"Force et substance"
Une conférence
de Rudolf Steiner, tenue à Landin pendant l'été 1906
(d'après des notes en sténographie de Mathilde Scholl)
L'origine lointaine de toutes
les choses, l'énergie primitive, l'archée, est une unité
indifférenciée. Elle est en même temps infiniment grande
et infiniment petite. Elle est centre et périphérie et la plénitude
de vie infinie qui coule à travers tout et qui relie le centre à
la périphérie. Elle est le plus grande calme et la plus grande
activité dans le même temps. Elle est la force incessamment
active qui ne connaît aucune interruption de son action. Elle est tout
aussi bien lumière sans ombre qu'obscurité sans lumière;
elle est tout aussi bien tout que rien. Comprendre l'action de l'Un, nous
ne le pouvons pas, pourtant, à partir des lois révélées,
nous pouvons nous faire des images des lois selon lesquelles l'archée
s'est manifestée dans le monde.
Observons la chose suivante:
plus une substance est grossière, moins elle s'extériorise
par la propre force (ou énergie, ndt) qu'elle renferme. Plus une substance
est subtile, plus elle exerce des effets puissants sur son environnement.
Un morceau de glace exerce moins d'effet sur le monde qui l'entoure que la
même substance lorsqu'elle est rendue plus subtile en fondant et en
donnant de l'eau. Comme tout ce qui est liquide, l'eau aspire à agir
sur le monde environnant. Lorsque l'eau est rendue encore plus volatile et
subtile, sous l'effet d'une chaleur plus intense, elle possède alors
un effet encore plus grand sous la forme de vapeur d'eau. Nous pouvons donc
conclure de cette observation que plus la substance est subtile, plus intense
est sa force dans le monde environnant. Les substances dans un état
plus subtile sont des forces qui agissent au sein des substances dans un
état plus grossier, qui s'infiltrent dans les espaces interatomiques
du reste des substances, dilatent et affinent les atomes, en les attirant
l'un contre l'autre, si bien que cet affinement de la substance la rendra
plus continue qu'elle n'était auparavant. Dans le solide, il n'existe
pas de substances réellement en contact. Tous les atomes physiques
sont disposés de telle manière qu'ils oscillent dans un champ
et ne se touchent en aucun point. À quel point les substances physiques
sont divisibles, c'est ce que nous voyons tous dans le procédé
par lequel nous détachons des parties de substance solides au moyen
d'interventions mécaniques ou bien par élimination chimique.
De la même manière, nous ne pouvons pas détacher des
parties de substances liquides ou gazeuses. Que je prélève
une partie d'une certaine quantité d'eau en la puisant, le "vide"
ainsi formé se comble aussitôt par l'eau restante, qui afflue
pour le remplir. L'élément liquide ne souffre d'aucun partage
de la façon dont on procède pour l'élément solide.
Il détient aussi la force de combler tout vide; ce que le solide,
de cette
façon et à partir de sa propre force, ne peut pas faire. Si
j'enlève quelque chose de solide et que je le transporte en un autre
lieu, l'élément solide, qui entoure le vide ainsi créé
dans la substance, ne tend pas à le combler. Mais l'eau, elle, nous
savons qu'elle s'y efforce. Et il est connu que toute eau sur la terre se
trouve perpétuellement en mouvement, en coulant ou en s'évaporant
d'une part, et en se condensant, d'autre part. Qu'un vide surgisse n'importe
où dans ce qui s'écoule, et tout élément liquide
de l'environnement tend à venir combler ce vide. C'est là-dessus
que repose toute mise en oeuvre avec l'énergie hydraulique. Nous pouvons
conclure de ces observations que tout élément liquide de la
terre s'efforce toujours de remplir les vides là où ils surgissent
au sein de cet élément liquide. Quelle force se révèle
ainsi dans l'élément liquide, c'est ce que nous reconnaissons
dans le fait que celui-ci imprègne tout solide, le dissout, l'entraîne
dans ses flots et se fraye un passage au travers. Nous observons ces mêmes
lois de l'élément liquide chez l'élément gazeux;
lui aussi ne tolère aucun vide. Des vides au sein de la substance
gazeuse sont aussitôt comblés par la substance environnante.
L'élément gazeux dispose d'une force plus importante que l'élément
liquide. Les petites parties individuelles de l'élément gazeux
sont encore plus petites que les petites parties individuelles du liquide.
