Ce qui divise les hommes
Ce qui les réunit
Conférence de Rudolf Steiner
faite à Berne le 9 janvier 1916
Mes chers amis,
Au fond, toute la science spirituelle
a pour but central de connaître l’homme dans sa nature, dans
sa destinée et dans les efforts nécessaires qu’il doit
faire pour la remplir au cours de l’évolution. Les incompréhensions
auxquelles se heurte souvent la science spirituelle sont dues en grande partie
à ce que les hommes ne peuvent pas encore reconnaître les vérités
fondamentales qu’il faut pourtant bien avoir regardées face
à face pour arriver à comprendre l’essence de la vie
et de l’homme.
Sur quoi repose le genre de science qui depuis quatre siècles a
remporté des succès que d’ailleurs la science spirituelle
est la première à reconnaître ? Sur tout ce qui
peut se manifester dans le monde physique. Or il est bien évident
que l’on a d’abord confiance dans tout ce que l’on perçoit
ainsi autour de soi et qui a l’aspect du réel. Et naturellement
il est difficile de se rendre compte dès le premier coup d’oeil
que cette réalité puisse avoir quelque chose d’illusoire,
qu’elle puisse nous tromper. Ces là une des embûches qu’il
faut avoir dépassées pour comprendre vraiment la science spirituelle.
Il faut avoir saisi que la réalité, telle qu’elle nous
entoure, peut nous tromper et par là même nous attirer sur une
fausse piste. Cette conviction, nos travaux nous l’ont depuis longtemps
communiquée. Nous allons aujourd’hui partir d’une des
acquisitions propres de la science spirituelle. Sa méthode, c’est
de comprendre d’abord les choses, et puis, lorsqu’elles ont été
comprises, de trouver alors dans la réalité leur confirmation.
Il faut ainsi comprendre d’abord des choses capitales, précisément
avant de pouvoir les retrouver au dehors. Il serait facile de prouver que
c’est là une méthode qui trouve de nombreuses applications
dans le monde extérieur, et notamment dans le monde scientifique ;
mais ce n’est pas notre tâche aujourd’hui.
Un de ces faits, qui est éminemment
capable de nous tromper, si l’on juge d’après les apparences,
c’est celui de la différence qui existe
entre les hommes sur la Terre . Le premier coup
d’oeil sur les habitants de la Terre nous porte à croire qu’au
fond il n’y a pas deux hommes semblables. Tous les hommes diffèrent
dans le monde physique ; c’est ce que nous pensons. Et il est
tout naturel de prendre cette diversité des hommes sur la Terre (quant
à leur corps physique) comme un fait établi, et de se demander
alors pourquoi ces différences
existent.
Une observation spirituelle de ce fait nous le révèle tout
autre ; si nous ne tenions compte que de l’action des forces terrestres
sur les formes physiques, il n’y aurait pas de différence entre
les hommes sur la Terre, mais ils auraient tous la même forme !
Les forces qui existent sur la Terre, et qui agissent sur l’homme physique,
sont effectivement d’une nature telle que si elles étaient livrées
à elles-mêmes, elles devraient donner à tous les hommes
une empreinte physique identique. La cause en est que ce corps physique de
l’homme a derrière lui la préparation nécessaire
à cette conformité. Nous savons qu’il a été
élaboré au cours des phases cosmiques de l’ancien Saturne,
l’ancien Soleil, et l’ancienne Lune.
Si même nous songeons à la
différence qui existe entre l’homme et la femme, ce qui vient
d’être dit trouve également sa confirmation ; car
cette différenciation n’est pas le résultat des forces
terrestres. Elle a une toute autre provenance. Nous en venons donc à
nous demander : quelle est donc la cause de la diversité qui
existe entre les hommes ?
Nous savons depuis longtemps que l’homme n’est pas seulement
fait d’un corps physique, mais qu’il a derrière ce corps
physique un corps éthérique. Or, l’observation spirituelle
révèle que si dans leur principe physique tous les hommes sont
identiques, ils diffèrent dans leur corps éthérique,
pour cette raison même que sur le corps éthérique ne
s’exercent pas seulement des forces terrestres. C’est une erreur
de croire que des forces terrestres sont seules à agir sur ce corps ;
en réalité c’est du cosmos, de l’univers qu’agissent
les forces qui le constituent. Nous avons donc à distinguer entre
une influence terrestre qui tendrait à uniformiser les hommes et une
action de l’univers qui différencie leurs corps éthérique.
