Les rythmes de la vie et leur origine dans le cosmos

Günther Wachsmuth

Chacun de nous sait par les journaux, et aussi par expé rience, que certaines années nous apportent des vagues de chaleur, de sécheresse, des inondations, d’une intensité extraordinaire et souvent catastrophique. En face de ces phénomènes très actuels, il est intéressant d’observer des phénomènes qui se rapportent à l’atmosphère et à la météorologie. Goethe avait carac térisé en son temps ce problème si complexe et divers, en disant : « Nous sommes entourés d’une atmosphère, mais nous ignorons ce qui vit en elle et de quelle manière elle se trouve reliée à notre esprit. »

En comparant l’univers et la terre, le macrocosme et le micro cosme, on peut faire cette remarque que l’un et l’autre forment un ensemble présentant un aspect triple : il y a d’abord les lois cosmiques et les lois terrestres. Ces deux ordres de faits sont parfois en harmonie, parfois en conflit, mais dans un échange constant. Le lieu de la rencontre, et souvent du combat, c’est le troisième élément, l’atmosphère de la terre, le domaine de la météorologie. Rudolf Steiner a souvent dit que lois du Cosmos et lois de la planète ne pourraient subsister en même temps s’il n’existait le domaine médian de l’atmosphère, qui constitue un champ d’équilibre entre les deux.

Cette triplicité se retrouve également dans la constitution de l’homme. Il y a un homme d’en-haut (la tête), un homme d’en-bas (les membres, les fonctions digestives), et entre les deux un intermédiaire qui est le système rythmique. Mais l’analogie n’est pas absolue entre l’univers et l’homme. L’homme a un système médian, compensateur, qui a son propre rythme. Il n’en est pas de même pour l’univers. L’atmosphère et les phénomènes météorologiques forment une sphère de combat. L’atmosphère est forcément chaotique ; au contraire, chez l’homme, le système rythmique est appelé à établir l’harmonie. C’est pourquoi ce serait une erreur de voir (comme on l’affirme parfois) dans les phénomènes atmosphériques l’origine de certains rythmes qui apparaissent chez l’homme. Ces rythmes ont une origine bien plus complexe. Il faut tout d’abord se faire une idée plus exacte de la nature du rythme, qui se comprend mieux par l’idée de temps que par celle d’espace.

Pour Rudolf Steiner, les hommes, au cours des quatre der niers siècles (du début du XV e à la fin du XIX e , ont eu pour tâche de se faire une conception du firmament selon l’espace. C’est pourquoi, à l’aube de cette période, apparaissent des esprits tels que Giordano Bruno, Copernic, Kepler, Galilée. Depuis le début du xx e siècle, nous avons pour tâche de nous former une nouvelle conception du firmament, selon le temps. Et pour cela, le rythme est naturellement d’une importance capitale. Il est donc devenu indispensable de comprendre quel rôle joue le rythme dans l’univers : il y tient lieu de force. «II est nécessaire de se rappeler cette règle universelle : Le rythme remplace la force. C’est là un principe important. Aujourd’hui il y a une grande irrégularité dans la vie de l’homme, dans ses pensées, ses actions... Il devrait s’efforcer d’y introduire du rythme. » (R. St.)

L’homme a non seulement le devoir d’étudier les rythmes cosmiques, mais aussi celui de se former un rythme individuel. «Tout comme la vie physique dépend de l’atmosphère et du temps, il y a dans tout ce qui nous entoure enchaînement, réci procité. » (R. St.)

Au cours de l’évolution, l’homme s’est toujours vu dans la nécessité de posséder ses propres rythmes indépendants de ceux du Cosmos. Les peuples d’Orient qui n’avaient pas, eux, la mission de développer l’individualité, ont cherché à résoudre le problème en acquérant de la maîtrise sur leur propre respi ration. Actuellement, l’homme a une toute autre tâche, celle de mettre du rythme dans sa pensée et ses actions. Il ne nous est plus permis de nous abandonner tout simplement aux rythmes de la nature, ou de synchroniser avec eux les rythmes de notre organisme ; il faut que nous formions consciemment le rythme de notre être tout entier et de notre vie personnelle. Il y a là pour nous une nécessité d’autant plus grande que nous consa crons nos forces à un travail intellectuel et spirituel, indivi dualisant de plus en plus notre activité.

