Rudolf Steiner et le Boddhisatva du XX e siècle

Adolf Arenson (*)

Conférence tenue le 30 mars, le 28 avril et en octobre 1930 à Dornach devant les membres de la Société anthroposophique.

Mes chers Amis,

En ce jour, commémorant le départ du plan physique de notre grand maître et guide, l’exigence, que celui-ci avait commencé à placer devant notre âme, se présente de nouveau à nous d’une manière toute particulière. En cette période de Noël 1923, et en vertu de sa parole qui annonçait la volonté des dirigeants spirituels de notre mission terrestre, une unité s’instaurait entre ce que nous connaissons comme le mouvement anthroposophique et notre société anthroposophique, qui n’était jusqu’alors que le cadre extérieur de ce mouvement. Mais avec cela, chaque membre se trouvait placé devant l’exigence de revoir son appartenance à la société sous un autre éclairage ; Nous étions en effet jugés dignes de partager la responsabilité vis-à-vis des puissances spirituelles, une responsabilité que Rudolf Steiner avait portée seul jusqu’à ce moment. Et comme un signe de cette unité nouvelle du mouvement et de la société, qui n’était pas seulement un signe, mais en même temps aussi une réalité conséquente, il se plaça lui-même à la tête de la société. Nous pouvions accepter son cadeau en pleine confiance car Il était effectivement celui qui nous avait conduits et qui nous avait préservés de faire des faux pas.

Tout cela a pris subitement une tournure différente dans l’instant où il ne fut plus en personne parmi nous. Notre responsabilité prenait dès lors une dimension incommensurable – pour pouvoir oeuvrer sans le conseil sage, amical et attentionné de notre guide, nous devions désormais rechercher la sagesse et l’amour uniquement chez nous-mêmes – et nous savions dans quelle mesure parcimonieuse nos âmes recelaient ces biens si précieux. Nous étions donc dans cette situation difficile il y a cinq ans, et nous le sommes encore aujourd’hui. On peut ressentir cette description de notre situation comme décourageante. Mais, mes chers amis, on peut aussi adopter un autre point de vue en face de celle-ci : Celui de reconnaître que cela vaut justement la peine de s’atteler de toutes nos forces pour maintenir sans taches l’oeuvre de Rudolf Steiner et la rendre accessible à l’humanité. Alors une grande allégresse peut s’emparer de nous, un sentiment de bonheur devant la tâche qui nous est ainsi confiée. Et l’énergie qui se dégage de ce bonheur peut nous aider à surmonter la douleur de ne plus voir notre grand guide parmi nous.

Mais, si nous voulons répandre l’oeuvre de Rudolf Steiner dans le monde, il est indispensable que nous la connaissions nous-mêmes, et que nous la comprenions nous-mêmes !

Lorsque je dis « comprendre », j’utilise naturellement ce mot avec une certaine réserve. Car nous savons effectivement tous que notre compréhension dans l’état présent ne peut être que limitée. Dans la mesure où notre penser actuel est précisément en état de le faire, nous devrions avoir appréhendé intérieurement ce que nous voulons apporter aux autres ! Le bien spirituel, qui a été consigné dans des milliers de conférences, propose en effet des énigmes innombrables à la pensée actuelle. Nous nous heurtons à des contradictions manifestes, et plus encore : Nous passons devant les profonds mystères, qui se dissimulent derrière les paroles de Rudolf Steiner, sans nous douter de rien. C’est pourquoi je crois agir dans le sens de la pensée de Rudolf Steiner en tentant, aujourd’hui, en ce jour commémorant sa mort physique, d’éclairer un domaine anthroposophique qui reste encore passablement obscure.

Depuis le début de son oeuvre, Rudolf Steiner a parlé de ces messagers qui, depuis les mondes spirituels, agissent en préparant les grandes étapes de notre évolution afin qu’elle puisse s’accomplir de manière correcte. Ils ont donc dû agir de manière préparatoire, dans le passé, pour amener l’humanité dans un état de maturité qui lui permette de recevoir le Christ ; et c’est de nouveau leur tâche présente et future de préparer celle-ci à recevoir en son sein ce que doit apporter le Christ (1) . Dans la dénomination, orientale, ces messagers sont appelés « Bodhisattvas », et Rudolf Steiner insiste : « Ce n’est qu’à partir du moment où on s’oriente sur eux, que s’élève d’une manière correspondante la connaissance de ce que le Christ a été, est et sera constamment pour l’humanité » (2) .

Vous trouverez désormais compréhensible qu’avec nos représentations et pensées terrestres, l’investigateur de l’esprit ne trouve que difficilement les mots pour nous procurer une image de ces hautes entités. C’est ce qu’on éprouve vivement lorsqu’on se met à ordonner les déclarations de Rudolf Steiner. À première vue justement, elles semblent souvent se contredire ; l’expression est souvent si subtile, si difficile à comprendre, qu’on ne comprend qu’après avoir lu les phrases individuellement, les unes après les autres, parfois après des semaines et des mois seulement. Il est donc tout à fait impossible, pour cette raison, de donner brièvement ici une image claire et exhaustive de la nature des Bodhisattvas – seul le travail personnel de l’individu peut y parvenir pour lui-même.

Mais il est possible de faire autre chose. On peut réunir les grands traits caractéristiques qui peuvent permettre de rendre compréhensible la manière dont ces entités interviennent dans notre évolution terrestre, c’est-à-dire la façon dont elles s’efforcent de faire entrer à un moment donné un élément nouveau dans notre évolution humaine.