Et elles ne sont pas si éloignées les unes des autres que dans
l'élément liquide et ont une plus grande tension (ou pression
de vapeur saturante, ndt).
L'élément gazeux est pénétré par des
substances encore plus subtiles, par l'éther dans ses divers degrés
de densité, et cet éther dispose par contre de forces encore
plus puissantes que l'élément gazeux et a encore plus la tendance
à combler tout vide. Il est encore plus continu que l'élément
gazeux et présente une tension interne encore plus importante.
Si nous pénétrons de cette façon dans les propriétés
des substances, nous découvrons que les substances les plus solides
disposent de moins d'énergie et possèdent la composition la
plus grossière, leurs petites parties constitutives sont le plus éloignées
les unes des autres et elles présentent une moindre tension de vapeur.
Plus la substance est subtile, plus ses parties constitutives sont petites
et se rapprochent davantage les unes des autres et plus la substance dispose
d'une tension importante et d'autant plus de force. La force par laquelle
une substance plus grossière est maintenue en tension, c'est la substance
plus subtile. En comparaison avec une substance plus grossière, une
substance plus subtile est la force, et comparativement à une substance
plus subtile, ce qui s'extériorise en tant que force par elle [lacune
dans le texte] c'est la même chose qui agit en tant que force dans
la substance plus grossière, pour la force la plus subtile la substance.
La substance plus subtile est donc toujours la force qui confère des
formes déterminées à la substance plus grossière.
La substance plus grossière est enchâssée dans la substance
plus subtile. Tous les espaces interatomiques de la substance plus grossière
sont remplis par des substances plus subtiles. Tout comme les substances
solides sont remplies et imprégnées par l'élément
aqueux, celui-ci est à son tour imprégné par l'élément
gazeux et ce dernier par l'élément éthérique
et ainsi de suite. Des substances plus subtiles imprègnent toujours
les substances plus grossières. Si nous suivons cela en pénétrant
toujours plus loin dans les substances plus subtiles, nous devons nécessairement
parvenir une fois à une substance qui est la plus subtile, qui est
entièrement continue, au point que ces particules constitutives se
touchent absolument et passent de l'une à l'autre, une substance qui
est en même temps la plus subtile, mais aussi la plus continue et possède
la tension interne la plus élevée et en même temps la
plus grande énergie, qui porte en elle toutes les autres et imprègne
toutes les autres. Cette dernière est l'énergie et la force
originelle, qui porte en elle toutes les autres substances et forces et réunit
tout ce qui est, maintient tout en tension et confère énergie
et vie à tout ce qui est existant. Elle est en même temps la
plus petite partie, mais aussi la plus grande, parce qu'elle forme une totalité
unique avec toutes ses particules individuelles, parce que sa substance est
continue. Son image reflet est l'atome physique, parce que toutes les énergies,
jusqu'à l'énergie originelle y ont pénétré
(dans l'atome, ndt), parce qu'il renferme toutes les énergies en germe.
Tandis que cette énergie et cette substance originelle a fait naître
d'elle toutes les forces et toutes les substances, elle continue de vivre
d'un autre côté dans tout ce qui est, en descendant jusqu'au
plan physique, où elle se concentre dans les atomes isolés.
Le plan physique est tout aussi imprégné par toutes les forces
supérieures, que l'énergie originelle renferme en elle toutes
les forces inférieures. La force originelle, qui enveloppe tout, a
structuré à partir d'elle-même toutes les autres forces
par condensation de particules isolées, amoindrissement de la tension
et diminution de la continuité, jusqu'à atteindre finalement
le point où la tension eut presque disparu, où les particules
isolées, qui étaient les plus grossières, furent au
plus éloignées possible les unes des autres, où elles
eurent le minimum d'énergie propre. C'est précisément
pour cette raison que le plan physique est celui sur lequel toutes les forces,
jusqu'à y compris l'énergie originelle, peuvent parvenir à
une expression de formes objectives. Moins une substance possède d'énergie
propre, plus elle est dépendante des autres énergies et plus
d'autres énergies peuvent facilement opérer en son sein. Le
plan physique, et en particulier le règne minéral, fut celui
où les forces les plus hautes purent parvenir à agir et s'exprimer
le plus facilement, parce qu'elles y rencontrèrent le moins d'énergie
propre, le moins de résistance. Les substances les plus solides du
plan physique ne possèdent que très peu de forces d'élasticité
(tonicité ou tension interne, ndt). Mais une plus forte tension interne
se manifeste aussi dans le physique dans le magnétisme, dans l'électricité
et dans la radioactivité. La radioactivité est une force de
tension interne plus importante qui fait éclater les atomes physiques,
les sépare, les affine en leur conférant même de ce fait
une plus grande tension interne, et donc la tendance à remplir leur
environnement, et c'est pourquoi le rayonnement continue a lieu sous la forme
de particules si petites qu'une diminution du volume du corps radioactif
est à peine perceptible. Le corps radioactif est transposé
dans une tension qui va au-delà de la tension du liquide ou du gazeux.
