposé à ce qui n’est pas ordonné, il fut nécessaire que précédât quelque chose de non-ordonné pour qu’il lui fût imposé un ordre, selon la sagesse, et, ainsi, en mettant en ordre ce qui était sans ordre, la sagesse du créateur se rendît visible aussi à celui qui a peu de connaissances.

Si donc l’homme approfondit sa considération de la structure du monde, il verra que Dieu en est la cause efficace, que sa sagesse en est la cause formelle, que sa volonté en est la cause finale et que la cause matérielle sont les quatre éléments que Dieu lui-même « a créés » à partir de rien « au commencement ».

3. Moïse, dans son livre, donne à connaître avec beaucoup de clarté cette distinction des causes. Quand il dit exactement, « au commencement Dieu a créé le ciel et la terre », il indique la cause efficace, c’est-à-dire Dieu. Mais il indique aussi la cause matérielle, à savoir les quatre éléments qu’il appelle du nom de « ciel » et de celui de « terre ». Et par les mots « au commencement, Dieu a créé le ciel et la terre », il fait voir en même temps que ces éléments ont été créés par Dieu. Et partout où il dit « Dieu dit », etc., il dénote la cause formelle qui est la sagesse de Dieu, puisque le dire du créateur lui-même n’est autre que la prédisposition dans sa sagesse co-éternelle de la forme qui va être. Et à chaque fois qu’il écrit « Dieu vit que cela était bon », etc., il dénote la cause finale qui est la bonté même du créateur ; en effet avec le mot « voir », on désigne la prédilection et la bonté comme dans le proverbe « où il y a de l’amour, là il y a l’oeil ». En effet le « voir » de la part du créateur, qu’une réalité bonne a été créée, n’est autre que sa satisfaction à l’égard de ce qu’il a créé, dans la bonté même selon laquelle il a créé. La Trinité suprême, par conséquent, à l’égard de la matière, et à savoir des quatre éléments, est active : en créant, parce qu’elle est cause efficace : en donnant à la matière créée forme et arrangement, parce qu’elle est cause formelle : en aimant et en gouvernant la matière modelée et ordonnée, parce qu’elle est cause finale. En effet, le Père est cause efficace, le Fils est cause formelle, l’Esprit saint est cause finale, et les quatre éléments cause matérielle : [557] de ses quatre causes, la totalité de la réalité corporelle tient son existence.

4. Passons, à présent, à parler de l’ordre des temps. Et en premier lieu, nous devons définir le jour naturel. Le jour naturel est l’espace dans lequel la ciel accomplit une rotation complète d’un lever à l’autre du Soleil. Se dit « jour » aussi l’illumination de l’air qui se fait dans le ciel même, nettement distincte des ténèbres qui se disent « nuit ». Ce texte scripturaire utilise le même terme « jour » dans toutes les deux acceptions.

Se pose en outre le problème de la façon dont peuvent concorder les deux passages des écrivains sacrés, à savoir celui selon lequel « celui qui vit dans l’éternité a créé toutes les choses en une fois », et celui selon lequel « en six jours, le Seigneur a fait le ciel et la terre » (4). Il faut se rendre compte en vérité que le premier texte se réfère à la matière primordiale, alors que le second se réfère à la distinction des formes, dont nous devrons traiter ensuite selon la physique.

5. « Au commencement », donc, « Dieu a créé le ciel et la terre », revient à dire qu’au premier instant des temps, « il a créé » la matière. Le ciel, une fois créé, puisqu’il est d’une légèreté extrême, ne peut rester immobile, et, puisqu’il contient toutes les choses, il n’aurait pas pu se mouvoir d’un point à un autre : c’est pourquoi, à partir du premier moment même de sa création, le ciel commença à tourner circulairement, de sorte que la première rotation put s’accomplir parfaitement dans un espace de temps. Et cela a été appelé le premier « jour ».

6. Mais dans cette première rotation même, l’élément du ciel qui se trouve le plus haut, à savoir le feu, a illuminé la partie la plus élevée de l’élément qui se trouve sous lui, c’est-à-dire l’air : la nature du feu céleste, en effet, est telle qu’elle illumine l’air par sa rotation, et, au moyen de l’air, elle réchauffe ce qui est aqueux et terreux.

Deux, sont en effet les puissances du feu, comme disent les philosophes (5) : l’une est la splendeur, l’autre est la chaleur. Le feu, par sa nature, en effet, produit la luminosité dans l’air et avive la chaleur en ce qui est aqueux et terreux. La chaleur est en effet une puissance du feu à séparer ce qui est solide, [558] et, si on sent la chaleur dans l’air, cela se produit en conséquence du fait que l’air est épaissi par la présence d’éléments inférieurs.

Au premier jour, donc, « Dieu a créé » la matière et la lumière, ce qui revient à dire l’illumination engendrée dans l’air au moyen de la première rotation de l’élément supérieur, à savoir le feu. Et ceci est l’oeuvre accomplie au premier jour.

7. Une fois l’air illuminé par la puissance de l’élément qui se trouve plus haut, il s’ensuivait que, par nature, le feu réchauffât, justement au moyen de l’illumination de l’air, le troisième élément, à savoir l’eau et qu’en la réchauffant ainsi il la soulevât au-dessus de l’air. La nature de la chaleur consiste en effet dans la division de l’eau en gouttes très minuscules et dans l’ascension, grâce au mouvement de celle-ci, de ces mêmes gouttes au-dessus de l’air, tel qu’on le voit dans les émanations de vapeur d’un chaudron, et comme cela est visible dans les nuages du ciel. Ceux-ci, en effet, et la vapeur, ne sont autres qu’une accumulation de minuscules gouttes d’eau soulevées dans l’air par la puissance de la chaleur. Mais si la puissance de la chaleur est trop forte, toute cette accumulation se transforme en air pur ; si, inversement, elle est trop faible, certainement ces gouttes, minuscules, en se déversant les unes dans les autres, forment des gouttes plus grosses : et donc, la pluie. Mais si ces petites gouttes gèlent sous l’action du vent, il en résulte la neige, tandis que si elles sont grosses, il en vient de la grêle.

8. La grande quantité, donc, des eaux qui tendaient à précipiter, une quantité qui, certainement au commencement, s’élevait jusqu’à la région de la Lune, est soulevée au-dessus, grâce à la chaleur, au-dessus du sommet de l’air, de sorte que soudain, dans la seconde rotation du ciel, il arriva que le second élément, à savoir l’air, se retrouva au milieu, entre l’eau qui tendait à précipiter et l’eau qui s’était élevée sous forme de vapeur. Et cela correspond à la teneur du texte sacré : « un firmament (6) qui sépare les eaux ». Et alors, l’air fut rendu idoine à être appelé « firmament », comme pour dire qu’il soutient de manière stable l’eau supérieure et circonscrit celle inférieure, en les délimitant de façon telle que l’une ne puisse passer dans l’autre. Ou, mieux encore, on dit « firmament » l’air, à cause du fait que, léger par nature sienne, il entoure et resserre la terre de toute part et la ramassant fermement sous une forme sphérique, et en lui conférant la dureté que nous lui constatons ; il existe, en effet, entre la dureté de la terre et la légèreté de l’air une réciprocité d’action, par laquelle la dureté de la terre provient du resserrement circonscrit de l’air léger, alors que la légèreté et la mobilité de l’air prennent leur nature du fait que ces qualités se repoussent et s’appuient sur la solidité de la terre.