C’est ce que j’ai tenté de faire, et il en résulte l’image suivante : Un Bodhisattva n’est pas quelque être humain hautement évolué, mais un Bodhisattva est une entité spirituelle supérieure, qui n’a jamais cheminé comme nous sur la terre – et qui n’est pas non plus comme le Christ, qui a en effet réellement habité dans les enveloppes de Jésus. Dans la neuvième conférence du cycle 9 , Rudolf Steiner dit qu’un Bodhisattva est une partie de l’entité que l’on peut caractériser comme le grand Maître de l’humanité (au sens d’enseignant, et non de « gourou », la nuance est importante en cette fin de siècle ! N.D.T. ) ; Une entité qui s’est manifestée dans les époques diverses et de manières les plus variées et qu’on aurait désignée dans la conception chrétienne comme « l’Esprit Saint ». Rudolf Steiner décrit cela de manière grandiose dans la première conférence du cycle 17 (et aussi dans la neuvième conférence du cycle 9 ) :

« Douze Bodhisattvas appartiennent donc au Christ ; ils ont préparé et continuent d’édifier ce qu’il a apporté à notre développement culturel et qu’on peut considérer comme la plus grande impulsion qui soit. Nous découvrons alors les 12 – et au milieu d’eux, le Treizième. Nous nous sommes ainsi élevés dans la sphère des Bodhisattvas et nous sommes entrés dans le cercle des douze corps stellaires– et au milieu le Soleil, qui les illumine et les réchauffe, dont ils tirent cette source de vie qu’ils répandent ensuite sur la terre ».

Et dans la cinquième conférence du cycle 15 , Rudolf Steiner déclare que les Bodhisattvas sont les instructeurs de l’humanité, mais que la source de vie, c’est le Christ.

Plus loin (3) , il dit : « Chaque Bodhisattva a une mission déterminée dans l’évolution terrestre. Lorsque cette mission est accomplie, il n’a plus besoin de s’incarner dans un corps physique. Il devient alors un « Bouddha », c’est-à-dire que l’individualité, qui ne s’est jamais tout à fait incarnée dans une forme humaine, se retire complètement lors de sa dernière incarnation ; elle se retire alors aussi dans certains plans spirituels supérieurs et peut, de-là, continuer de diriger les affaires de l’humanité. Ce fut, par exemple, le cas du Bodhisattva qui s’éleva en tant que Bouddha dans sa dernière incarnation de Gautama Bouddha. Ce sera aussi le cas un jour pour le Bodhisattva actuel, mais dans 3000 ans seulement, et qu’on désigne comme le Maïtreya-Bouddha (4) .

On peut être extraordinairement désorienté maintenant par le fait que, très fréquemment, Rudolf Steiner appelle simplement les hommes, dans lesquels le Bodhisattva se manifeste, par le terme de Bodhisattva. Il évoque par exemple très souvent le « Bodhisattva réincarné ». Il désigne aussi Jeshu ben Pandira, comme le successeur de ce Bodhisattva, qui s’est élevé à la dignité de Bouddha lors de sa dernière incarnation de Gautama Bouddha. Il s’exprime à vrai dire avec une parfaite précision, par exemple dans la quatrième conférence du cycle 15 , où il déclare : « Jeshu ben Pandira se trouvait sous la protection du successeur du Bouddha, le nouveau Bodhisattva. »

C’est qu’il faut dire qu’il est très important de savoir ce qu’il en est ; car la conception vague, qui est passablement répandue parmi nos membres aujourd’hui, de ce qu’est un Bodhisattva à proprement parler, est issue de cette façon de s’exprimer souvent imprécise ; qui ne se produit pourtant pas « par hasard » chez Rudolf Steiner – nous le comprendrons encore dans la suite de cet exposé.

Mais en tout cas, il a veillé à ce que cette confusion de l’homme inspiré avec le Bodhisattva soit impossible pour celui qui connaît exactement le contenu de ses cycles de conférences.

Il déclare ainsi, dans la dixième conférence du cycle 9, que nous ne devons pas concevoir de telles « incarnations » d’une façon routinière. « On peut », dit-il, « parler d’une incarnation toujours répétée des Bodhisattvas ; mais on doit savoir que le Bodhisattva, qui s’est trouvé derrière tous ces hommes dans lesquels il s’est incarné, est une partie de cette entité qui est elle-même la sagesse personnifiée de notre monde ». Et auparavant, il dit (5)  : « C’est seulement lorsqu’on comprend la chose de cette manière , qu’on peut aussi désigner d’autres individualités, qui sont à leur tour de grands instructeurs, comme autant d’incarnations du Bodhisattva.

Le 13 avril 1910, à Rome, il dit : « Son entité (celle du Bodhisattva) est pour ainsi dire trop vaste pour trouver place dans un corps humain. Seule une partie de cette entité peut descendre dans les enveloppes terrestres ; La partie la plus importante reste dans les mondes supérieurs ».

N’est-ce pas, mes chers amis, après ces explications valables une fois pour toutes, on peut accorder le droit à Rudolf Steiner, si je peux m’exprimer ainsi, de parler désormais des « incarnations » du Bodhisattva, car on ne peut plus désormais tomber dans l’erreur mentionnée à leur sujet.

Oui, mais ! Mes chers amis, qui connaît justement ces quelques passages répandus dans de si nombreuses conférences ? Et qui plus est, combien oublie-t-on facilement ces précisions dont on ne perçoit pas l’importance dans l’instant !

Nous devons donc constamment les avoir à l’esprit dans les exposés qui suivent, sinon nous ne nous comprendrons pas.

Nous en arrivons maintenant à la considération du Jeshu ben Pandira, dont Rudolf Steiner dit qu’il était le guide de ce mouvement, apparu 105 ans avant le Christ, sous le nom d’Esséniens et de Thérapeutes, et dont l’âme était habitée par le Bodhisattva successeur du Bouddha (6) .