L’observation spirituelle permet de suivre cette différenciation
des corps éthériques humains.
Il y en a qui sont à la limite la plus extérieure, dont
la forme est accentuée, extraordinairement tenace, et qui conservent
cette forme presqu’autant qu’une forme physique. C’est
l’une des sortes de corps éthériques qui existent. Une
seconde présente au contraire une mobilité incessante, voltigeante,
sans cesse en remous. Ces deux sortes de corps éthériques se
montrent pourtant dans une lumière intérieure qui les apparente
d’une certaine façon. Il en est d’une autre nature encore ;
ils présentent comme une sorte de miroitement intérieur ;
ainsi ils ne sont pas d’une couleur uniforme. Une quatrième
sorte de corps éthériques possède une couleur fondamentale,
pour ainsi dire, qui se révèle dans toute leur substance, mais
au cours du temps ils se transforment, sans qu’il y ait de cause extérieure
à cette modification. Ceux-ci n’ont donc pas des reflets changeants,
ne portent pas différentes couleurs ; leur teinte est uniforme ;
mais cette coloration se transforme avec le temps ; ces corps éthériques
changent comme le caméléon. Il y en a d’autres encore
qui ont une forte tendance à devenir, à certains moments, plus
clairs, sous une impulsion intérieure ; d’autres encore
ont une grande facilité à rendre l’harmonie des sphères.
Enfin, certains corps éthériques, notamment ceux des hommes
de génie, des grands inventeurs, présentent des forces qui
sont étrangères à la Terre.
Tandis que les six premières sortes de nature éthériques
peuvent être rencontrées sur Terre parmi les hommes d’un
niveau moyen, la dernière sorte donne des natures exceptionnelles
de ces poètes, ces artistes dont on dit « qu’ils
ne sont pas de la Terre ». Il faut pourtant encore ici faire des
distinctions. Ce n’est pas par un amour mystique du nombre « sept »
que l’on distingue ces sept formes de corps éthériques
parmi les hommes, mais parce qu’il faut bien les distinguer. Car il
n’existe que les types qui viennent d’être décrits ;
et ces types sont au nombre de sept. Dans ces sept sortes de corps éthériques
agissent des forces qui ne sont pas de la Terre, mais du cosmos. Or, le corps
éthérique donne au corps physique sa forme ; il en résulte
le fait suivant : par les forces terrestres, tous les corps physiques
seraient semblables, mais ils sont différenciés par le corps
éthérique. Quant à la séparation entre les corps
masculins et féminins, il faut en chercher l’origine dans le
corps astral, dans les forces qui n’apparaissent qu’avec le corps
astral, notamment pendant l’évolution qui s’accomplit
entre une mort et une nouvelle naissance, au moment où le corps astral
s’apprête à revêtir le sexe qui sera celui de sa
prochaine incarnation, conformément à son karma.
Restons-en d’abord à l’étude
des corps éthériques. Ils ont reçu du cosmos leur forme
et leur substance, et composent sept groupes qui vont différencier
le principe uniforme qui vient de la Terre. C’est là le fait
qui ressort clairement quand on étudie les rapports entre le corps
éthérique et le corps physique. Les différences qui
apparaissent s’expriment dans la diversité
des races sur la Terre. Au fond, on peut ramener
les races au nombre de sept, en raison des différences éthériques ;
et bien que certains types de races se perdent, et qu’on soit amené
dans la science extérieure à en réduire le nombre, il
y a en réalité sept grands types de races qui se partagent
l’espèce humaine dans son ensemble. Ils n’ont pas pour
origine les forces terrestres de notre évolution actuelle, mais les
forces cosmiques agissant dans les corps éthériques.