Lorsqu’on prend en soi les forces de la terre pour les appli quer à une activité de l’esprit, on soustrait pour ainsi dire des forces à son corps, et c’est ici qu’en revanche, le rythme doit exercer son action compensatrice. Les phénomènes rythmiques de notre organisme sont intermédiaires entre le corps et l’esprit ; ni tout à fait physiques, ni entièrement spirituels. «Le processus rythmique n’est pas entièrement physique, ni dans la nature ni dans l’homme. On pourrait dire qu’il est à demi-spirituel. » (R. St.)

Quelle est l’origine des rythmes qui sont en nous mais que nous ne formons pas nous-mêmes ? Nous ne les empruntons pas au domaine chaotique de la météorologie, mais au-delà de cette sphère intermédiaire, à la sagesse qui gouverne les sphères planétaires et les étoiles fixes. Voici un exemple de la relation entre rythme cosmique et rythme humain :

En général, l’homme respire 18 fois par minute, ce qui fait en un jour
18 X 60 X 24 = 25 920 respirations, chiffre qui
correspond exactement au nombre d’années que met le soleil à parcourir, par son point vernal, tous les degrés du Zodiaque. Ces rapports entre l’univers et l’homme expriment une concordance empreinte de sagesse. Nous constatons le contraire lorsque ce n’est pas la sphère des étoiles qui agit sur nous mais celle des phénomènes atmo sphériques, des actions météorologiques. Au lieu d’en retirer de la santé, nous ressentons des névralgies, des migraines, des troubles d’estomac, de l’asthme, bref des perturbations. Le sang, les nerfs, l’estomac se révoltent dès que l’organisme cède aux influences de l’atmosphère.

La littérature moderne, en ce domaine, est bien curieuse. Nos contemporains semblent rechercher avec ardeur la trace de ces influences. Ils aiment montrer l’homme soumis à ces phénomènes. Les savants se passionnent pour ce parallélisme entre la vie de l’homme, son âme, son esprit, et les actions météorologiques. Cette manière de généraliser outre mesure certains rapports — qui existent très certainement mais pas tant qu’on veut le dire, — aboutit à un affaiblissement de la conscience de soi-même. L’homme se croit dominé fatalement, peut-être entièrement déterminé, ce qui a un effet déprimant sur sa volonté.

Goethe eut à son époque une autre manière d’envisager ces phénomènes. Il était loin de les nier, les connaissait même dans toute leur portée, car il les a étudiés minutieusement. Mais il pensait qu’il appartenait à la nature même de l’homme de s’affirmer en face de ces influences et à leur contact, en un mot de les surmonter. « C’est incroyable, dit-il, ce que l’esprit a d’empire sur le corps physique. Je souffre souvent de maux de ventre, mais par la volonté de mon esprit, les forces de mon être supérieur, je me maintiens en équilibre. Il faut seulement que l’esprit ne cède pas au corps. Je travaille mieux quand le baromètre est haut que lorsqu’il est bas. Mais le sachant, je travaille en me donnant plus de mal quand le baromètre est bas, pour annuler l’influence défavorable, et j’y arrive.»

Pour lui, l’essentiel était d’abord de se bien connaître, puis de faire l’effort de surmonter systématiquement ces influences. Goethe savait par expérience personnelle que toute la vie humaine est soumise, jusque dans les mouvements de l’âme et de l’esprit, à certains rythmes dont l’homme doit se rendre conscient ; car seulement ainsi il les dirige. « La vie en nous, dit-il, est toujours en état de systole et diastole, d’aspir et de respir. Même s’il n’est pas possible de se l’expliquer, il faut au moins l’observer exactement et y prêter attention . »

Ainsi, dès qu’on veut étudier les phénomènes du rythme, l’important est de savoir quelles sont les irrégularités qu’intro duit dans la vie humaine l’influence météorologique, et dans quelle mesure l’homme peut développer en lui les forces suffi santes pour établir son rythme individuel et surmonter par le « Je » les influences du dehors.