[559] Ainsi donc, le première rotation du feu a illuminé l’air, et la durée d’une telle illumination fut le premier jour. De la même façon, la seconde rotation du même feu, au moyen de l’air, a réchauffé l’eau et a placé un firmament entre eau et eau : la durée de cette rotation fut appelée second « jour ».

9. Mais après que l’eau s’est élevée sous forme de vapeur au-dessus de l’air, la succession naturelle des événements exigeait que, l’eau qui circule étant réduite, apparût la terre, toutefois pas dans sa continuité ininterrompue, mais, pour ainsi dire, à l’instar d’îles. Et l’on peut vérifier cela au moyen de certaines expériences.

Plus la quantité de vapeur qui s’élève d’un chaudron augmente, en effet, plus diminue l’eau qui y est contenue. De la même manière si un film d’eau recouvre une table sans interruption, et si l’on superpose du feu sur cette continuité d’eau, il arrive immédiatement que s’atténue le film d’eau et que du fait de la chaleur superposée, apparaissent quelques zones sèches, parce que l’eau diminue et ne se rassemble plus qu’en certains endroits.

Ainsi donc, l’air placé entre ces deux eaux, repoussé par cette chaleur plus grande, fit la troisième rotation complète, et, en accomplissant cette rotation, il partagea les superficies de la terre en certaines îles.

10. Mais dans la même rotation — la chaleur de l’air qui est en haut se mélangeant avec l’humidité de la terre qui vient d’être laissée découverte par les eaux, — il arrivait que, par l’arrangement de ces deux facteurs, la terre accueillît en elle la puissance qui produit les herbes et les arbres : cette puissance se transmit, de manière naturelle, du ciel à la terre qui venait d’être laissée découverte par les eaux : la durée de cette troisième rotation a été appelée troisième « jour ».

Mais après que fut placé un firmament entre eau et eau, et après que, dans ce même firmament, s’engendra une chaleur si grande, de ces eaux qui se trouvaient tout autour, que par cette chaleur le firmament contractât en soi l’eau qui coulait, et ainsi apparut la terre sèche : après tout ceci, je répète, de manière naturelle, il se produisait que de cette quantité d’eau contractée dans le firmament au moyen de la chaleur du troisième jour, se formassent les corps stellaires dans le firmament même.

11. Et que les corps stellaires soient composés, quant à la matière, d’eau, cela peut être prouvé de manière certaine. Il est manifeste, en effet, que les deux éléments qui se trouvent le plus en haut — le feu et l’air — par leur nature [560] ne sont pas massiques, et peuvent être vus par leur nature, mais seulement au moyen d’un accident accessible à la vue. Et si certains inexperts affirment voir le ciel quand l’air est net, ceci est absolument faux, étant donné qu’ils s’imaginent voir l’azur. Quand, précisément, l’échappée diminue, l’erreur du sens donne l’impression de voir ce qui de fait il ne voit pas, comme quand, les yeux étant fermés, il semble voir l’obscurité : le rayon visuel, en effet, en dépit qu’il ait son origine de la lumière des yeux, est entièrement inefficace s’il n’est pas réfléchi par un obstacle d’une certaine compacité.

12. Mais, si cet air qui se trouve en bas, entre nous et la paroi ou le muret ou quelque chose de cette sorte, ne peut constituer un obstacle à la vue, de sorte qu’il puisse y avoir une sensation, à plus forte raison ne peut le constituer l’air qui se trouve en haut et qui est plus pur. C’est pour cela, justement, que l’air est appelé « ciel », parce qu’il demeure « dissimulé » à nos regards.

Il résulte de cela que tout corps visible doit avoir une certaine densité qui dérive, pour lui, de la compacité de l’eau ou de la terre : les nuages, en effet, épaissis par la vapeur des eaux, s’avèrent visibles ; et aussi les flammes qui se forment dans les nuées de l’atmosphère, ou dans quelque matériau combustible, ont leur substance des vapeurs des eaux.

Et le rayon du Soleil aussi, qui semble descendre à travers la fenêtre, ne devient visible que par la présence d’atomes de poussière qui se meuvent dans le rayon et qui resplendissent à la lumière du Soleil. Ainsi, à qui sait regarder avec précision, il apparaîtra en toutes choses que rien n’est visible sinon conséquemment à un obstacle qui s’avère constitué d’eau et de terre.

13. Tout corps, donc, qui apparaît visible au firmament du ciel doit nécessairement sa visibilité à la compacité de la terre ou de l’eau. Mais ce qui est terreux ne peut pas, au moyen de la chaleur ou de tout autre expédient, s’élever jusqu’au firmament, puisque ceci est le propre de la nature aqueuse.

Toutes les choses, donc, qui apparaissent visibles dans le ciel tirent leur principe matériel des eaux : d’un tel principe sont les nuages, les éclairs et les comètes. De manière analogue, il est donc nécessaire que les corps stellaires, quant à leur matière, s’avèrent composés d’eau. Et encore : la physique atteste que tout ce qui se nourrit, se nourrit de cela même dont [561] il se compose matériellement ; mais les physiciens disent que les corps stellaires se nourrissent d’humidité. Il semble donc possible que, quant à la matière, ils se composent d’eau.

La durée de la quatrième rotation, lors de laquelle les corps stellaires ont adopté une forme sphérique à partir des eaux suspendues, cette durée-là, dis-je, a été appelée quatrième « jour ».

14. Mais après que ce furent formées les étoiles, et puisqu’elles accomplissaient leur mouvement au firmament, par ce mouvement la chaleur augmenta, et, puisque celle-ci progressait jusqu’à atteindre la chaleur vitale, elle se répandit sur les eaux, à savoir sur l’élément qui se trouve au-dessus de la terre. Et les animaux de l’eau se formèrent, ainsi que les animaux ailés. Et la durée de cette rotation fut appelée « cinquième jour ».

Par la médiation de l’humidité, cette chaleur vitale rejoignit, par sa nature, les choses composées de terre et, de là ont été formés les animaux de la terre, et au nombre de ceux-ci l’homme fut fait « à l’image et à la ressemblance » de Dieu. Et la durée de cette sixième rotation fut appelée sixième « jour ».

15. Ainsi donc, la première rotation du ciel plus léger et plus lointain, et absolument incapable de se maintenir immobile, illumina l’air. L’air illuminé réchauffant l’eau et la soulevant au-delà d’elle, devint firmament. Celui-ci, contenant en soi la puissance de la chaleur, lui dérivant de la vapeur sus-jacente, fit apparaître la terre sèche et y inocula la puissance de la fécondité. Alors, à partir de la quantité d’eau suspendue au firmament, les étoiles se formèrent en vertu de la chaleur.

Et ainsi, à partir du mouvement et de la chaleur des étoiles commença, dans les eaux, la génération des animaux, lesquels, par la médiation des eaux s’étendirent jusqu’à la terre (7).