Si l’on remonte vers les périodes écoulées
de l’Atlantide, plus loin encore, vers la Lémurie, il nous apparaît
que des impulsions ont existé dès le début qui auraient
dû aboutir à d’autres résultats que ceux que nous
constatons ; si ce n’est pas ainsi que la différenciation
devait s’établir primitivement sur Terre. Si tout avait suivi
un certain plan, que nous allons examiner plus loin, ce corps éthérique
à sept nuances différentes aurait produit sept modifications
dans la forme extérieure de l’homme, mais
Contre cela se sont dressés Lucifer et Ahriman. Ils n’ont pas voulu que la marche régulière de l’évolution humaine se poursuive normalement. Ils ont fait en sorte que les périodes se chevauchent. Il étaient prévu primitivement qu’un type humain devait apparaître avec la cinquième époque atlantéenne, puis se transformer en un autre type. Lucifer et Ahriman firent durer le type de la cinquième époque jusque dans la sixième, et à nouveau de la sixième jusqu’à la septième, et même au-delà du déluge qui mit fin à l’Atlantide. la forme qui aurait dû se perdre fut ainsi conservée. Au lieu de la métamorphose qui était prévue, les types des races sont restés stationnaires, les nouvelles apparaissant à côté des anciennes, si bien qu’au lieu de se succéder, les différences physiques ont existé entre les hommes et se prolongent jusqu’à notre époque, alors que tout aurait dû se passer comme je viens de le décrire. Nous voyons de toute part Lucifer et Ahriman à l’oeuvre dans l’évolution humaine et notamment dans l’action qui vient du corps éthérique.
C’est à l’époque atlantéenne,
vous le savez, que les âmes sont peu à peu redescendues sur
Terre des planètes où elles avaient séjourné.
Rappelez-vous cette description donnée dans « La Science
Occulte ». Avec le temps où les âmes redescendent
ainsi vers la Terre, commence véritablement pour l’homme l’
incarnation terrestre . Toutes les individualités
humaines auraient passé, au cours des temps, par les sept différentes
formes. Nos « je
» auraient revêtu une certaine forme à la cinquième
phase atlantéenne, puis une autre à la sixième, etc.,
jusqu’à l’épanouissement de la période grecque,
parcourant ainsi successivement tous les types d’humanité. Le
plan originel était que les hommes reçoivent ainsi la discipline
nécessaire à leur « je »
, à travers ces sept types éthériques différents.
Il se serait ainsi élaboré en fait une humanité terrestre
qui eût été le résultat
de sept étapes successives travaillant
chacune à la perfection intégrale. Dès la cinquième
période post-atlantéenne (la nôtre), les hommes, d’après
ce plan, auraient été harmonisés sur toute la surface
de la Terre. C’est ce plan qu’ont fait échouer Lucifer
et Ahriman. Il ne restait plus aux Grecs qu’à rêver ce
type idéal non incarné dans l’humanité, et qu’ils
ont vu sous ses formes diverses : la forme d’Apollon, celle de
Zeus, celle d’Athéné, etc. Il n’ont pu en voir
l’unité, parce qu’il n’était précisément
pas réalisé. Mais si l’on sent la sculpture grecque,
on voit à quel point ils ont rêvé l’idéal
humain total, sublime, intégral, qui aurait pu se réaliser
à leur époque.
L’influence de Lucifer et d’Ahriman a fait
avorter, quant aux formes extérieures, le plan des dieux qui dirigent
l’évolution terrestre. Les Esprits de la Forme avaient voulu
que par la collaboration de divers esprits de cette hiérarchie se
réalise physiquement un type d’homme parfait. Il ne reste plus
qu’aux Grecs qu’à en rêver et à l’exprimer
dans leur art.
On est profondément saisi lorsqu’on se demande : pourquoi
donc les Grecs ont-ils atteint une telle perfection dans leur sculpture ?
Parce qu’ils ont eu l’intuition des déceptions
causées aux dieux créateurs par Lucifer et Ahriman. Ce qui
serait né de la bonne activité divine, les Grecs l’ont
ressenti, et ils voulurent du moins le couler en formes artistiques, puisqu’ils
n’avait pu se réaliser extérieurement. De là vient
l’impression si puissante et émouvante qu’exercent ces
formes artistiques qui fixent ce qui n’a pu trouver sa réalisation
physique. L’art grec prend par là un sens tout nouveau, cet
art qui n’a jamais pu se renouveler.
Mais en même temps, l’humanité
était arrivée, par l’action de Lucifer et d’Ahriman,
à un moment de crise. Par leur influence, les races, au lieu de se
succéder vivaient côte à côte. Mais les formes
dont les Esprits, les hiérarchies de la Forme, avaient voulu féconder
la Terre étaient arrêtées, paralysées. Elles ne
pouvaient rien faire de plus que d’enflammer l’imagination grecque.
Les Esprits de la Forme se trouvaient en face d’un problème :
fallait-il laisser le genre humain se diviser à tout jamais ?