Comme nous le disions plus haut, on s’occupe beaucoup à l’heure actuelle d’étudier l’homme comme un être placé au sein d’un champ cosmique, et de voir dans les maladies, le rythme des guerres, des épidémies, des vagues de chaleur et de froid, l’écho de périodicités atmosphériques. La liberté humaine devient alors quelque chose de purement illusoire.

Il va sans dire que les phénomènes dénotés par la pression atmosphérique, le baromètre, ont une action réelle sur l’être humain, et notamment le malade. C’est pourquoi il faut étudier ce phénomène avec une attention d’autant plus grande. Voici par exemple une observation communiquée par le directeur d’un sanatorium : Observant la fréquence de certaines plaintes des malades, il s’aperçut des résultats fâcheux qu’avait sur eux la chute du baromètre : Troubles de la digestion, de la circu lation, des troubles nerveux, dépressions psychiques. Le Dr Lahmann dit notamment que les organes de la digestion doivent avoir une importance spéciale pour transmettre dans tout le corps les influences défavorables dues aux oscillations de l’atmosphère.

Il existe une maladie peu répandue dont les symptômes varient directement selon les modifications de l’atmosphère ; c’est l’hémophilie, maladie qui n’a pas été sans influencer certains événements historiques, si l’on se souvient que le fils du dernier tsar en était atteint et que pour cette raison Raspoutine pénétra dans la famille impériale. Il a été prouvé que ce ne sont pas les grands rythmes, mais les perturbations promptes et subites de la pression atmosphérique qui agissent sur les symptômes de cette maladie. Kritzinger écrit : « Ce ne sont pas les grands changements atmosphériques, relativement durables, qui exercent de l’influence, mais ce sont les changemen ts brusques qui sont les plus dangereux. »

D’autre part, des savants ont découvert des rapports entre les oscillations atmosphériques périodiques et les émanations de l’air, c’est-à-dire certains changements dans le processus respi ratoire de la terre. Ces savants recherchent les causes com munes qui pourraient expliquer de tels rapports. Mais on ne peut pas arriver à les expliquer si l’on ne prend pour base les phénomènes de la respiration terrestre. Il est nécessaire d’attirer l’attention sur ces choses si l’on veut comprendre les rythmes individuels de l’homme, les irrégularités qui s’y introduisent. Par sa respiration, les échanges de son organisme, l’homme se trouve sans cesse, bien qu’inconsciemment, pris dans cette mutation de forces.

A plusieurs reprises, j’ai déjà eu l’occasion de mentionner un phénomène qui intéresse le rapport existant entre la conduc tibilité de l’air et la formation de l’ozone. A des hauteurs très élevées, des couches d’air conducteur se renversent dans la journée de haut en bas. Durant les nuits d’été, ces couches d’air se trouvent à une hauteur de 90 à 130 km et l’hiver à une hau teur de 250 à 350 kilomètres. Le jour, ces couches d’air des cendent, aussitôt que les rayons du soleil les atteignent, jusqu’à une hauteur de 100 kilomètres, puis s’élèvent dès que la lune paraît à l’horizon. C’est un fait curieux que pendant la nuit et l’hiver ces couches atmosphériques s’éloignent pour ainsi dire de la terre, alors qu’elles s’en rapprochent durant le jour et l’été. Ces phénomènes ont déjà fortement influencé, comme on le sait, la réceptivité des appareils radiophoniques. Mais les influences exercées sur l’organisme humain font encore partie des problèmes non résolus. Nous ne savons pas, ainsi que le dit Goethe, en quel sens ces phénomènes « sont reliés à notre esprit ».