Rudolf Steiner déclare dans la cinquième conférence du cycle 15 que Jeshu ben Pandira a préparé la venue du Christ sous l’influence du Bodhisattva qui l’a inspiré ; Car il avait la mission d’éveiller, au moins chez quelques hommes peu nombreux, la compréhension de ce que le Christ aurait à être, en ce qui concerne l’individualité de Zarathoustra, qui aurait à s’incarner dans un descendant de la lignée de Salomon de la Maison de David (7) .

Et plus loin, Rudolf Steiner précise que le Bodhisattva, qui était l’inspirateur, le protecteur de Jeshu ben Pandira, s’est sans cesse incarné et que l’une de ses incarnations est fixée pour le 20ème siècle (8) . C’était en octobre 1911. Dans une conférence de branche à Leipzig, le 5 novembre 1911, il dit d’une manière catégorique, que « Jeshu ben Pandira, s’est à peu près incarné une fois tous les cent ans depuis, et qu’il est encore à présent incarné pour devenir celui qui annoncera le Christ dans son vêtement éthérique, tout comme à l’époque il avait annoncé le Christ dans sa présence physique ».

Et maintenant, mes chers amis, nous en arrivons à une caractérisation importante quant à la manière dont cette incarnation du Bodhisattva se manifeste dans l’individualité de Jeshu ben Pandira. Rudolf Steiner dit que constamment, lorsque le Bodhisattva apparaît réincarné, (je cite à présent textuellement (9) ), « les hommes ferons l’expérience de voir vivre ici où là, un enfant doué, qu’on ne remarquera pas et qui doit s’acquitter d’une tâche particulière dans l’évolution à venir de l’humanité ».

Ensuite, en comparaison avec l’événement du Christ, où l’individualité de Jésus abandonne ses enveloppes corporelles dans lesquelles le Christ vient s’établir, Rudolf Steiner dit plus loin : « Il en sera ainsi avec le Bodhisattva, qu’il se produira certes une sorte d’échange – mais l’individualité reste d’une certaine manière. Et cette individualité, qui apparaît alors..., en amenant des forces nouvelles dans l’évolution de l’humanité, s’immerge dans cet homme qui éprouve de ce fait une violente transformation. Celle-ci intervient particulièrement entre 30 et 33 ans. Et il en est toujours ainsi qu’on ne peut jamais savoir, avant que cette transformation apparaisse, que ce corps sera appréhendé par le Bodhisattva ».

« C’est le trait caractéristique », dit Rudolf Steiner.

Nous trouvons la même chose exprimée d’une manière aussi chargée de sens dans une conférence tenue par Rudolf Steiner à Bâle, le 1er octobre 1911.

Il appert maintenant nettement, mes chers amis, que si l’on disait par exemple d’un homme, qui n’a pas encore éprouvé cette transformation – donc au plus tôt à partir de 30 ans – qu’il serait le Bodhisattva à venir, on devrait donc savoir très exactement qu’il ne l’est assurément pas. À Milan, le 21 septembre 1911, il déclare : « Et on reconnaîtrait au mieux, qu’il n’est pas juste de dire d’un homme, n’ayant pas encore atteint la trentaine, que le Bodhisattva se manifeste en lui. On reconnaîtrait justement là ce qui n’est pas juste ».

Mes chers amis ! Tout cela est d’une importance extraordinaire ! Car, si Rudolf Steiner n’avait pas exprimé cette caractéristique aussi clairement, nous nous trouverions encore devant le danger de chercher le Bodhisattva là où il n’est pas. Et ce danger dissimulerait encore en lui un danger bien plus grand. Je vous rappelle les paroles de Rudolf Steiner, que je vous ai citées tout à l’heure, à savoir qu’on ne peut s’élever à la compréhension de l’acte du Christ qu’après s’être d’abord orienté sur le Bodhisattva. Mais cela ne signifie rien de moins que ceci : Sans la connaissance du messager du Christ au 20ème siècle, le danger existe de ne pas reconnaître non plus le Christ Lui-même, lorsqu’Il apparaît dans sa forme éthérique.

Et que le danger existe, du moins – dirons-nous – la possibilité d’un tel danger, c’est ce dont témoigne ce qui suit :

Mes chers amis, je n’accorde pas trop de valeur aux bizarreries qui surgissent de temps à autre dans notre société ! Vous savez que Rudolf Steiner a lui-même traité ces choses, aussi longtemps qu’elles restaient anodines, avec un certain humour. Il raconta, par exemple une fois, qu’il avait fait la connaissance, je crois, de 12 ou 20 « Vierges Marie » réincarnées et autres singularités semblables. Mais lorsqu’une rumeur de ce genre perdure des années durant, avec opiniâtreté, on ne peut plus simplement l’ignorer. Car, n’est-ce pas, une telle rumeur pourrait aussi renfermer une part de vérité ! Et un bruit de ce genre circule déjà depuis quelques années. On dit en effet que le Bodhisattva, dont Rudolf Steiner a annoncé la venue au 20ème siècle, a réapparu récemment. On dit qu’il serait à tel ou tel endroit, et on cite même plusieurs noms. Et cette rumeur est soutenue par une soi-disant parole de Rudolf Steiner. À la question concernant ce qu’il en était du Bodhisattva à venir, Rudolf Steiner a dû répondre que le Bodhisattva serait né au début de ce siècle et qu’il porterait un intérêt particulier à la Société Anthroposophique. On a rapporté de tels propos, non seulement à moi, mais aussi à d’autres amis de Stuttgart et d’ailleurs.

Considérons d’un peu plus près ces propos qui, comme on l’a dit, circulent depuis pas mal de temps.