En effet, si l’évolution terrestre avait continué
de même, à partir de la quatrième époque post-atlantéenne
(époque gréco-latine), l’humanité, sous l’influence
de Lucifer et d’Ahriman, se serait scindée en sept groupes,
en sept types humains aussi différents que le sont entre elles les
espèces animales, aussi étrangers les uns aux autres que les
races d’animaux qui s’ignorent complètement. Ainsi, vers
la fin de la période gréco-latine et dès la cinquième,
la nôtre, sept types humains
se seraient peu à peu formés ; le nom d’ «
homme » n’aurait plus convenu
à aucun d’entre eux, il aurait fallu trouver sept dénominations
différentes pour ces sept groupes d’êtres, et on n’aurait
plus désigné par un seul et même nom tous les hommes
à la surface de la Terre.
Il fallait qu’à cette époque gréco-latine,
quelque chose se passe dans le cosmos, dans l’univers, qui écarte
le danger qu’un moment vienne où la Terre, au terme de son développement,
ne présente plus
A quoi correspond ce moment dans l’évolution ? Tout
ce qui s’oppose à ce que le corps physique réalise ce
type originel indifférencié, est particulièrement agissant
pendant les sept premières années de la vie. C’est le
temps où le corps physique est le plus plastique, le plus malléable.
Cette action peut encore se poursuivre, bien qu’amoindrie, de la septième
année à la puberté et, sous une forme plus réduite
encore, dans les périodes suivantes, tandis que se développent
le corps astral et l’âme de sentiment. Puis vient le temps où
ces forces extra-terrestres atteignent le point central de l’âme
d’entendement, cette âme qui a fait son apparition à l’époque
gréco-latine. Parvenues là, elles ne peuvent pour ainsi dire
plus avoir aucune action. C’est le moment de la vie qui s’écoule
entre vingt-huit et trente-cinq ans. Si l’on retranche de cette période
deux années au début et deux années à la fin,
on obtient la période de vie qui s’écoule exactement
de trente à trente-trois ans. (Toute la part de vie qui s’étend
après est à nouveau régie par des forces extra-terrestres).
C’est donc l’époque de la vie où seules les
Ces trois années ont été tout spécialement utilisées par le Christ pour fonder entre les hommes, avec les forces terrestres, une communauté, grâce à l’élément de la Terre conservé encore dans l’homme. Le corps du Christ fut préparé pour cela jusqu’à la trentième année, et de trente à trentre-trois ans, le Christ prit possession de ce corps. Là où agissaient encore les forces terrestres, et où une déformation pouvait apparaître, l’évolution n’avançait plus. La mort physique apparaissait. Ainsi l’entité solaire du Christ est véritablement descendue dans la sphère terrestre et s’y est unie au corps éthérique de la Terre, pénétrant ainsi toute l’aura terrestre dans laquelle depuis lors elle continue d’agir. Son action sur l’homme doit éveiller celui-ci au fait que dans le Christ s’offre à lui l’être divin qui fut envoyé sur Terre pour dissiper dans l’âme l’action de Lucifer et d’Ahriman qui s’oppose au plan primordial et élève des barrières entre les hommes.
Dans la nature extérieure de l’homme,
les entités spirituelles bienfaisantes se retrouvent avec Lucifer
et Ahriman. Mais ce qui devait être donné à l’homme
dès l’origine physique de la Terre, cette égalité
humaine, cette possibilité de ne porter
qu’un seul et même nom sur tout le globe
, c’est ce que le Christ est venu apporter, non plus du dehors, mais
du dedans même de l’être humain. Et c’est l’un
des innombrables sens du mystère du Golgotha : le don du Christ
à la Terre, si on le comprend bien, c’est le
nom de l’homme rendu accessible à
tous. Si le christianisme, dans sa vérité profonde, qui n’est
encore qu’incomplètement révélée, mais
le sera toujours plus par ceux qui s’attachent à cette parole :
« Je serai tous les jours avec vous et jusqu’à la
fin des temps terrestres », si donc ce que le christianisme
apporte aux hommes du dedans de leur être se réalise, le tort
causé par Lucifer et Ahriman à l’humanité sera
neutralisé.