En dehors de ces rythmes journaliers et annuels, il existe des rythmes mensuels et lunaires. Dans le règne animal, le ver de Palolo, qui est un ver marin de la catégorie des néréides, est soumis, à certaines étapes de sa vie, et avec une grande précision, à l’influence des phases lunaires. Un jour avant le dernier quartier de lune, à l’aurore, les habitants des rives du Pacifique s’embarquent sur la mer, parce que cet animal rejette à inter valles précis certaines parties de sa queue, que les indigènes recueillent pour en faire un plat de prédilection.

En présence de ce phénomène qui s’accomplit exactement un jour avant le dernier quartier de la lune, il faut bien constater qu’il existe effectivement une influence lunaire sur les phéno mènes vitaux, sans qu’on ait pu cependant l’expliquer jusqu’à présent. On sait aussi qu’en certains pays, aujourd’hui encore, il est d’usage de stipuler dans les contrats de vente de bois que les arbres destinés à la fabrication de meubles ne doivent être abattus qu’à la lune décroissante, car on sait par expérience que les bois coupés peu avant la pleine lune sèchent difficilement. Tout ceci pour montrer quelle est l’influence de la lune sur divers phénomènes vitaux.

L’être humain se trouve inséré d’une manière spéciale dans le rythme annuel et, d’après certaines statistiques, il a été cons taté que c’est en juin et juillet qu’il y a le plus de crimes et de suicides et aussi le plus grand nombre de cas de folie. Logi quement on devrait penser que ces cas pourraient atteindre leur nombre maximum en hiver, quand les conditions d’exis tence sont plus dures. Mais selon les statistiques faites dans trois des plus grands pays d’Europe, il a été établi exactement que ces crises morbides sont plus fréquentes en juin, à l’époque où les jours sont les plus longs.

Pour expliquer ces faits, il faut s’en rapporter à nouveau aux phénomènes de la respiration terrestre qui prouvent qu’en été la terre a rejeté une grande partie de ses forces formatrices et se trouve dans un état de moindre concentration qu’en hiver. Rudolf Steiner, parlant de l’été, disait : «  Notre terre est un grand organisme spirituel. Cet organisme dort en été. Il a son sommeil le plus profond durant le solstice d’été, à l’époque des plus longues journées et des plus courtes nuits. » Ailleurs Rudolf Steiner dit que : « Durant l’été, la terre est dans un tout autre rapport avec l’univers que le reste de l’année et durant cette époque elle ne peut pas avoir avec lui le même lien intime.» Quand on considère ces phénomènes mi-physiques et mi-spiri tuels, on comprend qu’en été, juin et juillet, l’homme n’offre plus que le minimum de résistance à ces influences défavo rables.

Remarquons en passant que certains savants ont constaté qu’il existe des rapports entre les oscillations du magnétisme terrestre et les crises d’épilepsie ; d’autres ont trouvé une rela tion entre l’apparition des taches solaires et les cas d’apoplexie, etc. Il serait cependant erroné de vouloir tirer des conclusions fatalistes de ces phénomènes : cette connaissance ne devrait ser vir que d’avertissement pour éviter que ces influences viennent à affaiblir la force de résistance humaine. En redoublant d’acti vité, l’être humain arrivera à surmonter ces attaques, comme le dit Goethe.

Rudolf Steiner a fait remarquer que les Grecs se servaient de la Pythie comme d’un instrument de réception pour apprendre à connaître ces processus mystérieux. La Pythie entrait dans un état de conscience assourdi. Cela n’est naturellement plus la mission de notre époque ; il faut au contraire renforcer notre état de conscience pour arriver à une connaissance exacte de ces phénomènes. Par exemple, il serait bon, disait une fois Rudolf Steiner, d’avoir non seulement un calendrier ordinaire qui est le même pour tous, mais aussi un calendrier intérieur, individuel ; chacun devrait prendre conscience des rythmes qui lui sont propres ; chacun devrait pouvoir retracer sa propre courbe et ses propres dates.