Et outre ces moyens de créer les choses qui sont celles du Ciel et de la Terre, il ne pouvait y en avoir aucun autre.

16. Tout cela donc, qui est né ou qui a été fait après le sixième jour, n’a pas été fondé selon un nouveau mode de création, mais a eu sa nature de l’un des modes précédents. De cette manière, donc, le « Seigneur au septième jour se reposa », à savoir qu’il renonça à de nouveaux modes de création, après avoir donné la perfection (ornatus) qui revient aux éléments singuliers et après leur avoir conféré une harmonie réciproque et parfaite.

[562] En effet, même si, par la suite, il a créé de nouvelles choses merveilleuses, nous ne disons pas toutefois que pour cela il ait eu recours à un nouveau mode de création, mais nous affirmons que Dieu a produit tout ce qu’il a créé et qu’il crée toujours selon l’un des modes susdits et au moyen de causes séminales qu’il a insérées dans les éléments durant les six jours.

17. En effet, seul le feu a une énergie propre alors que la terre est passive, et les deux éléments qui se trouvent au milieu, sont à la fois actifs et passifs. L’air, en vérité, est passif par rapport au feu et, pour ainsi dire, il administre la puissance du feu et la transmet aux autres éléments. L’eau, au contraire, est passive soit par rapport au feu, soit par rapport à l’air, et elle administre la puissance des deux éléments supérieurs et la transmet au dernier élément.

De cette façon, donc, le feu est, pour ainsi dire, artisan et cause efficace, alors que la terre, qui se trouve en bas, est comme une sorte de cause matérielle. Les deux éléments qui se trouvent au milieu forment un instrument doté d’une certaine capacité d’unifier, au moyen de laquelle l’acte de l’élément supérieur est administré à celui qui est plus bas : en effet, ces deux éléments modèrent et accommodent la légèreté excessive du feu et la pesanteur excessive de la terre par le fait de se trouver au milieu.

Ces puissances et celles que nous appelons causes séminales, Dieu, créateur de toutes choses, les a placées dans les éléments et les a proportionnées en juste mesure, de manière qu’à partir de ces puissances des éléments puisse procéder un ordre équilibré des temps et qu’aux temps opportuns, et dans leur succession ordonnées, les choses corporelles pussent être produites.

Au sujet des causes et de l’ordre des temps, il a été traité de manière suffisante et nous passons donc à l’explication du texte.

[L’interprétation de deux versets bibliques qui engendrent un problème — Origine de la consistance ( corposità , ou qualité de ce qui est corporel, ndt ) — « Agilitas » en tant que « capacité de (re)pousser » et l’action circum-resserrante des éléments légers — Le mouvement exige un point d’appui : exemples — Réciprocité entre légèreté et consistance — Indétermination et quasi uniformité des éléments — Antériorité de la matière : comment elle doit être comprise]

18. « Au commencement Dieu a créé le ciel et la terre ». Et c’est comme si l’on disait : pour première chose « il a créé le ciel et la terre ». En effet, en disant « au commencement , il a fait ces choses-là », Moïse voulut simplement indiquer qu’avant elles, Dieu n’avait rien créé et que l’on doit comprendre que Dieu a créé ces deux réalités-là. À présent, nous tenterons de montrer ce qu’il dénote par les mots de « ciel et terre », et, en suivant la méthode des physiciens, de quelle façon le ciel et la terre ont été créés ensemble.

Eh bien ! La raison se rend bien compte que tout ce qui est consistant (ou « qui possède un corps », ndt) a sa nature compacte et pesante à partir du mouvement agile (8), et à partir de la poussée réciproque incessante d’abord des éléments légers, lesquels, se trouvant tout autour, resserrent les autres éléments. Mais les éléments légers ont leur capacité de repousser du fait que leur mouvement et leur poussée s’appuient d’abord sur quelque chose de consistant et de solide. [563] Réciproquement, par conséquent, les éléments légers exigent le caractère consistant et celui-ci les éléments légers. Et j’estime que c’est une chose opportune que de le démontrer. Que la dureté dérive de l’action circum-pressante des éléments légers, c’est facile à voir à partir du moment où « dur » est ce en quoi les parties ne cèdent pas facilement à l’action qui sépare. Or que la terre soit telle, n’est pas consécutif à la nature des particules dont elle est composée, parce qu’alors celles-ci ne pourraient pas passer dans les éléments légers, c’est-à-dire dans l’air et dans le feu : ce qui est, d’ailleurs, manifeste, étant donné que les particules des éléments se mélangent réciproquement entre elles (9) (dans la formation des nuages, par exemple. ndt).

19. Et encore : que la terre et l’eau soient consistantes, ne dérive pas du poids des éléments qui se trouvent en haut, étant donné que ceux-ci n’ont aucun poids. On doit donc conclure que les deux éléments inférieurs, terre et eau, se consolident jusqu’à la consistance grâce à l’action circum-pressante des éléments légers. En effet, la capacité de faire pression des éléments légers ne peut pas exister sans mouvement : mais un mouvement de ce genre, il est nécessaire qu’il subsiste en s’appuyant sur quelque chose de consistant.

20. Que le mouvement s’appuie sur quelque chose de solide, on peut le prouver en apportant de nombreux exemples. Quand un homme passe d’un lieu à un autre, alors qu’il porte un pied vers l’avant, il maintient l’autre fixé à terre et, de cette façon, cet action de passer se soutient sur quelque chose d’immobile. Et quand on ne bouge qu’un doigt, il bouge parce qu’il est soutenu par la paume, celle-ci étant soutenue par le bras, et celui-ci étant soutenu par l’épaule. Chacun peut, en procédant de la même façon, répéter l’expérience au sujet du mouvement des autres membres. Quand un caillou est lancé, la lancée vers l’avant du projectile se produit au moyen de l’appui donné par celui qui le lance sur quelque chose de solide : c’est pourquoi, plus le lanceur s’appuie solidement fixé au sol, plus il tendra à envoyer vers l’avant son jet.

Le vol des oiseaux tire son origine de quelque chose sur quoi il s’appuie. Et que le mouvement circulaire ait son point d’appui sur un centre, cela est clair, non seulement aux personnes compétentes, mais aussi à celui qui n’a pas connaissance des disciplines (10).

21. Mais le mouvement du feu céleste ou de l’air inférieur est circulaire, comme il apparaît de manière suffisamment évidente du cours des étoiles : ni ne pourrait être autrement. [564] En effet puisque les étoiles se déplacent nécessairement, il n’y pas d’autre alternative sinon que, ou bien elles se déplacent toujours en avant, ou bien elles reviennent à leur position primitive avec un mouvement inverse. Mais un mouvement en avant n’aurait pas été possible, parce qu’un tel mouvement prévoit un arrêt (11). Il est donc nécessaire que nous ayons un mouvement circulaire. Mais tout mouvement circulaire doit avoir nécessairement quelque chose d’immobile autour de quoi s’appuyer. Le mouvement du feu ou de l’air ne peut donc exister s’il manque un centre, un milieu qui le soutienne. Mais ce centre est solide et contraint autour duquel le mouvement circule : leur mouvement, donc, ne peut commencer s’il n’a pas de soutien en quelque chose de solide.