Il est donc nécessaire que de très subtiles courants éthériques
provoquent cette tension.
Avec le magnétisme, nous observons aussi un accroissement de la tension
interne d'une manière telle que des particules solides de fer etc.,
qui se trouvent dans l'aimant naturel, sont attirées. Par la force
de tension d'un aimant, la force de tension est stimulée en substances
apparentées et de ce fait la gravité surmontée. La pesanteur
est un manque de force de tension propre. L'air est moins lourd que l'eau
et le solide, parce qu'il possède lui-même une plus grande force
de tension. Que surgisse dans le solide une force de tension plus grande,
alors la pesanteur est surmontée, comme lors de l'attraction du fer,
sinon une substance lourde, par l'aimant.
L'électricité est aussi une manifestation d'une force de tension
plus intense d'une substance dont les particules isolées se rapprochent
beaucoup plus que celles de l'élément gazeux. Elle est une
expression de la force de tension et de la continuité d'une substance
beaucoup plus subtile qui imprègne tout ce qui est physique. Parce
que cette substance possède davantage de tension, elle dispose d'autant
plus d'énergie et de continuité au point de ne pas avoir besoin
de liaison. Le temps doit venir où l'on pourra se servir de cette
énergie plus intense, qui repose dans la substance plus subtile, plus
continue, d'une manière telle que pour son entremise, toutes les substances
solides seront considérées comme superflues. Si aujourd'hui
nous conduisons encore l'électricité au moyen de câbles,
cela tient au fait que nous ne savons pas encore influencer directement la
substance plus subtile, ni susciter la force plus intense, sinon indirectement,
par le truchement d'autres substances, dans lesquelles elles sont à
éveiller au plus aisément. Keely a dû comprendre cela
et dépister cette force plus intense dans son propre retranchement,
c'est-à-dire qu'il a dû se mettre directement en liaison avec
cette force, tandis que les autres ne parvenaient à elle que par
des voies détournées et la poussaient à agir. L'utilisation
de la télégraphie sans fil est une approche de cette [force]
véritable, sans le milieu médian d'autres substances.
Afin que l'être humain puisse opérer avec les énergies
les plus subtiles, il doit lui-même s'affiner. Il doit toujours plus
adapter les forces plus grossières aux énergies plus subtiles.
Par l'affinement du corps physique, l'âme humaine pourrait toujours
plus s'y exprimer. Par la purification de l'âme, l'esprit pourrait
toujours plus se lier à celle-ci. Cet affinement de la substance,
la métamorphose elle-même en l'énergie qui y agit. L'évolution
cosmique descendante consistait à transformer l'énergie en
substances toujours plus denses, par l'amoindrissement des forces, diminution
de la tension interne et de la continuité. L'évolution ascendante
de l'être humain, qui est lui-même un germe d'énergie
cosmique, consiste dans la métamorphose des substances en forces,
par affinement des substances, par le renforcement de la tension interne,
par accroissement de la continuité. Telle que la substance existe
maintenant, elle n'est pas continue; de même que l'âme humaine
n'est pas continue, ni sa conscience. Lorsque l'être humain affine
sa substance physique, il transforme cette substance en énergie; lorsqu'il
purifie sa substance d'âme, celle-ci aussi est transformée en
énergie; elle se rapproche de plus en plus de la substance spirituelle,
qui agit en elle sous la forme de force. Cet affinement de la substance d'âme
est amené par la purification et la transformation de la passion (de
l'emportement aussi, ndt), du feu karmique en l'être humain. La passion
doit être spiritualisée comme le feu est métamorphosé
en lumière par la transformation en substances plus apurées.