Mais étudions de plus près les rythmes physiologiques, et ensuite les rythmes de l’âme et de l’esprit.

Rappelons que l’homme respire en moyenne 18 fois en une minute — quoiqu’il existe de nombreuses variations indivi duelles. Chaque être humain rend un son différent dans l’uni vers. On pourrait donc dire qu’il est nécessaire que chacun apprenne tout d’abord à connaître le nombre de vibrations de son propre instrument physique.

Un rapport à observer est celui qui existe entre les rythmes de la circulation et ceux de la respiration. Ce rapport se com porte comme 1 à 4. C’est-à-dire que pendant que l’on respire une seule fois, le pouls bat 4 fois.

Un autre rapport rythmique, que l’on a peu étudié jusqu’à présent, est celui existant entre la tête et les échanges orga niques. Ce rapport se comporte aussi comme 1 à 4. Rudolf Steiner dit à ce sujet « Il est un mystère important dans l’évo lution individuelle, — c’est que les processus de la tête ont des rapports avec le système inférieur, dans la mesure de 1 à 4... L’organisme de la tête vit 4 fois plus lentement que le reste de l’organisme. »

Il y a donc lutte continuelle entre la tête et les échanges organiques. Il faut en tenir compte pour comprendre comment se conservent les impressions sensibles, les souvenirs. La tête, plus lente, tâche de conserver plus intensément les expériences et les souvenirs, alors que l’organisme d’assimilation et de désassi milation, qui fonctionne plus rapidement, tend à les engloutir, à les effacer plus rapidement. La rencontre des deux rythmes se fait pendant le sommeil. «  Il s’ensuit qu’au matin, lorsqu’on a dormi là-dessus , comme on dit, on se rappelle l’essentiel et on a oublié ce qui est accessoire. Ce tri des images enregistrées dans la journée est une propriété du sommeil. Pour la même image, ce tri se répète généralement quatre fois. Ce n’est qu’après la quatrième nuit que la force du système inférieur cesse de s’exercer ; elle a absorbé tout ce qu’elle pouvait, de sorte que l’impression consciente qui subsiste prend alors la couleur définitive du souvenir. » (R. St.) Nous voyons donc qu’il est bon, avant de prendre une décision importante, de laisser s’écouler quatre nuits de sommeil pour arriver à distinguer l’essentiel de l’accessoire, au lieu de prendre une décision préci pitée. L’idéal serait d’emporter dans son sommeil, quatre nuits de suite, toute décision importante, avant de la mettre à exé cution.

Toutefois, dans le processus que nous venons de mentionner, il faut faire une distinction entre l’activité consciente et le développement physique. Alors que, pour la première, la partie supérieure est quatre fois plus lente et plus tenace pour conserver les impressions du monde sensible, le développement physique de la tête s’accomplit trois fois plus vite, comparé au reste de l’organisme. En ce qui concerne l’organisation de notre tête, nous sommes déjà des vieillards à l’âge de vingt ans, alors que pour le reste de notre organisme nous ne sommes des vieillards qu’après soixante ans. Et ce n’est pas tout. « Il n’existe pas seulement une différence entre le développement organique de la tête et celui du reste de l’organisme , il faut distinguer deux vitesses dilférentes dans la vie de l’âme. » ... « Car voilà le mystère de l’homme : Quand la tête est âgée de 28 ans, le reste de l’organisme demeuré plus en arrière dans son évolution, n’a encore accompli qu’un tiers ou un quart de ce temps. Cet organisme évolue donc trois à quatre fois plus lentement.» (R. St.) La tête, au point de vue physique, accomplit son évolu tion plus rapidement. Il s’ensuit que certaines forces se libèrent plus vite pour servir à une activité de l’âme et de l’esprit, et soutenir la lutte constante où elles se trouvent engagées avec les rythmes de l’organisme inférieur.