Leur capacité à pousser et leur légèreté dérivent du mouvement, à cause du fait que (l’air et le feu) se meuvent de toute part et que les parties (qui composent l’air et le feu) n’adhèrent pas de manière tenace entre elles-mêmes et à cause de cela, (feu et eau) sont fluides au point de céder au toucher sans que celui qui les touche n’en sente la résistance. Et ils ne peuvent pas non plus opposer de résistance, ni augmenter quelque chose, sinon en vertu d’un mouvement accidentel : c’est donc, en conséquence de ce qu’ils sont légers.

Mais puisque la nature du feu et de l’air consiste dans la légèreté, la légèreté, à son tour, pour qu’elle existe, exige la consistance. Et pour qu’il y ait consistance, d’un autre côté, la légèreté se requiert qui pousse tout autour. Mais la substance de la terre et de l’eau est faite de consistance : et puisque les choses se trouvent ainsi, à raison, le divin philosophe déclare que les quatre éléments ont été créés ensemble. Et par le nom de « terre » parce que dénotant la partie la plus significative du caractère de consistance, il a désigné tout ce qui est dense, tandis que par « ciel », il a désigné les éléments légers et invisibles, puisque par leur nature, ils sont soustraits et se « dissimulent » à notre regard.

22. Immédiatement après avoir présenté la création des éléments, Moïse fait suivre la description de la manière dont furent les éléments eux-mêmes, au premier moment de leur création, là où il est dit que « la terre était informe et vide », etc.

Comment fut alors la terre, il l’expose avec clarté quand il dit qu’en ce temps, elle était informe et vide : informe parce qu’elle n’avait pas encore cette forme qu’elle adopta par la suite, grâce à l’action concordante des autres éléments sur la terre même ; vide, parce qu’encore privée de toutes les choses, herbes, arbres et animaux, qui ont été créés en elle seulement après.

De l’état dans lequel se trouvait le second élément, à savoir l’eau, il en parle là où il dit : « Et les ténèbres étaient au-dessus de la surface de l’abîme ». Et cela équivaut à dire que l’abîme, à savoir l’eau, était ténébreux.

Ensuite, selon certains (12), il ajoute le développement du troisième élément, c’est-à-dire l’air, quand il dit : « sur les eaux planait l’esprit du Seigneur », à savoir l’air qui, en raison de sa subtilité et, de quelque manière, semblable à la ténuité de l’esprit divin, « planait sur les eaux », il se mouvait, à savoir au-dessus des eaux sans ordre précis.

23. [565] Il me semble à moi que Moïse, en disant que la terre était informe et vide, ait désigné par le nom de « terre », le caractère informe de deux éléments, à savoir la terre et l’eau.

Leur informité, en effet, tenait à ce moment-là au fait que les deux éléments étaient si peu déterminés que la terre n’était pas si solide au point de s’écarter complètement de l’état liquide, ni l’eau n’était pas si liquide au point de se différencier complètement de la pesanteur de la terre, au contraire, leur caractère d’indétermination était tel qu’il en faisait une seule chose, dans laquelle on pouvait distinguer à grand-peine. Et leur être vide consistait dans le fait qu’à ce moment-là, ils manquaient de ces choses qui, par la suite, ont été produites par ces éléments.

En disant en outre que les ténèbres sont alors « au-dessus de la surface de l’abîme », Moïse décrit la caractère informe du troisième élément, à savoir l’air : de même, en effet, que l’air est conformé par la lumière, ainsi son caractère est appelé « ténèbres ». Mais ce caractère ténébreux, à ce moment-là, était tel que l’air était presque semblable à la pesanteur de l’eau, et il était épaissi par des vapeurs très denses au point d’être difficilement dissemblable de la consistance de l’eau, mais il présentait toutefois, encore que dans une mesure extrêmement réduite, quelques signes distinctifs de l’air.

Une pareille densité de l’air, à ce moment-là, était conséquente du fait qu’alors les ténèbres n’étaient pas encore déchirées par le feu, qui n’avait pas encore la puissance qu’il a à présent, et qui était semblable à la densité de l’air, privé comme il l’était de toute activité discrétive. C’est ainsi qu’au moyen des ténèbres de l’air, Moïse nous fait connaître l’état originel du quatrième élément.

24. Cet état informel (sans forme, ndt), des quatre éléments ou mieux, cette quasi uniformité, les philosophes antiques l’ont appelée alors hyle ou chaos : Moïse, au contraire, désigne cette même indétermination par les termes « ciel et terre ». L’uniformité de ces éléments, à ce moment-là, consistait en ceci : chaque élément se trouvait dans un état quasi semblable à celui d’un autre. Et puisque leur différenciation était quelque chose de minimum, ou carrément d’infime, une telle différence était considérée comme rien par les philosophes et, par conséquent, ces éléments non précisément déterminés, était décrits justement pour cela comme une seule matière uniforme.

Mais Platon, toutefois, en considérant avec attention cette différenciation minime, et en étant conscient que cette différence-là, malgré son exiguïté, est toujours présente dans l’indétermination des éléments, affirma que la matière, c’est-à-dire l’indétermination des éléments, [566] est antérieure à ces quatre mêmes éléments, non pas dans le sens que cette indétermination précédât par création ou dans l’ordre temporel, mais parce que cet état d’indétermination précède par nature la distinction, comme le son précède la voix, et le genre l’espèce.

[La puissance de l’artisan qui oeuvre sur la matière, et les diverses façons dont elle (la puissance) est indiquée par les philosophes.]

25. « Et l’esprit du Seigneur planait au-dessus des eaux ». Après avoir expliqué ce qu’on entend par matière, Moïse dit que la puissance de l’artisan — qu’il appelle esprit du Seigneur — précède la matière et la domine de manière à lui donner forme et ordonnancement à une fin.

Dans la suite du développement concernant la matière, avec beaucoup de lucidité, il évoque la puissance opérante de l’artisan. En effet, précisément parce que cette puissance agit sur la matière, tout ce qui existe et qui se voit dans la ciel et sur la terre possède une nature constante. Et, puisque la matière en elle-même est informe, elle ne peut en aucune manière obtenir de forme, sinon grâce à la puissance de l’artisan, puissance qui opère et ordonne en vue d’une fin. Cette puissance, les philosophes l’ont appelée par des noms divers.

26. Mercure (Hermès en grec ndt.) dans ce livre qui s’intitule Trismégiste, appelle « esprit » cette puissance et voici ses termes : « Toujours il y eut Dieu et la hyle que, à la manière des Grecs, nous croyons être le monde. Et au monde se joignait l’esprit, ou bien même, l’esprit était dans le monde ». Et un peu plus loin : « Le plus haut intelligible qui est appelé Dieu, règne et gouverne ce dieu sensible qui en soi entoure tout lieu, toute substance des choses et toute la matière de ce qui engendre et produit, tout, en somme, quelque chose qu’elle soit, de quelque dimension qu’elle soit. Et par l’esprit sont sollicitées et gouvernées toutes les espèces existantes dans le monde, chacune selon sa nature propre, telle que Dieu lui a assignée. La hyle, au contraire, ou monde, est réceptacle de toutes choses, et principe de changement et de multiplicité de toutes choses. Dieu est celui qui régit et pourvoit à toute chose en donnant à chacune tout ce qui lui est nécessaire. Mais l’esprit remplit toute chose parce qu’il est qualité de chaque nature » (13).