Tandis que la substance encore plus élevée, l'esprit divin,
agit en tant que force de l'âme, la substance d'âme est transformée,
portée à un degré plus élevé; sa tension
interne est renforcée; elle devient plus continue (homogène,
ndt) et c'est la raison pour laquelle ses manifestations en tant que forces
deviennent plus continues. La vie de l'âme parcourt des trajets plus
vastes; elle devient plus rythmique, et c'est pourquoi la conscience peut
aussi devenir plus rythmique, plus continue. Parce que la substance d'âme
est devenue semblable à la substance de l'esprit, l'énergie
supérieure, qui se manifeste en tant que conscience dans les diverses
substances de l'être humain, peut passer d'une substance à l'autre
sans interruption, alors que cela est impossible aussi longtemps qu'existent
en lui de grandes différences entre l'âme de l'homme et l'esprit
divin, et que la conscience ne peut descendre que de manière discontinue
de la sphère supérieure dans l'inférieure, ou inversement
remonter. La substance affinée, transformée, d'une sphère
d'existence forme ainsi le pont, le lien à la suivante, la substance
plus haute. Toute notre ascension dans les mondes supérieurs est remise
entre nos mains; nous y parvenons par la purification qui transforme la substance
en énergie, tout comme notre descente a résulté de la
transformation d'énergie en substance. L'énergie que nous acquérons
de haute lutte, par cette transformation de la substance, nous rend ensuite
capables de la mettre en relation avec toutes les parties apparentées
de cette énergie. Que nous transformions notre substance d'âme
en énergie supérieure, alors nous devenons capables, par l'entremise
de la force d'âme acquise de haute lutte, de trouver un accès
à toutes les forces de l'âme du monde. Que nous transformions
nos pensées inférieures en une vie supérieure des pensées,
alors les pensées universelles affluent vers nous. Que nous transformions
notre force de vie en une vie plus haute, plus pure, plus dévouée
aux autres, alors nous entrons en relation avec la vie supérieure
du monde. Nous pouvons cela parce qu'en nous confluent toutes les énergies
et toutes les substances, pour nous édifier. Nous vivons et reposons
dans l'énergie et la substance originelle et dans tout ce que celle-ci
a fait naître d'elle en substances et en énergies. Et dans chaque
atome de notre corps physique il se produit une confluence de toutes les
énergies cosmiques. Et chaque atome de notre corps physique est entouré
et imprégné par toutes les substances cosmiques. C'est pourquoi
il n'existe rien que l'être humain ne puisse atteindre. Pour tout,
le moyen lui a été remis entre les mains pour édifier
tout son être; l'énergie est enfouie en lui par l'énergie
originelle elle-même. Pour la première fois, cela parvient à
la conscience de l'être humain, si son Je s'éveille, après
le premier attouchement de l'énergie originelle avec la substance
solide la plus dépourvue de force formée à partir d'elle
(l'énergie originelle, ndt). Désormais, l'énergie originelle
pouvait commencer, par les ego humains isolés, à travailler
au sein même de la matière solide. Au travers des individualités
humaines, la transformation extérieure du cosmos a commencé.
Ces individualités remanient la forme solide de la terre par l'insinuation
de l'énergie spirituelle divine en elle. Dans la nature, [tout] autour
de nous, nous devons reconnaître les lois, selon lesquelles tout naît
et se développe, et l'être humain doit aussi oeuvrer consciemment
dans cet ensemble en respectant ces lois. Les substances en vue de l'évolution,
il les a toutes en lui dans chaque atome, l'énergie est enfouie en
lui, et il est relié à l'énergie originelle pour l'éternité;
les lois par lesquelles cette énergie doit agir avec les substances
qui lui ont été concédées, il les discerne dans
les règnes de la nature [tout] autour de lui. Il est appelé
à gouverner ces règnes de la nature; mais pour pouvoir agir
en eux avec toutes ses forces, il doit d'abord maîtriser ses propres
forces. Après avoir mis en ordre et inséré dans le rythme
de l'énergie originelle tout ce qui est en lui, il peut contribuer
à métamorphoser l'ensemble du monde et le faire passer dans
une harmonie plus grande.
Der Europäer,
9/10, 2001
Traduction non revue par la
rédaction de Der Europäer
![]() |
![]() |
![]() |