Rudolf Steiner mentionne encore un rythme journalier plus intime. Indépendamment du rythme qui s’accomplit dans la conscience de soi-même par rapport à l’état de veille et au sommeil, on peut constater (en s’observant minutieusement) que chacun a, durant la journée certaines périodes où il tend à se plonger plus intensément et plus activement dans la vie sen sible et à se mêler à tout ce qui se passe autour de lui. Il y a d’autres périodes, par contre, où nous tendons moins à projeter notre activité au-dehors. Cette activité, nous la concentrons intérieurement. Il y a des gens qui accomplissent certains tra vaux de préférence le soir, et d’autres qui travaillent mieux le matin. Pour bien faire, il faudrait que ces choses soient exa minées et notées avec plus d’attention. Rudolf Steiner nous dit : «  La vie rythmique pénètre intimement l’organisation de la tête. Tantôt nous nous adonnons à la perception des sens, tantôt nous sommes moins disposés à nous y adonner. Ces états se succèdent les uns les autres en l’espace de 24 heures. Et il serait intéres sant de constater, au moyen de courbes, combien les hommes sont différents par rapport à ces changements qui interviennent entre une imagination claire et vive et un état somnolent et apathique. »

Nous venons de citer quelques exemples des rythmes annuels, journaliers, atmosphériques, ceux de l’être humain, de la tête, des échanges organiques, etc. Or, il existe encore d’autres rythmes qui gouvernent tout le chemin de la vie. C’est ce que Goethe avait relevé lorsqu’il notait que le vivant est toujours à l’état de systole et diastole, d’aspir et de respir. Dans son ensemble, le chemin de la vie forme une courbe ascendante et descendante. Elle est ascendante jusqu’à l’âge de 27 ou 28 ans, se maintient égale jusqu’à 35 ans et prend ensuite une direction descendante. Dans l’univers, la période de 30 ans est un terme, un achèvement, car Saturne, la planète la plus éloignée, accomplit sa trajectoire en trente années environ. Selon Rudolf Steiner, ce nombre de 30 ans correspond à une « année spirituelle » et c’est pour cela que tous ceux qui ont l’esprit ouvert à ces choses ont la possibilité, vers la trentaine, de se trouver placés dans l’univers en face du « Principe du Père ». Ce n’est vraiment que vers le milieu de la vie que l’homme commence à devenir indépendant et qu’il oppose au monde extérieur son propre monde intérieur (et cela est justifié à cet âge). Dans les oeuvres de Rudolf Steiner qu’il a écrites durant la première moitié de sa vie, on y retrouve Goethe, Haeckel, Nietzsche, etc. Ce n’est que plus tard que Rudolf Steiner y oppose ses propres oeuvres fon damentales. Là s’exprime consciemment une loi vitale qui est de laisser parler les autres durant la première moitié de la vie et de leur opposer sa propre création seulement durant la seconde moitié. « Quiconque examine ce que j’ai écrit il y a une dizaine d’années déjà pourra se rendre compte que je me suis abstenu de formuler ma propre opinion . Je n’ai pas écrit mon avis sur Goethe, mais j’ai essayé d’exprimer les pensées qui pro viennent de Goethe. J’ai écrit une théorie de la connaissance selon l’esprit de Goethe, et non pas ma théorie de la connais sance. » (R. St.)

A bien des jeunes gens de notre époque on voudrait recom mander de tenir compte de cet exemple, j’entends par là les jeunes gens qui aujourd’hui sont tellement pressés d’aller porter leurs idées et leurs manuscrits à l’imprimeur et qui sont si amers quand on leur conseille de mettre ces manuscrits de côté quelques années encore.

Comme nous venons de le dire, la vie humaine se divise en deux parties. La première partie va jusqu’à l’âge de 35 ans environ. Durant cette période, l’homme dirige ses forces dans le corps physique tout d’abord, puis travaille à modeler son esprit, son âme, son corps. Durant la seconde partie, il s’affirme en face des événements extérieurs au moyen de certaines forces libérées. Il confirme sa propre création.