27. Et Platon dans le Timée (14), appelle ce même esprit « âme du monde ». Et, encore, Virgile, à propos de l’esprit, s’exprime ainsi : [567] « Un esprit, depuis le commencement, fait vivre, de l’intérieur, les mers et les terres, le ciel très haut et la sphère étincelante de la Lune, et le Soleil » (15). De la même façon, les Hébreux parlent de cet esprit agissant : Moïse dit : « L’esprit du Seigneur planait au-dessus des eaux » ; David s’exprime ainsi : « Les cieux sont soutenus par la Parole du Seigneur » (16) ; Salomon, à son tour, parle de l’esprit en disant : « L’esprit du Seigneur remplit les cieux » (17). Et les Chrétiens appellent ce même principe Esprit saint.

28. Et précisément parce que la matière informe n’adopte pas les formes de soi, mais les prend au moyen de la puissance mouvante et opérante de l’artisan, Moïse, le plus sage des philosophes, après avoir fait allusion à l’absence de forme de la matière, ajoute quelque chose de la puissance opérante du Créateur par ces paroles : « L’esprit du Seigneur planait au-dessus des eaux ».

Et dans ce passage, il a opportunément indiqué par le mot « eau » toute la matière, soit parce que — comme on le dit — chacun des éléments se trouvait dans un état semblable à celui de chaque autre, et, par conséquent, on pouvait tous les indiquer par un seul terme ; soit parce que ce caractère d’indétermination tendait à ressembler plus à l’eau qu’à aucun autre (des éléments, ndt) ; soit, enfin, parce que les philosophes antiques estimaient que (l’élément, ndt) l’humide est la matière absolument primordiale des choses qui doivent être créées.

En effet, l’humeur naturelle sortant de la terre, au moyen de la chaleur, se durcit jusqu’à devenir des herbes ou des arbres. Selon les physiciens, en outre, il est indubitable que les animaux se procréent à partir de l’humide et à partir d’une semence liquide, de laquelle ils adoptent leur structure corporelle. La fusion en humeur des pierres et des métaux révèle qu’ils se sont consolidés après avoir été à l’état humide (liquide, ndt).

Il a été démontré plus haut, en outre, que les étoiles ont été formées à partir des eaux. À cause de tout cela, il apparut correct à certains philosophes d’affirmer que l’eau a été la matière de toutes choses, et, conformément à cette doctrine, le poète dit que l’océan est le père de toutes choses (18).

[La théologie rationnelle et sa conformité à la « vraie et sainte théologie » — L’usage du quadrivium — l’arithmétique — L’unité qui crée chaque nombre et l ’Unité qui crée les choses — Unité et relation d’égalité de l’Unité — La sagesse renferme les idées des choses et les engendre — l’égalité (de nature, ndt ) de l’Unité en tant qu’égalité de l’existence — Celle-ci détermine les choses, de sorte qu’elles soient ni plus ni moins que ce qu’elles doivent être — Le Verbe de Dieu, ou le « dire de Dieu », et la prédéfinition éternelle des choses]

29. « Et Dieu dit : Que la lumière soit ». Après avoir fait voir les deux premiers principes de la création, à savoir la matière et la puissance opérante, [568] il [Moïse] entend montrer de la façon qui convient de quelle manière et dans quelle succession « l’esprit du Seigneur » agit sur la matière, avec cohérence par le dessein prédéfini et proféré ab aeterno dans la sagesse du créateur.

Mais à ce point, on doit dire, à titre d’explication, quelques rares choses à propos de la divinité, pour que soit clarifié ce qu’est le dire de Dieu, et la raison pour laquelle [Moïse] parle de l’esprit avant le Verbe. Et il n’y a aucun doute que tout ce que nous dirons à ce sujet est adopté en conformité avec la vraie et sainte théologie.

30. Il y a quatre espèces de raisonnements qui amènent l’homme à la connaissance du créateur : et précisément les démonstrations de l’arithmétique, de la musique, de la géométrie et de l’astronomie. Dans cette théologie (19), on doit faire usage de ces instruments, brièvement, pour que l’on voie dans les choses la dextérité opérante du créateur, et pour que se rende manifeste ce que nous nous sommes proposés.

L’unité précède toute altérité, parce que l’unité précède le deux qui est commencement de toute altérité : « autre », en effet, se dit quand il y a deux choses. L’unité précède donc toute variabilité, à partir du moment où celle-ci dérive sa nature du deux : rien, en effet, n’est en mesure de se changer ou de se mouvoir s’il n’est pas aussi en mesure d’être d’abord d’une manière et, par la suite, d’une autre. L’unité, donc, précède cette diversité de modes et, par conséquent, elle précède aussi la variabilité.

31. Mais toute chose créée est sujette à la variabilité ; et tout ce qui existe, ou bien est éternel ou est créé ; et l’unité, puisqu’elle précède le créé, ne peut pas ne pas être éternelle. Mais l’éternel n’est autre que la divinité ; et c’est pourquoi l’unité est la divinité elle-même.

Mais la divinité est cause de l’existence (forma essendi) de toutes les choses. En effet, comme quelque chose est lumineux grâce à la lumière, ou chaud grâce à la chaleur, ainsi les choses singulières ont leur existence de la divinité, [569] et c’est pour cela que l’on dit, selon la vérité, que Dieu est totalement et essentiellement partout. L’unité donc, est forme de l’existence à toutes choses : et, par conséquent, cela répond à la vérité de dire : tout ce qui est, est parce que c’est un (20).

32. Mais quand nous disons que la divinité est forme de l’existence à toutes les choses, nous n’entendons pas dire que la divinité est forme qui doit exister dans la matière, de la même façon que la triangularité, ou la quadrangularité, ou quelque chose de ce genre, mais au contraire nous nous exprimons de cette façon, parce que la présence de la divinité (21) se trouve comme un être total et unique pour toutes les créatures, de sorte que la matière elle-même a son existence de la présence de la divinité, et ce n’est pas la divinité qui dérive de la matière, ni n’est en elle non plus (22).

De manière analogue, quand nous disons que l’unité est cause de l’existence pour les choses singulières, on doit comprendre l’expression de la même façon. Et, encore, quand on dit « Dieu » dans un sens absolu, sans le déterminer d’aucune manière, le vocable est référé à la divinité elle-même ; mais si une détermination est ajoutée, ou si le terme « Dieu » est pris au pluriel, comme lorsqu’on dit « un dieu » ou « quelques dieux », le vocable « divinité » est alors référé à des entités qui participent de la divinité.

33. La même chose doit se dire du vocable « unité » : en effet, quand il est dit dans un sens absolu et sans aucune détermination, il se réfère à la divinité elle-même. Mais si on lui adjoint une détermination, ou s’il est pris au pluriel, comme quand on dit « une unité », ou « deux unités », « trois unités », ou « l’unité multipliée par deux, ou par trois », ou chose similaire, alors le vocable « unité » certainement se réfère à ces choses-là qui participent de l’unité.