La version selon laquelle on parle d’une personnalité qui doit être le prochain Bodhisattva, est naturellement, d’après la teneur de tout ce qu’on en dit, une contradiction en elle-même ! Puisque la nature d’un tel Bodhisattva est effectivement de celle qu’on ne peut pas connaître, tant qu’il n’a pas saisi la personnalité humaine qu’il veut inspirer et vivifier. Parler d’un « futur » Bodhisattva dans le sens où il s’agit de caractériser une personnalité humaine, dans laquelle le Bodhisattva s’empare du corps, c’est en effet justement parler de quelque chose que Rudolf Steiner donne pour impossible !

Je pense que je n’ai pas besoin de vous le prouver en m’appuyant encore une fois sur les citations.

On peut maintenant me rétorquer l’objection suivante : Oui, mais un initié d’un rang très élevé fait toujours exception ! Il peut néanmoins le savoir, même si Rudolf Steiner affirme que personne ne pourrait le savoir avant. Oui, effectivement, voyez-vous, mes chers amis, c’est là une objection qui ne peut que prouver que celui qui la fait n’a absolument aucun pressentiment de ce qu’est un initié. Quant à savoir si l’initié peut savoir d’avance, je le passe sous silence. Mais qu’il le sache et qu’il ne puisse pas en parler , c’est là quelque chose que sait celui qui est familier de l’occultisme. Rudolf Steiner déclare dans la dixième conférence du cycle 9  : qu’une loi entre en vigueur à ce propos, qu’il traitera dans les conférences à venir – il parle même de la loi selon laquelle personne ne peut reconnaître d’avance le Bodhisattva. À présent, mes chers amis, un initié n’enfreint aucune loi qui provient du monde spirituel. Nous ne devons pas juger les initiés à l’aune de la morale terrestre !

Vous voyez que cette rumeur s’effondre d’elle-même. Seule une méconnaissance de ce que Rudolf Steiner a dit sur la nature des Bodhisattvas peut véritablement en arriver à des propos grotesques d’après lesquels telle ou telle personnalité humaine serait le Bodhisattva à venir.

Il en est autrement du propos que Rudolf Steiner a dû tenir devant un de nos membres. Je suis en général vraiment sceptique, quand j’entends dire que : « Le Dr. Rudolf Steiner a dû dire que... » Mais je pourrais bien penser quant à moi, que ces paroles ont été effectivement prononcées par lui ; à savoir que le Bodhisattva du 20ème siècle est déjà « réincarné », (vous savez bien, à présent, comment il faut comprendre le mot « réincarné ») ; Paroles qu’il a effectivement prononcées le 5 novembre 1911, à Leipzig. Je vous en ai cité l’intégralité plus haut. Mais Rudolf Steiner ne voulait pas parler alors d’un homme jeune, mais plutôt d’un homme plus âgé, qui est déjà habité par le Bodhisattva. Si on les conçoit de cette manière, ces déclarations sont absolument compréhensibles ; elles ne se heurtent en aucune façon aux lois spirituelles. Rudolf Steiner a tout simplement déclaré par ces mots : l’homme, qui est inspiré par le Bodhisattva, est déjà là, il séjourne parmi nous.

Par contre la rumeur selon laquelle « le Bodhisattva serait né au début de ce siècle » n’est pas si facile à comprendre. Elle est même, du point de vue de la logique terrestre, une absurdité complète.

Réfléchissez donc seulement, mes chers amis, Rudolf Steiner dit un jour : « Lorsque quelqu’un caractérise un homme âgé de moins de 30 ans comme étant un Bodhisattva, c’est justement un signe pour dire qu’il ne l’est assurément pas  ! » Et ensuite, Rudolf Steiner caractériserait, lui-même, comme un Bodhisattva un homme qui est âgé de moins de trente ans ? Car, n’est-ce pas ? Rudolf Steiner n’a pu faire cette déclaration qu’au plus tard, au début de l’année 1925. Née au début du siècle, la personne concernée ne pourrait pas avoir dépassé l’âge de 24 à 25 ans – et donc moins de 30 ans, la caractéristique qui permet précisément de dire qu’elle n’ est pas inspirée par le Bodhisattva ; c’est parfaitement clair, ! N’est-ce pas ?

Si j’ai dit plus haut que je pouvais bien me représenter que Rudolf Steiner a fait cette déclaration, vous me comprendrez aussitôt, si vous admettez un peu le fait que l’initié utilise un langage particulier. Vous savez qu’on appelait Héraclite (540-480) « l’obscur », parce que ces paroles étaient marquées du sceau de ce langage plein de mystère. L’Apocalypse est remplie de ces paroles obscures – il suffit seulement de se souvenir du nombre 666 ou du livre que Jean doit avaler.

Rudolf Steiner a fait le sacrifice de se soumettre au langage ordinaire dans ses écrits et ses conférences, afin que le monde extérieur soit en mesure de le comprendre. Mais il a aussi utilisé fréquemment ce langage caché, qui est incompréhensible au matérialisme de notre époque et souvent même l’induit en erreur. C’est le cas de ses mantras, ses paroles de vérité, etc. Et aussi lorsqu’on lui posait des questions auxquelles il ne pouvait pas répondre dans des termes habituels. Celui qui, dans la méconnaissance de ces faits, lui posait de telles questions (et qui d’entre nous, ayant eu une relation personnelle avec Rudolf Steiner, ne lui a pas posé des questions de ce genre ?), sait dans quelle incertitude et dans quel doute les réponses de Rudolf Steiner pouvaient souvent le plonger.