Si l’on observe la ligne ascendante et descendante du chemin de la vie, on relève certains rapports entre le commencement et la fin. « Remarquons que les causes qui ont été semées dans l’âme de l’enfant ont leur effet véritable vers la fin de la vie... On pourrait encore trouver de ces rapports en ce qui concerne les époques du milieu de la vie... La cause et l’effet se déroulent d’une manière cyclique, comme dans un cercle. Les causes accu mulées dans le plus jeune âge ont leurs effets à un âge plus avancé.» (R. St.)

Dans le « calendrier intérieur » individuel doivent figurer encore d’autres éléments importants, certains « noeuds ». Il arrive qu’un événement important forme un de ces noeuds ; on en retrouve la cause un certain nombre d’années en arrière, alors que les effets s’en font sentir après un nombre d’années équivalent à celles qui l’ont précédé. « Comme dans le cas (du pendule qui oscille à droite et à gauche et qui a au milieu son point fixe, la dix-huitième année est un noeud. Ce qui a eu lieu avant dans la vie est la cause de ce qui aura lieu après, un nombre égal d’années comptées en deça et au-delà de ce point de jonction. Il en est ainsi durant toute la vie. La vie humaine ne s’écoule pas irrégulièrement, mais bien régulièrement et conformément à certaines lois. » (R. St.)

Il peut se faire qu’à l’âge de 18 ans quelqu’un change subi tement d’orientation. Cinq ans après, à l’âge de 23 ans, cette personne ressent au fond de l’âme un ennui inexplicable. En sachant observer de très près, on en retrouverait la cause dans les événements qui eurent lieu cinq années avant l’âge de 18 ans, c’est-à-dire à l’âge de 13 ans.

Rudolf Steiner compare ces phénomènes à ceux que présente une balle élastique ; comprimée, elle accumule en elle certaines forces dont elle se débarrassera après coup. Il serait très utile que chacun observe dans sa propre vie ces compressions de forces qui forment des noeuds, et l’oscillation des événements avant et après ces dates. On pourrait dire que la cause et l’effet oscillent autour de certains points tournants.

Un autre exemple a pour objet le nombre 18 pris comme unité de rythme. 25 920 est le nombre des respirations correspondant à un « jour humain », à un jour microcosmique. 25 920 années correspondent à un jour macrocosmique. Dans ce sens 18 ans représentent aussi un rythme cosmique, pour ainsi dire une minute universelle. Or, on retrouve cette période dans la nutation, c’est-à-dire dans le mouvement de l’axe terrestre se déplaçant sur l’écliptique. Ce mouvement d’oscillation dure environ 18 ans et 7 mois. Un mouvement d’oscillation corres pondant à la lune dure également environ 18 ans. Ce sont là des rythmes subtils qui révèlent la « respiration » du macro cosme.

« Nous pouvons effectivement parler d’une respiration du cosmos. Nous n’avons qu’à observer le mouvement de la lune durant 18 ans et la nutation de la terre. La terre danse, et, en dansant, son axe décrit un cône double en l’espace de 18 ans. Cette danse traduit la respiration de l’univers, et celle de l’être humain qui est de 18 fois à la minute. Ce mouvement de nutation de la terre correspond donc à une respiration d’une minute. » (R. St.) Les périodes dont nous venons de parler jouent aussi un certain rôle dans la vie humaine. Rudolf Steiner relève que l’être humain devrait faire attention à ce qui se passe en lui la nuit quand il atteint 18 ans et 7 mois, 37 ans et 2 mois, 55 ans et 9 mois, et ainsi de suite : « Les nuits par lesquelles on passe à ces époques sont les plus importantes de la vie. C’est alors que le macrocosme achève de respirer 18 fois ; il achève la « minute » cosmique et pour chacun s’ouvre une fenêtre qui lui donne un aperçu dans un autre monde. » (R. St.)