Il resterait à se demander : Pourquoi fallait-il donc un tel
accroc dans l’évolution ? Cette question, que je
serais tenté d’appeler enfantine, est souvent posée par
ceux qui se croient plus intelligents que la sagesse universelle. Ils se
disent encore : Si l’on croit à la puissance des êtres
divins, peut-on admettre que dès le début de l’évolution
ils n’aient pas éliminé l’influence de Lucifer
et d’Ahriman, afin qu’elle ne risque pas de détruire leur
oeuvre ? C’est peut-être de la sagesse humaine, mais
selon le mot de Paul de Tarse, c’est de la « folie devant
la sagesse divine ». Nous ne voyons jamais les choses que de notre
point de vue, et une opposition nous paraît naturellement être
l’image d’un mal absolu. Or elle n’est qu’un mal
relatif. Si nous tenons compte aussi de l’autre face des choses, nous
penserons autrement : supposons que le plan divin primordial ait été
réalisé sur la Terre, et que l’époque gréco-latine
ait fleuri normalement ; le beau type d’humanité harmonieuse,
dont ont rêvé les Grecs, n’aurait pas été
seulement modelé par le sculpteur, mais incarné physiquement,
et toujours plus répandu sur Terre ; toutes les autres formes
auraient disparu devant celle-là, peu à peu ; les caractères
d’un Apollon, d’un Zeus, d’une Diane, d’une Athéné,
se seraient fondus dans la forme physique, et auraient pu revêtir le
nom d’homme sous cette forme extérieure. Le nom humain aurait
été porté identiquement par tous les hommes. Une race
humaine, sous les traits de la beauté grecque, se serait peu à
peu répandue sur la Terre, et à notre époque on verrait
déjà les approches du beau type grec uniforme qui aurait atteint
sa plénitude au terme de la septième époque post-atlantéenne.
La terre serait alors passée à d’autres formes d’existence.
Mais…les hommes
Voyez-vous, mes chers amis, du point où nous venons d’arriver,
on comprend que les idées changent nécessairement quand on
les élève du niveau physique à un autre plus élevé.
Vous savez qu’en philosophie, on parle d’
Au sujet de l’opposition d’Ahriman et de Lucifer, il ne faut
pas s’en faire une idée grossière comme la lutte d’un
méchant homme contre un bon. Si les erreurs apparaissent, c’est
toujours parce qu’on étend au supra-terrestre ce qui est juste
pour le terrestre. On se représente souvent Ahriman et Lucifer comme
des êtres mauvais, aussi mauvais que possible. Il faudrait savoir que
des sentiments terrestres colorent toujours les idées que nous nous
faisons mais perdent tout leur sens lorsqu’ils ne s’appliquent
plus à la Terre. Ne disons donc pas : Puisqu’il y a d’un
côté les dieux du biens, et de l’autre les dieux du mal,
il faudrait vraiment qu’il y ait dans l’univers un tribunal qui
condamnerait une fois pour toutes, Lucifer et Ahriman et les mettrait hors
d’état de nuire à l’oeuvre des dieux bons. Evidemment,
sur Terre, cela peut avoir un sens d’enfermer quelqu’un pour
qu’il ne nuise plus ; dans l’univers cela n’a pas
de sens ; ces idées perdent toute signification. Les dieux bons
ont eux-mêmes créé ces forces adverses, bien qu’à
un temps bien plus reculé, pour produire le résultat qui vient
d’être décrit. Pour que la liberté puisse apparaître,
pour que l’homme puisse connaître l’amour autrement que
contraint et forcé par une règle extérieure à
lui-même, pour que l’homme parvienne par ses propres forces intérieures
à réaliser l’unité sous un même nom de tout
ce qui est humain à la surface de la Terre, les dieux ont accepté
l’élément luciférien et ahrimanien. Ils ont consenti,
pour ainsi dire, à ce que les hommes soient fragmentés par
les forces adverses, pour qu’ensuite, après cette fragmentation
des corps physiques, ils puissent retrouver l’unité, et cette
fois dans la
C’est également l’un des sens du mystère
du Golgotha : l’unité s’établissant
entre les hommes par les forces intérieures
. Les hommes deviendront toujours de plus en plus différents par leur
extérieur ; il en résultera des divergences croissantes
par toute la Terre et il faudra de plus en plus de force intérieure
pour en arriver à l’unité. Il y aura toujours des luttes
contre cette formation d’une unité entre les hommes. Nous voyons
se former ces réactions. Ce qui n’était destiné
qu’à une époque antérieure persiste à l’époque
suivante ; ce qui devait se différencier à travers les
temps s’oppose à la même époque. Les hommes composent
des groupes divers, et tandis qu’ils conquièrent leur unité
sur Terre grâce à l’impulsion du Christ, les différences
subsistent et causent sans cesse des chocs en retour, car le travail vers
l’unité est lent et pendant ce temps les hommes qui ont été
fragmentés se combattent jusqu’au sang dans la vie extérieure.