Si donc cette parole de Rudolf Steiner, transportée par la rumeur, est vraie, c’est qu’en tout cas la question posée était celle qui a amené Rudolf Steiner à répondre que le Bodhisattva était né au début du siècle. Si celui qui a posé la question connaissait tout ce que Rudolf Steiner avait dit sur la nature du Bodhisattva, il devait donc reconnaître aussitôt que la réponse donnée était une absurdité, si on la prenait au sens commun. Mais il devait dès lors tenter d’en rechercher la signification profonde.

Quelle peut être cette interprétation profonde ? Mes chers amis ! Demandons-nous une fois ce que signifie le concept de naissance lorsque nous l’appliquons à un Bodhisattva ? La naissance du Bodhisattva ne se produit effectivement qu’à partir de la trentième année de la personne qui y est prédestinée. Nous avons vu cela !

Utilisons-le en établissant un parallèle avec la naissance humaine. Dans la naissance humaine, le nombre « trois » joue un rôle important – conception, développement embryonnaire, naissance.

Nous avons aussi à faire à une triade d’événements en ce qui concerne l’inspiration d’un être humain par le Bodhisattva.

1) Vers la trentaine, le Bodhisattva s’empare quelque peu du corps de l’être humain élu.

2) Une transformation profonde s’ensuit, une sorte de révolution.

Et 3) Lorsque le Bodhisattva descend jusqu’à inspirer le corps éthérique, il apparaît alors publiquement devant l’humanité avec la mission qu’il a à réaliser ; Alors, mes chers amis, il est reconnaissable par tous ceux qui connaissent cette mission. Vous comprenez pourquoi il est absolument correct de dire, dans un certain sens, que le Bodhisattva est né alors au monde.

Et quelle est donc cette mission du Bodhisattva ?

Rudolf Steiner le dit distinctement et clairement.

Dans la 10ème conférence du cycle 15, il dit : « Ce Bodhisattva, qui a agi autrefois (au sein de la personnalité de Jeshu ben Pandira) pour préparer le christianisme, s’est réincarné sans cesse. »

Dans la conférence du 4 novembre 1911 : « Il est déjà incarné à notre époque » et « il sera l’annonciateur authentique du Christ dans son vêtement éthérique, tout comme il fut autrefois celui qui annonça la venue du Christ physique. »

Plus loin, Rudolf Steiner précise : « Si Jeshu ben Pandira (c’est-à-dire, en fait, le Bodhisattva à travers lui) est appelé à révéler l’apparition du Christ à notre époque, c’est qu’il attirera l’attention sur le Christ, qui ne peut réapparaître dans un corps physique, mais doit apparaître dans un vêtement éthérique ; exactement de la manière dont il est apparu à Paul devant Damas ». Et il ajoute : « C’est justement à cela qu’on pourra le reconnaître ». Et comme autre caractéristique certaine, Rudolf Steiner indique que ce Bodhisattva ne se fera pas lui-même passer pour le Christ.

Et à présent, nous pouvons demander : Où devons-nous chercher cette individualité, par laquelle le Bodhisattva, qui a agi effectivement déjà parmi nous, comme Rudolf Steiner le souligne, et a accompli sa mission ?

Je pose la question inverse : Qui est donc celui qui, le premier et le seul dans l’humanité, a annoncé l’apparition du Christ dans le corps éthérique ? : Rudolf Steiner.

« C’est justement à cela qu’on le reconnaîtra », dit Rudolf Steiner, « au fait qu’il annoncera le Christ éthérique. »

Prenez ces paroles complètement au sérieux, mes chers amis ! Elles signifient qu’ un seul peut annoncer le Christ éthérique ! Car s’il y en avait eu deux ou plus, de ces hommes, pour l’annoncer, Rudolf Steiner n’aurait pas pu dire : « C’est justement à cela qu’on reconnaîtra le Bodhisattva, qui a agi au travers de la personnalité de Jeshu ben Pandira, au fait qu’il annonce le Christ éthérique. Puisque autrement toutes les portes seraient ouvertes au doute et à l’erreur !

Il ne peut y en avoir qu’un. Et ce seul et unique, était Rudolf Steiner :

Rudolf Steiner, qui dans les années 90 du siècle dernier, traversa cette transformation profonde de son être, à laquelle il consacre un chapitre entier dans sa biographie (10) , et qui par la suite, inspiré progressivement par le Bodhisattva, se présenta au monde publiquement, par l’Anthroposophie créée par lui, et se fit connaître en tant qu’annonciateur et préparateur de la venue du Christ dans l’éthérique.

Vous voyez bien que l’on peut dire dans un sens transposé : ce fut la vraie naissance du Bodhisattva, lorsque, au début du 20ème siècle, Rudolf Steiner révéla sa mission en tant qu’Anthroposophe et avec cela en tant qu’annonciateur du Christ éthérique à l’humanité.

Car en effet, que l’Anthroposophie, la création de Rudolf Steiner, ait la mission d’annoncer le Christ éthérique, c’est ce qui nous est dit à nouveau clairement : « C’est la tâche de l’ Anthroposophie , d’annoncer le Christ dans sa forme éthérique », comme Rudolf Steiner l’a déclaré à Leipzig, le 4 novembre 1911. Et le lendemain, il précisait « L’Anthroposophie est là pour préparer cela ».

Le 21 septembre 1911, à Milan, il disait : « Dans cette époque matérialiste, je ne fais pas appel à la foi dans l’autorité, mais à une mise à l’épreuve scientifique. Et le Bodhisattva du 20ème siècle n’en appellera pas non plus à je ne sais quelle sorte d’annonciateur, qui le proclamerait Maïtreya-Bouddha, mais à la vigueur de sa propre parole . Et en tant qu’homme, il se dressera seul dans le monde pour ce faire ».