Il serait bien nécessaire que chacun prête attention à certains tournants de sa vie où la fenêtre du monde spirituel s’ouvre ou bien se referme. Il y a de ces moments durant le jour, durant l’année, durant la vie.

Nous regardons bien souvent notre montre pendant la jour née ; nous devrions aussi de temps à autre regarder l’aiguille de la montre universelle.

Indépendamment des rythmes déjà cités, il en est aussi un de nature purement spirituel et individuel. Certaines idées et pensées par exemple ont en effet leurs propres rythmes.

Rudolf Steiner décrit comment il peut se faire qu’une petite idée semble nous échapper après 7 jours. Ceci peut même nous tracasser. La cause est que cette idée plonge dans le corps éthé rique. Au bout de 2 fois 7 jours, elle a vécu dans l’éther uni versel et se trouve corrigée pour ainsi dire par le monde de la pensée. Après 3 fois 7 jours, elle se relie plus fortement au corps éthérique de l’homme. À ce moment-là, il faut se garder de projeter cette idée dans le monde extérieur, car elle est encore négative, froide ; elle n’a pas encore été assez individualisée. Ce n’est qu’après 4 fois 7 jours que l’idée réapparaît avec une forme individuelle, après avoir été « baptisée par les dieux » pour ainsi dire. C’est à ce moment-là seulement que nous sommes à même d’énoncer cette idée comme il convient.

Des idées plus importantes exigent des périodes de 7 semaines ou de 7 ans, ou davantage.

On retrouve ces périodes dans la vie de certaines personnalités dont on connaît la biographie. « Il serait facile de prouver que des natures d’artistes obéissent à un certain rythme, connaissent une certaine périodicité dans leur labeur. Ces rythmes se comp tent d’après les jours, les semaines, les années, etc. »

Bien souvent, l’Administration nous oblige à donner des détails sur notre vie et ces formalités nous agacent. Mais parfois, nous prenons ainsi conscience de certaines périodicités dans notre existence. En se soumettant à cet examen purement phénoménologique, abstraction faite de toute vanité, et en tenant compte des dates désagréables comme des bonnes, on peut arriver avec le temps à se former une image précise du rythme qui est la base de sa propre vie et à constater si on est l’esclave ou le maître.

À l’avenir, il sera du devoir de l’homme de maîtriser les rythmes de la vie comme cela se trouve exprimé par Rudolf Steiner dans les mots suivants : « Le vrai progrès de l’homme et son salut ne sont pas dans le retour au rythme ancien, ni dans la solution de la question : que dois-je faire pour vivre d’après les quatre phases de la lune ? Car si aux époques an ciennes l’homme était comme le cachet de l’univers, il ne l’est plus. Mais il importe aussi qu’on sache qu’il n’est pas possible de vivre sans rythme. Tout comme l’homme s’est développé du dehors au dedans, il faut qu’il se forme à régler à nouveau sa vie par rythmes du dedans vers le dehors. Voilà ce qui importe. Il faut que le rythme traverse tout son être intérieur. »

* * *

Cette étude de Günther Wachsmuth a été publiée initialement dans la revue « La Science spirituelle ».

Günther Wachsmuth (1894-1963), collaborateur de Rudolf Steiner, âgé de 29 ans, Rudolf Steiner lui confia la Section des Sciences Naturelles, lors de la création en 1923 de l’Université Libre de la Science de L’Esprit. Il s’efforça durant toute sa vie de rendre pensable et vérifiable par un esprit moderne le monde des forces formatrices agissant dans le cosmos à travers les quatre éthers.

Œuvres traduites :

· La réincarnation processus de métamorphose, Editions Triades 2002

· Le monde éthérique, Editions de la Science spirituelle, 1933

· Ciel de naissance et ciel de mort - Editions Triades, 1956

· L’évolution de la Terre, supplément Triades n°9 – Paris, 1960


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