C’est pourquoi, même les philosophes, quand ils déterminent les parties de l’unité, ne les attribuent point à l’existence du un, mais à toutes les choses qui participent de l’unité. Selon les principes de l’arithmétique, en effet, l’unité est indivisible. De la même façon, la multiplication de l’unité pour engendrer des nombres concerne ce qui participe de l’unité : mais ce qui participe de l’unité vraie, d’elle a son existence et sa multiplication.

34. Il y a, donc, une seule réalité qui est unité, et un unique être qui est la divinité elle-même et le plus grand bien. Et l’unité, qui, multipliée, compose les nombres, [570] ou les unités dont se composent les nombres, ne sont autre que participations de la vraie unité, à savoir qu’elles sont les existences singulières des choses créées : une chose, en effet, demeure dans son identité tant qu’elle participe de l’unité, mais, quand elle se divise, elle se dissout dans le néant.

L’unité, en effet, est maintien et forme de l’être, alors que la division est cause d’anéantissement : de la vraie unité qu’est Dieu, alors, est créée toute pluralité. Dans la divinité, donc, il n’y a aucune pluralité et, pour cette raison, aucun nombre non plus.

35. Puisque, donc, poids, mesure, lieu et forme, temps et mouvement sont causés par le nombre, et puisque toute chose quelle qu’elle soit a à exister selon quantité ou qualité, ou en relation à une autre, ou selon l’un des autres accidents ; puisque — je répète — toutes ces choses ont leur consistance à partir du nombre , il est nécessaire que la vraie divinité, qui est souveraine divinité, à cause de l’éminence de sa nature, dépasse toutes les choses prédites. Elle, par conséquent, n’est pas délimitée par le poids, ni la mesure, ni par le lieu, ni par la forme, ni par le temps, ni ne lui conviennent le mouvement, la quantité ou la qualité, le temps ni la relation à l’autre, mais elle est unité, c’est-à-dire éternité et cette permanence interminable des choses qui est source et origine de tout.

36. Mais puisque l’unité crée chaque nombre — et la série des nombres est infinie — il est nécessaire que l’unité n’ait aucune limite à sa puissance. L’unité, donc, est omnipotente dans la création des nombres : mais la création des nombres est la création des choses (23).

L’unité, donc, est omnipotente dans la création des choses. Mais ce qui est omnipotent dans la création des choses est aussi extraordinairement et absolument omnipotent : nécessairement, donc, l’unité est la divinité. Ici s’achève le développement de l’unité.

37. On doit dire à présent de quelle manière s’engendre l’égalité (de nature, ndt) à partir de l’unité. La génération des nombres à partir d’autres nombres, selon l’arithmétique, est multiple et variée. Les nombres, en effet, engendrent d’eux-mêmes et de leur essence d’autres nombres : le deux, par exemple, multiplié par lui-même engendre le quatre, le trois engendre le neuf, et de la même façon pour les autres. Mais les nombres génèrent aussi certains autres nombres quand ils sont multipliés par des nombres différents d’eux, par exemple, le deux multiplié par trois génère le six, et pareillement peut-on dire des autres.

[571] Le premier mode de génération des nombres donne seulement lieu à des carrés, ou cubes, ou cercles, ou sphères, des figures qui maintiennent l’égalité de leurs dimensions respectives, alors que le second mode de génération des nombres donne lieu à des figures avec une partie plus longue que l’autre, ou des parallélogrammes (24), et aussi à d’autres figures qui s’étendent selon l’inégalité des côtés.

38. La première, donc, est une génération de choses de même nature, alors que la seconde se dit être une génération de choses de nature différente. Autrement dit, alors que dans la première génération le deux génère le double, le trois génère le triple, le quatre, le quadruple, et ainsi de suite, dans la seconde, une progression de cette sorte ne peut être répétée.

Pour ce qui concerne l’unité, on peut trouver ces deux modes de générations : multipliée par des nombres différents, elle donne certainement lieu à tous les nombres, mais selon elle-même et selon sa nature, elle ne peut qu’engendrer l’égalité (de nature, ndt), même les autres nombres, s’ils sont multipliés par eux-mêmes, forment des inégalités. L’unité, en effet, prise une fois seulement (25) n’est rien d’autre que l’unité.

39. La substance de celui qui engendre, donc, et la substance de qui est engendré est une et identique, à partir du moment où l’une et l’autre sont vraie unité, et l’unité en soi, ne peut engendrer d’autre que l’égalité de l’unité même. En effet, puisque l’égalité précède l’inégalité, il est nécessaire que la génération de l’égalité soit précédente. Puisque donc l’unité engendre les deux, et puisque multipliée par n’importe quel nombre, elle ne peut engendrer autre chose que l’inégalité, il est nécessaire qu’elle engendre l’égalité quand elle est multipliée par ce qui, par sa nature, précède tous les nombres : mais cela c’est l’unité. Donc, l’unité d’elle-même et selon sa nature ne peut qu’engendrer l’égalité.

40. Des choses dites, donc, il reste démontré que l’égalité par sa nature précède tout nombre : une égalité que l’unité engendre d’elle-même et selon sa substance. En effet, puisque la génération d’une telle unité est consubstantielle à la nature de l’unité, et puisque l’unité [572] précède tout nombre, il est nécessaire aussi que la génération de l’égalité précède tout nombre : donc l’égalité et sa génération précède par nature chaque nombre.

Mais ce qui précède tout nombre — comme nous l’avons dit plus haut — est éternel ; donc, l’égalité de l’unité, et sa génération à partir de l’unité, est éternelle. Mais il ne peut pas y avoir deux ou plus éternités : donc l’unité et l’égalité de l’unité sont « un ».

41. Mais nonobstant que l’unité et l’égalité de l’unité soient absolument une seule substance, toutefois, puisque rien ne peut s’engendrer soi-même et puisque l’être engendrant est une propriété, et une propriété qui convient à l’unité, et l’être engendré est une autre propriété qui, à l’inverse, convient à l’égalité, à cause de cela, les divins philosophes, afin de désigner selon une identité éternelle les propriétés qui sont de l’unité, et de l’égalité, ont opposé le vocable « personne », de sorte que la substance éternelle elle-même est dite « personne du Père » en tant qu’elle est unité et « personne de l’engendré » en tant qu’elle est égalité.

Mais puisque l’unité est l’être premier et unitaire des choses, et que cette égalité se présente comme une égalité de l’unité, il est nécessaire donc que celle-ci soit une égalité de l’existence de toutes les choses : ce qui équivaut à dire une sorte de mesure, ou délimitation, ou ligne éternelle extrême des choses en-deçà et au-delà desquelles il est impossible qu’existe quelque chose.

Cette même égalité de l’unité est, donc, pour ainsi dire, une sorte de configuration et d’irradiation de cette même unité (26) : une configuration, parce qu’elle est une mesure conformément à laquelle l’unité elle-même opère dans les choses ; une irradiation, parce qu’elle est ce par quoi toutes les choses se distinguent l’une de l’autre : toutes les choses en effet sont distinctes réciproquement par leurs limites et par leur mesure propre.