Je dois sans cesse répéter les paroles de Rudolf Steiner : « C’est à cela qu’on le reconnaîtra ». Mes chers amis, reconnaissons-le ! Ne cherchons pas plus loin parmi les vivants le fameux Bodhisattva, c’est-à-dire l’homme au travers duquel le Bodhisattva veut annoncer le Christ éthérique. Le Christ éthérique a été effectivement annoncé ! Dans plus de cent conférences et aussi dans des ouvrages publiés, on l’a annoncé déjà depuis plus de 20 ans, depuis l’année 1908 ! Et celui qui l’a annoncé, a séjourné parmi nous ; nous l’avons vu, nous l’avons entendu, et nous étions du nombre de ses auditeurs ! Examiner avec votre intellect, comme Rudolf Steiner nous l’a chaudement recommandé, tout ce qui en lui s’unit pour nous permettre de le reconnaître comme le Bodhisattva du 20ème siècle (11) .

Et cette connaissance jette son éclat jusque dans les éléments les plus discrets de son oeuvre !

À l’époque où l’on faisait courir l’accusation de jésuitisme sur Rudolf Steiner, depuis Adyar (siège social de la Société Théosophique, N.D.T.), celui-ci tint une conférence de deux heures à Berlin pour expliciter l’évolution de sa biographie. Il fut amené à décrire sa jeunesse. Mais, chose étrange, il ne s’exprima jamais à la première personne, mais uniquement à la troisième en disant « Rudolf Steiner » : « Rudolf Steiner fit ceci et cela », « Rudolf Steiner avait eu une longue formation » etc. Cela doit nous apparaître frappant que Rudolf Steiner lui-même ait ajouté la phrase : « Je vous prie de ne pas prendre le fait que je parle toujours de Rudolf Steiner pour une sorte de coquetterie ».

Mes chers amis, nous comprenons pourquoi aujourd’hui ! C’était du Bodhisattva dont parlait Rudolf Steiner. Il parlait de l’être humain au travers duquel il s’adressait à son auditoire !

Et l’autre fait, c’est que Rudolf Steiner n’a jamais été membre de la société anthroposophique. Il ne fut qu’enseignant ! Il transmit aux hommes les richesses de sagesse qui lui avaient été confiées et considérait en observateur l’évolution de la société, qui plus tard se détacha effectivement de Adyar. Et lorsqu’en 1923, il apparut que les membres eux-mêmes n’avaient pas la force de porter d’une manière correcte le mouvement anthroposophique, Rudolf Steiner s’identifia lui-même à la société, en prenant une décision héroïque, et il la transforma par cette démarche dans une communauté (d’engagement, N.D.T.) ésotérique. C’est d’une manière solennelle qu’il déposa la Pierre de fondation spirituelle de cette création renouvelée. Et comment inaugure-t-il cette pose spirituelle de la pierre de fondation ?

Mes chers amis ! Ce n’est pas par des mots, mais par des impulsions mystérieuses, que Rudolf Steiner déclara ouvert le Congrès de Noël. C’étaient des impulsions symboliques, qui n’étaient connues que par ceux qui appartenaient à un certain grade de l’école ésotérique, fondée à l’époque précédant la guerre, dont Rudolf Steiner fait mention au 36ème chapitre de son Autobiographie . Et ces impulsions parlaient un langage clair. Elles disaient : « L’élément nouveau, que je veux vous donner, je le relie présentement à ce qui existait précédemment, en agissant fidèlement avec la loi de l’ésotérique ». Telles étaient les paroles qu’exprimaient ces impulsions dont Rudolf Steiner confirma par la suite à divers membres qu’elles provenaient de cette institution d’avant guerre.

Mes chers amis ! Lorsque je contemple la discorde – avec une tristesse vraiment profonde – que la fiction de « l’ancien et du nouvel ésotérisme » a provoqué dans notre société, je ressens alors la prodigieuse vérité de cette très ancienne parole de sagesse : « l’ignorance est la racine du mal ». L’inauguration du Congrès de Noël fut justement, pour chacune des personnes averties, une protestation prophétique contre cette fiction !

À présent, mes chers amis, laissez-moi vous récapituler ce que j’ai dit dans ces explications ; sinon maintes méprises pourraient encore en surgir.

Je n’ affirme pas que Rudolf Steiner est le Bodhisattva du 20ème siècle. Car cette haute entité, qui appartient à la communauté du Saint Esprit, ne fut jamais incarnée (en tant que telle, N.D.T.) dans un être humain. Cette entité, le Bodhisattva, a vivifié, inspiré ces hommes qu’elle avait choisis comme instruments de sa révélation.

Je ne dis pas non plus  : Rudolf Steiner est Jeshu ben Pandira réincarné ; ni non plus qu’il deviendra le Maïtreya-Bouddha dans 3000 ans. Je n’ai rien dit de tout cela. Ce n’est pas l’heure de montrer cela.

Ce que je voulais vous exposer, pour que vous puissiez vous-mêmes le vérifier dans les paroles de Rudolf Steiner, c’est ceci : Rudolf Steiner a été cette personnalité qui a été inspirée par le Bodhisattva du 20ème siècle, et par laquelle cette mission du Bodhisattva du 20ème siècle a été accomplie :

· D’une part, parce que Rudolf Steiner a annoncé et préparé pendant vingt ans la venue du Christ au plan éthérique.

· Et d’autre part, parce qu’il a créé la Société Anthroposophique et l’a élevée par le Congrès de Noël à une union avec le mouvement anthroposophique, afin qu’elle en devienne l’instrument, lorsque le temps de son action terrestre (celle de Rudolf Steiner, N.D.T.) sera passé.