Ces réactions viennent des temps anciens qui sont au fond
contraires à l’impulsion du Christ.
Cette impulsion nous apparaît dans sa signification
profonde : c’est le Christ qui sauve l’humanité de
la dispersion en groupes. Si tous les hommes n’en tombent pas tous
entièrement d’accord, la cause en est justement que les anciens
apports subsistent à côté des nouveaux.
On ne peut comprendre cette communauté de la vie dans l’impulsion
du Christ que par le fond le plus intime de son être. Depuis deux mille
ans environ que le Christ est descendu sur Terre, son impulsion s’est
exercée sans être comprise. Il faut qu’un certain nombre
d’êtres humains puissent concevoir, penser, ressentir ce qui
est entré dans notre évolution au cours de l’époque
gréco-latine ; mais il faut du temps pour cela ; on ne peut
encore l’exiger pleinement à notre époque. Songez comme
on est peu enclin de nos jours à reconnaître que cette quatrième
époque post-atlantéenne a une si grande valeur pour toute l’évolution !
Il faut déjà, pour la comprendre, avoir acquis ce qu’enseigne
la science spirituelle.
Il faut avoir aussi compris l’importance des Esprits de la Forme,
l’idéal humain intégral qu’ils voulaient réaliser
en sept étapes successives, la division apportée par Lucifer
et Ahriman, le Christ venant animer du dedans une force qui, en dépit
de toute différence extérieure, doit répandre sur la
Terre le nom unique unissant tous les hommes jusqu’à la fin
des temps terrestres.
Comprendre la place du Christ entre Lucifer et Ahriman, c’est l’une
des plus grandes tâches des temps qui viennent. Et il faudra bien que
l’attention humaine s’éveille toujours plus au rôle
joué par Lucifer et Ahriman, à la force christique qui en triomphe
et sauve la Terre de leur emprise. Il faudra que sous cette forme la description
en soit toujours plus évidente.
C’est pour cette raison que dans notre monument de Dornach(
[3] 3), à la place d’honneur doit figurer la statue du type
d’humanité primitivement prévu et reconstruit intérieurement
par le Christ, et il sera entouré de Lucifer et d’Ahriman. Lorsqu’on
verra cette figure centrale, on pourra se dire : Voilà ce qu’on
voulu les dieux bienfaisants et qui fut décomposé, fragmenté
par l’apparition de Lucifer et d’Ahriman ; mais le Christ
apparaît victorieusement et rétablit du dedans de l’âme
humaine, c’est-à-dire en toute liberté, ce qui avait
été primitivement conçu. Un témoignage de compréhension
à l’égard de l’évolution humaine, voilà
ce que doit être ce monument, ce qu’il doit offrir aux hommes ;
son but est de rendre visible, perceptible à l’époque
qui vient, ce qui la concerne de la manière la plus pressante.
Certes, il y aurait bien des objections à faire. Ceux qui ont déjà
vu notre oeuvre ont souvent dit : Une véritable oeuvre d’art
vous saisit au premier coup d’oeil et n’a pas besoin d’être
expliquée ; tandis que pour comprendre la vôtre, il faut
en connaître déjà la théorie. Voilà
ce qu’on entend dire. Mais si l’on réfléchissait
un instant ! Représentez-vous un Turc qui n’a jamais rien
appris d’autre que ce qu’il y a dans le Coran, qui sait seulement
au sujet du christianisme que c’est ce qu’il doit combattre,
et conduisez-le devant la « Madone Sixtine » sans un
mot d’explication. Franchement, on ne comprend une oeuvre d’art
que lorsqu’on participe au climat spirituel qui l’a inspirée.