42. Cette mesure ou égalité de l’unité, les philosophes antiques l’appelèrent, soit  « esprit de la divinité », soit « providence », soit « sagesse du créateur » : et excellemment, étant donné que la divinité elle-même étant l’unité, justement, il s’ensuit que cette même unité [573] est l’être unique de toutes les choses, et, pour cette raison, l’égalité de l’unité est une mesure au-delà et en-deçà de laquelle il ne peut y avoir aucune chose.

Mais une telle mesure ne peut être autre que la première et éternelle sagesse : elle, en effet, est la seule selon laquelle l’être de chaque chose est déterminé, et au-delà ou en-deçà de laquelle aucune chose ne peut exister selon sa perfection.

En elle sont contenues les idées des choses. En effet, la connaissance d’une chose coïncide avec l’égalité de la chose même, étant donné que si elle l’excédait, ou si elle lui restait inférieure, elle ne pourrait pas être dite connaissance, mais fausse imagination. En effet, comme on l’a dit, l’égalité de l’unité est nécessaire que ce soit une égalité de l’existence des choses. C’est vrai, donc, que toute idée des choses est contenus dans l’égalité elle-même.

En effet, si l’idée n’y était pas contenue par l’égalité même, elle ne pourrait pas non plus être dite notion de la chose. Il s’ensuit, par conséquent, que l’on dit « idée d’une chose » précisément parce qu’elle est le modèle (descriptio) spécifique de la chose même, grâce à laquelle elle se distingue de toutes les autres, de sorte qu’elle n’est reste ni inférieure, ni ne s’en étend au-delà.

43. Et comme chaque chose a l’existence de l’unité, ainsi de l’égalité de cette unité-là procèdent la forme, la mesure et les dimensions de chaque chose. L’homme, en effet, ou une quelconque autre chose, est tel parce qu’il est un : mais s’il se divise, il se dissout dans le néant. Semblablement, à partir de l’égalité de la même unité, en vertu de laquelle l’homme existe, procède la forme de l’homme (27). Mais si à cette même unité, en vertu de laquelle l’homme a sa consistance, on ajoute ou l’on ôte quelque chose, on ne peut plus la dire « humanité ». Et ainsi, si dans la matière il n’y pas l’égalité de l’existence de l’homme, ou de la pierre, ou d’une autre chose créée, la chose elle-même d’aucune manière ne peut exister (28).

Comme, donc, la même égalité de l’unité contient à l’intérieur de soi les idées des choses, et les engendre de soi, ainsi elle contient aussi elle-même en soi toutes les formes de toutes les choses et les produit de soi. Et, comme la même unité fait naître de soi tous les nombres, la même égalité de l’unité produit de soi tous les rapports (proportiones) et toutes les différences (inequalitates) de toutes les choses ; et toutes les choses se résolvent en elle.

44. D’elle aussi, ont existence les dimensions et les poids des choses, et, en général, tout ce qui existe. Toute dimension, en effet, a l’existence ou bien de l’égalité, ou bien de l’inégalité. [574] Mais quelque alternative qu’ait été donnée des deux, il est nécessaire qu’elle dérive de l’égalité, puisque l’inégalité elle-même provient de l’égalité.

Et encore : toute mesure est moyenne entre le plus et le moins : si elle est de plus, elle excède la mesure, si elle est de moins, elle en est en-dessous. Mais tout ce qui est entre le plus et le moins est égalité. La mesure de chaque chose est l’égalité. Mais la dimension de toute chose dérive de la mesure et, par conséquent, de l’égalité. De la même façon, on peut argumenter pour les poids.

Et pourquoi voir tous les cas un à un ? Sans doute peut-on affirmer universellement que la même égalité de l’unité est cause de l’être des choses singulières. Laquelle chose se réalise en mesure suffisante, si par vivacité d’esprit l’on est capable de comprendre que les particules très petites (minuscules) s’éloignent des choses (29).

45. Si, en effet, l’égalité de l’unité est l’égalité de l’existence, et l’égalité de l’existence d’une chose fait exister cette chose même et en circonscrit et délimite l’être même de la chose, comme si elle était une sorte de loi ou de règle éternelle de l’exister, il n’y a pas de doute que la même égalité de l’unité est cause de l’existence de toutes les choses, éternelle cause formelle, conformément à laquelle l’artisan éternel confère à chaque chose la mesure de son existence (active, ndt).

Mais puisque l’égalité de l’unité est égalité de l’existence — comme on l’a dit — il est clair que cette même égalité est la vérité même de la chose. La vérité d’une chose, en effet, n’est autre sinon que l’égalité d’existence de la chose même, de sorte que la pensée, en la comprenant, ni ne lui reste inférieure ni ne s’étend au-delà.

46. Si, cependant, la compréhension de la pensée se sera localisée au-delà ou en-deçà, il en naît la fausseté, à laquelle ne correspond aucune réalité, puisque la vérité est le premier être et la première substance pour chaque chose : en effet, qui dit la vérité, dit toujours ce qui existe réellement, tandis que qui dit la fausseté se disperse hors de la réalité.

Quand donc, l’égalité de la vérité correspond à ce qui a été exposé dans la partie qui précède de ce Traité, on en conclut d’une manière d’autant plus claire que jamais que cette même égalité est le Verbe de la divinité, étant donné que le Verbe de la divinité n’est autre que la prédéfinition éternelle, de la part du créateur, de toutes les choses, ce qui équivaut à dire la substance, la qualité, la quantité de chaque chose ou la manière dont elle se trouve dans sa valeur ou dans le temps ou dans le lieu. Mais une pareille prédéfinition est l’égalité [575] d’existence en-deçà ou au-delà de laquelle aucune chose ne peut avoir sa consistance.

47. Mais une telle égalité est l’égalité de l’unité. La vérité est la mesure éternelle des choses, et c’est toutes les autres choses que la partie précédente du Traité a attribuées à l’égalité de l’unité. Donc, le Verbe de la divinité est l’égalité de l’unité ; mais l’unité est la divinité, et cette même unité engendre l’égalité de l’unité ; le Verbe, donc, est divinité.

Au sujet de cette génération, un grand philosophe s’exprime par ces mots : « Dieu a parlé une fois seulement » (30), et de cette façon, il se réfère brièvement mais avec clarté, à cette unité et au Verbe.

Ici s’achève le développement consacré à l’égalité de l’unité. De quelle manière procède la connexion entre les deux et des deux, cela doit, être exposé à présent en se servant des disciplines dont on a fait mention ci-après (31).

Notes :

(1) Cf. Appendice A ( infra , pp.572-573).

(2) Cf. Ci-dessus.

(3) Les saints interprètes sont les Pères de l’Église.

(4) Cf., respectivement Ecclé. 18 , 1 : « Celui qui vit pour l’éternité a tout créé également,... » ; Exo. 20 , 11 : « ...car en six jours Yahvé a fait les cieux, et la terre et la mer, et tout ce qui est en eux, mais il s’est reposé au septième jour. C’est pourquoi Iahvé a béni le jour du Sabbat et l’a sanctifié.

(5) Platon, Timée , 45b, trad. de Calcidio : « Duae sunt, opinor, virtutes ignis, altera edax et peremptoria, altera mulcebris innoxio lumine » (deux sont, à mon avis, les puissances du feu : une qui consume et détruit, l’autre agréable par sa lumière qui ne fait pas mal).