Ce n’est pas sans raison qu’il déclarait à Leipzig, le 4 novembre 1911 : « C’est la tâche de l’Anthroposophie, d’annoncer la présence du Christ sous sa forme éthérique ». C’est le legs qu’il nous a fait, par lequel il est resté, même après sa mort, l’annonciateur du Christ éthérique. Et, mes chers amis, cette tâche, qui est la nôtre, est inscrite dans le cosmos éthérique et elle attend de nous sa réalisation. C’est ce que nous ne devons pas oublier à tout moment.

Naturellement, nous pouvons encore soulever toutes sortes de questions. Par exemple : Pour quelle raison cette cachotterie pleine de mystère ? Rudolf Steiner ne pouvait-il pas tout simplement expliquer ouvertement : Oui, je suis cet homme, par lequel s’exprime le Bodhisattva du 20ème siècle ?

Non, mes chers amis ; à l’époque de l’intellectualité et de la liberté, cela aurait constitué un manquement vis-à-vis de ces qualités.

C’est à notre intellect , formé à l’étude de son oeuvre, qu’il devait laisser la liberté de comprendre correctement le sens de ses paroles obscures, afin que l’autorité de sa personnalité ne nous fît pas violence !

« Mais pourquoi donc nous égarer ? Il ne suffit pas que ces paroles soient obscures, elles peuvent aussi directement nous induire en erreur ! »

Eh bien ! Mes chers amis, pas plus que nous ne pourrions jamais choisir le bien, si nous n’avions pas la possibilité de faire le mal – cette vérité ne peut pas davantage être conquise de haute lutte dans l’âme, si à l’autre bout de l’effort de vérifier soigneusement toute connaissance, ne se trouvait pas la possibilité de l’erreur.

Mais il a donné assez d’indications, pour nous guider dans la bonne voie. Ainsi dans la 10ème conférence du cycle 19 , où il nous dit à quoi on peut reconnaître l’être humain inspiré par le Bodhisattva. Et dans la 9ème conférence de « l’Évangile de Luc », où il précise textuellement : « Il est bien connu de ceux qui sont versés dans la science spirituelle, et le temps viendra même un jour où l’on pourra évoquer ces faits en détail, et où aussi on pourra prononcer le nom de ce Bodhisattva » (À la page 171, aux Éditions Triades, avec une légère variante, N.D.T.).

Ne dit-on pas ainsi d’une manière irrécusable : Le Bodhisattva est là, il est déjà parmi nous. Il est même bien connu par ceux qui sont ferrés en science spirituelle. Et un jour, vous en connaîtrez le nom !

Je me laisserais aller à insérer ici un vécu personnel qu’il me semble important de vous faire part.

On peut « logiquement » concevoir mes développements d’aujourd’hui. Logiques, il le sont aussi. Mais ces paroles ont une saveur étrange pour mainte personne. C’est pourquoi je crois qu’il est juste que j’ajoute ceci :

Certes, mes exposés relèvent purement du monde des idées. Mais la connaissance, que Rudolf Steiner était l’instrument du Bodhisattva du 20ème siècle, elle vit en moi depuis 1911. Ce n’était pas une connaissance intellectuelle. C’était une expérience vécue. Si j’ai fait le silence sur cette connaissance jusqu’à aujourd’hui – et même encore cinq ans après la mort de Rudolf Steiner –, c’est parce que je n’étais pas auparavant en situation de l’exposer parfaitement sous une forme idéelle, comme Rudolf Steiner l’exige de nous. Et c’est ici que je voudrais insérer une parole directrice de Rudolf Steiner.

Un jour, alors que le Dr. Unger et moi-même, nous demandions à Rudolf Steiner jusqu’où nous pouvions aller dans nos conférences de branche et aussi dans nos conférences publiques, en ce qui concerne toute la connaissance ésotérique qu’il nous avait déjà donnée à l’époque, il rétorqua : « Vous pouvez transmettre tout ce qui sort du plus profond de vous-mêmes, si vous le développer sous une forme idéelle et si cela reste soumis à la pure logique  ». Ce fut dès lors, pour nous deux, l’élément directeur de nos conférences – et cela jette peut-être une lumière sur les quatre dernières conférences ésotérique de Carl Unger.

Mais c’est précisément pour cette raison que je n’ai pu aujourd’hui vous exposer qu’une partie de mes expériences d’alors – Je dois patiemment attendre de parvenir à une forme idéelle pour en exposer le reste.

Mes chers amis ! Il n’est pas possible d’épuiser ce thème dans une conférence. Je pourrais encore signaler maintes contradictions apparentes. Mais que signifieraient de si petites contradictions vis-à-vis des faits grandioses que je viens de vous donner en exemple !

1) Le fait que Rudolf Steiner a sans cesse répété : La mission du Bodhisattva du 20ème siècle, c’est d’annoncer le Christ éthérique, tout comme la mission de Jeshu ben Pandira était d’annoncer le Christ physique – et on reconnaît l’homme inspiré par le Bodhisattva à cette proclamation.

2) Le fait que Rudolf Steiner a accompli cette mission, en étant, pendant vingt ans, le seul et unique annonciateur du Christ éthérique. Et ensuite :

3) Il existe encore un passage où il laisse entrevoir qu’il est lui-même cet homme inspiré par le Bodhisattva.

Oui, mes chers amis, il a exprimé cela une fois, même si c’est, comme toujours, sous une forme cachée, déguisée – et sans doute dans la 10ème conférence du cycle 15 , « L’Évangile de Matthieu ».

Ce chapitre commence par un bref résumé de ce qui avait été dit les jours précédents. La récapitulation s’achève par ces mots : « C’est ce que nous avons expliqué dans les heures précédentes ». Et plus loin : « C’est de ce point de vue que nous avons caractérisé les neuf béatitudes qui se trouvent au commencement du Sermon sur la Montagne. Nous pouvons encore poursuivre notre étude » etc..