(6) Le terme firmament doit être compris dans son sens étymologique, comme dénotant ce qui se tient ferme et soutient de manière stable.

(7) Il semble que Thierry reconnaisse ici une action des astres sur la vie de la Terre : c’est une allusion discrète qui peut prendre quelque consistance en la rapprochant des ultimes lignes du paragraphe 17, où l’on lit qu’à partir des puissances des éléments procède l’ordre équilibré des temps , de sorte que en des temps opportuns et selon leur ordre ordonné de leur succession, les choses corporelles pussent être produites . Il est vrai que l’on parle de causes séminales, mais il est aussi vrai que l’on affirme que de telles causes ont été placées par Dieu dans les éléments, parmi lesquels l’un, l’eau, est la matière des étoiles. À mon avis, toutefois, Thierry, encore qu’il puisse avoir été sensible à ce que disaient certains de ses contemporains (Cf. T. Gregory, L’idée de nature avant l’entrée de la physique d’Aristote , pp.52 et suiv.), se maintient là fidèle à son propos de procéder secundum physicam , en reconnaissant Dieu comme principe qui dispose les choses de manière à ce qu’elles puissent se comporter sans interventions ultérieures de Dieu Lui-même. C’est dans cette perspective que l’on comprendra la théorie de Thierry au sujet de la formation des corps qui commence tout de suite après.

(8) Pour Thierry, « qui affronte une lecture rationnelle du monde, on ne peut pas ne pas se rendre compte qui ce qui est dense, compacte ou consistant, reçoit cette compacité et son poids du motus agilis et de la perpétuelle agitatio des éléments légers. Ainsi s’établit une relation réciproque selon laquelle les éléments légers reçoivent le fondement de leur agilitas du fait que leur mouvement et leur agitatio s’exercent sur quelque chose de consistant et de solide ; le solide, en d’autres termes, atteint sa solidité de la pression exercée par les particules des éléments légers qui, à leur tour, reçoivent le mouvement de la corporéité. » ( Il divino e il megacosmo, p.39).

(9) Thierry entend dire ici que si les particules des éléments pesants étaient en grande cohésion entre eux par nature, ils ne pourraient jamais se séparer : mais qu’ils se séparent et passent dans les éléments légers est attesté, par exemple, dans le cas des toutes petites gouttes d’eau qui s’élèvent ou des atomes de poussière que l’on voit voltiger dans le rayon du Soleil (Cf. para. 7, 12,13).

(10) Pour la compréhension médiévale des disciplines , valent ces définitions de Hugue sde Saint Victor : «  Ars dici potestquando aliquid verisimile atque opinabile tractatur. Disciplina , quando de iis quae aliter se hebere non possunt, veris disputationibus aliquid disseritur » (Nous pouvons appeler art l’activité de traiter quelque chose de vraisemblable et de discutable, et discipline , la dissertation d’un sujet, par des procédés rationnels selon une vérité, relativement à ce qui ne peut être différemment que comme c’est). Et encore : «  Ars dici potest, quae fit in subiecta materia et explicatur per operationem, ut architectura. Disciplina , vero, quae in speculatione consistit et per solam explicatur rationalitatem, ut logica » (Nous pouvons appeler art cette activité qui se réalise en exigeant une matière sur laquelle intervenir, comme dans le cas des techniques constructives ou artistiques, et qui se développe au moyen d’un travail manuel. La discipline à l’inverse, consiste dans la spéculaton et ne se développe que par le raisonnement) : C…fr. Eruditio didascalica , II, 1 (PL 176, 751).

(11)  … prévoit un arrêt : L’expérience nous manifeste que le cours des étoiles est circulaire, étant donné que nous en voyons le lever et le coucher en deux positions opposées. Or, si leur mouvement allait de l’avant, un arrêt serait nécessaire ( finem habet ) : mais un tel arrêt contredit la nécessité du mouvement des étoiles. Il ne reste donc que l’alternative du mouvement circulaire.

(12) Cf. Basile, In Hexaemer , II, 6 (PG 29, 43A) ; Ambroise, In Hexaemeron , I,8,29 (PL 14, 150 A) ; Augustin, De Genesi ad litt. , I,6,2 (PL 34, 35) ; Jean Scot Érygène, De divisione Naturae , II, 19 (PL 122 552 C).

(13) Nock-Festugière, Corpus hermeticum , 2, 313 & 315.

(14) Platon, Timée , 34bd.

(15) Virgile, Énéide, VI, vv. 724 et suiv. : « Principio caelum ac terras, composque liquentis / lucentem globum, Titaniaque astra : spiritus intus alit ». Le première hexamètre est reproduit par Thierry ainsi : Prinicpio maria ac terras caelumque profundum .

(16) Ps . 32 , 6.

(17) Sag 1 , 7.

(18) Virgile Géorgiques , IV, 382.

(19) Par l’expression de cette théologie , Thierry entend déceler la théologie rationnelle laquelle, au lieu d’adopter comme instrument démonstratif le texte sacré, fait appel, justement à la raison : ceci résulte de la déclaration d’utiliser les arts du quadrivium et de la proposition de rendre rationnellement manifeste tout ce qu’il va exposer. Voir mon Rerum Universitas… p ;202.

(20) Boèce, In Porphyrium , I (PL 64, 83B)

(21) Cf. Anselme de Aoste, Monologion , 13 : « Sicut nihil factum est nisi per cratricem praesentem essentiam, ita nihil vigeat nisi per eiusdem servatricem praesentiam » (tout comme rien n’a été fait sinon grâce au présent être créateur, ainsi rien ne peut survivre sinon grâce à sa présence conservatrice).

(22) n’est pas … en elle  : le texte latin dit : … non ipsa divinitas aut ex ipsa aut in ipsa.

(23) Cf. F. Brunner, Creatio numerorum, rerum est creatio, dans Mélanges offerts à René Crozet , 2, Poitiers 1966, pp.719-725.

(24) … parallélogrammes : dans le texte, on lit antelongiores . Cfr. Papia vocabulista , Mediolanum 1476, ed. anast. Turin 1966 ; p.23. Mittellateinisches Wöterbuch bis zu ausgehende 13. Jahrhundert , Brlin 1962, I Vol. Lieferung 5.

(25) ... prise une seule fois seulement : c’est-à-dire multipliée par elle-même.

(26) Hébr. 1 , 3.

(27) Thierry veut dire que de l’unité vient l’existence, et de l’égalité de l’unité vient l’essence de la chose singulière.

(28) Cf. le paragr. 24, où l’on affirme que la création de la matière ne devance pas selon le temps.

(29) Thierry entend dire ici qu’une réalité, grâce à l’égalité qui en établit la mesure et la détermination ou essence, reste toujours égale à elle-même, nonobstant sa variabilité dérivant du mouvement d’éloignement des particules qui la composent et que, non perceptibles aux sens, elles peuvent être saisies par la promptitude de la pensée.

(30) Salomon , Psaumes 61,12 : « Élohim a parlé une fois » .

(31) Ici l’oeuvre s’interrompt.


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