Quel est donc ce « nous » ? Rudolf Steiner, naturellement ; il utilise là justement la forme oratoire qui consiste à s’exprimer au pluriel, en associant les auditeurs. Vous trouvez donc fréquemment dans ses conférences ce « nous », qu’on doit naturellement comprendre comme un « je ».

Lisons à présent la conclusion de la 10ème conférence du cycle édité récemment, «  Matthaüs-Evangeliums »  ( Évangile de Saint Matthieu, Éditions Triades, p.184. N.D.T.) :

« Si la doctrine essénienne doit être renouvelée à notre époque, si nous voulons vivre – non pas selon l’esprit de la tradition d’un ancien Bodhisattva, mais dans l’esprit vivant du nouveau Bodhisattva, nous devons aussi nous laisser inspirer par le Bodhisattva qui, un jour, deviendra le Maïtreya-Bouddha. Et ce Bodhisattva nous inspire d’une manière telle qu’il attire notre attention sur le fait suivant : le temps approche où le Christ, sous une forme nouvelle, éthérique, sera une grâce pour les hommes. Par une sorte de sagesse essénienne renouvelée, ces hommes auront développé de nouvelles forces revivifiées dans l’époque où se produira le retour du Christ dans son vêtement éthérique. Nous voulons tenir ce discours tout à fait dans l’esprit de ce Bodhisattva qui nous inspire et qui deviendra un jour le Maïtreya-Bouddha. Nous savons ensuite que nous ne parlons pas du Christ à la façon d’une quelconque confession religieuse, selon laquelle Il devrait redevenir perceptible au plan physique, et nous ne craignons pas d’affirmer qu’il nous serait absolument égal de prétendre autre chose si nous n’avions pas reconnu ce fait comme une vérité ; nous n’avons pas non plus de préférence pour une doctrine religieuse orientale de quelque nature que ce soit, mais nous ne vivons que pour la vérité. Nous disons comment sera la nouvelle apparition du Christ à partir de la forme d’inspiration que nous avons apprise à connaître du Bodhisattva lui-même » .

Vous voyez, ici aussi, Rudolf Steiner s’exprime sous la forme du « Nous », qui ne peut être pourtant qu’une circonlocution de la forme du « je ».

Et maintenant, s’il vous plaît, considérez tout cela en relisant bien les quatre passages dont il est question dans la conclusion qu’on vient de lire :

1) « ... nous devons aussi nous laisser inspirer par le Bodhisattva qui, un jour, deviendra le Maïtreya-Bouddha ».

2) « Et ce Bodhisattva nous inspire d’une manière telle qu’il attire notre attention sur le fait suivant : le temps approche où le Christ, etc. ».

3) «  Nous voulons tenir ce discours tout à fait dans l’esprit de ce Bodhisattva qui nous inspire et qui deviendra un jour le Maïtreya-Bouddha ».

4) « Nous disons comment sera la nouvelle apparition du Christ à partir de la forme d’inspiration que nous avons apprise à connaître du Bodhisattva lui-même » .

Remplacez maintenant les « Nous », par le « Je », qui était sous-entendu, et vous avez la solution.

Oui, les choses sont déjà très sérieuses. Car chercher aujourd’hui le Bodhisattva, alors que celui-ci a réalisé sa mission, a vécu et agi parmi nous – rechercher donc de nos jours le « futur » Bodhisattva – que signifierait cela ?

Cela voudrait dire recommencer la tragédie du Judaïsme.

Mes chers amis ! Le Messie, que les Prophètes avaient annoncé, a vécu et agi parmi le peuple juif. Et aujourd’hui, deux mille ans après sa venue, les descendants de ce peuple attendent encore le Messie. De nos jours, parmi les Juifs orthodoxes, il existe encore des hommes dont le premier geste le matin, consiste à regarder par la fenêtre, vers l’est, pour voir si le Messie n’est pas arrivé pendant la nuit. Certes, dans notre époque éclairée, nous sourions à l’évocation de tels rites surannés – mais un tragique infini se reflète en eux.

Et préserver d’un tragique analogue, c’est ce qui m’apparaît comme un devoir sacré.

Vous exhorter, mes chers amis, vous renvoyer à une mise à l’épreuve sans préjugé, avec l’aide de l’oeuvre même de Rudolf Steiner, tel est selon moi l’engagement dont je suis redevable à l’esprit de Rudolf Steiner – un devoir digne de ce jour qui commémore la mort de Rudolf Steiner.

Adolf Arenson

(Traduction Daniel Kmiécik , Deuxième rédaction non modifiée. )

Texte paru, pour la première fois en France, dans Anthroposophie & Liberté , N°23, de Mai 1999.

(*) Adolf Arenson, musicien et ésotériste, fut un très proche collaborateur de Rudolf Steiner ; il composa la musique accompagnant les Drames-Mystères, et participa de près à la tenue des conférences de Steiner et à leur diffusion.

Notes :

(1) Cycle 10/1. GA 114 L’Évangile de Luc

(2) Cycle 30/1. GA 124 Esotérisme de l’Évangile de Marc

(3) Cycle 10/2.

(4) Cycle 19/10. GA 131 De Jésus au Christ

(5) Cycle 19/9.

(6) Cycle 15/4 GA 123 L’Évangile de Matthieu

(7) Cycle 15/6.

(8) Cycle 19/10. GA 131 De Jésus au Christ

(9) Cycle 19/10.

(10) Autobiographie Mein Lebensgang , Ch. 22.


Retour à l'accueilRetour sommaire Rudolf Steinerpage précédente