De ce point de vue, notre statue n’est claire que pour ceux qui en
connaisse l’inspiration. Mais il en est de même pour les oeuvres
de toutes les époques ; elles n’ont de force artistique
qu’au sein du mouvement d’idées dont l’inspiration
spirituelle vit en elles. Pour comprendre la « Madone Sixtine »
ou l’ « Ascension » de Raphaël, il
faut avoir une idée du christianisme ; de même, si l’on
veut comprendre quelque détail que ce soit de notre monument, il faut
avoir en soi l’idée de notre mouvement spirituel. Alors l’oeuvre
d’art parlera d’elle-même et il n’est plus besoin
de l’expliquer ni même de lui donner un nom.
L’un des vitraux( [4] 4), par exemple, décrit la scène suivante : en bas,
un mort est couché dans son cercueil ; derrière lui serpente
un chemin jalonné par différents êtres ; un vieillard,
un adolescent, un enfant. Lorsqu’on connaît nos enseignements,
on comprend qu’il s’agit du regard rétrospectif après
la mort. Il faut naturellement le savoir. La scène agit alors ;
comme la « Madone Sixtine » agit sur celui qui en connaît
le sens, mais n’agit pas sur un Turc ! Il faut tenir compte de
cela.
Ce que j’ai surtout voulu rendre
sensible, c’est que le Christ fut cet Esprit qui vint de l’univers
nous apporter sous une forme spirituelle l’union qui avait été
prévue sous une forme extérieure ; si le plan prévu
s’était réalisé, tous les hommes seraient identiques
et s’aimeraient comme des automates. L’une des lois fondamentales
du plan physique, c’est que tout s’y manifeste en contrastes,
en oppositions. Il est enfantin de penser que dès
le début la création divine aurait pu nous envoyer le Christ ;
le contraste entre la division extérieure et la réunion intérieure
ne se serait pas formé. Or l’humanité doit vivre dans
ce contraste. Si l’on comprend sous cet angle la venue du Christ, on
voit toujours plus en lui l’Être qui donne une réalité
intérieure à notre « je »,
et sauve l’humanité de la désagrégation. Partout
où s’ouvre une compréhension pour cette force qui réunit
les hommes, là s’exprime le christianisme. L’essentiel
dans l’avenir, sera moins de continuer d’appeler le Christ par
son nom que de rechercher par lui la voie spirituelle vers une union entre
les hommes, tout en comprenant que les différences extérieures
s’accroissent.
Mais il faut aussi prévoir bien des réactions contre cette
conception spirituelle du Christ. Ce qui est apparu simultanément,
au lieu de se succéder, soulèvera longtemps encore des luttes
contre l’union spirituelle des hommes. Il y aura des tourmentes, violentes
et nombreuses ; c’est le prolongement de l’opposition luciférienne
et ahrimanienne contre l’impulsion christique. Ce qu’il subsiste
tend à donner à chaque groupement humain le goût de s’affirmer
dans son caractère à l’exclusion des autres groupes.
Ce sera l’une des plus belles, des plus prodigieuses acquisitions de
notre époque, si dès maintenant un petit noyau se forme qui
ait le sens de l’unité entre tous les hommes. il est impossible
actuellement de dire des paroles définitives sur cette question. Dans
l’état actuel des coeurs humains, on risquerait de provoquer
des réactions tout opposées, allant jusqu’à renforcer
les haines. Mais on peut du moins parler du principe christique comme de
l’impulsion qui reforme l’unité spirituelle entre ce qui
a été corporellement divisé ; et il
L’un des aspects pratiques, moraux, de notre science spirituelle,
est de rendre vivante, par la compréhension, l’action de notre
Les grandes actions de l’esprit arrivent toujours
à s’exprimer finalement en quelques mots très simples.
Au fond le résultat de deux mille ans d’impulsion chrétienne
peut se résumer en quelques paroles d’une grande simplicité.
Mais elles sont le fruit d’un immense travail ; elles n’étaient
pas là dès le début. Prenons conscience que nous appartenons
de même à ceux qui travaillent pour qu’un jour en quelques
paroles simples et directes on puisse résumer les vérités
que nous avons aujourd’hui à répandre. Sans notre travail
actuel, on n’arriverait jamais à cette simplicité. De
cela nous pouvons être sûrs, bien qu’en aucune langue il
ne soit encore possible aujourd’hui de former les quelques mots très
simples qui résumeraient en un quart de page ce que veut la science
spirituelle. Lorsqu’on pourra le formuler, il s’y trouvera ce
que j’ai précisément essayé d’indiquer aujourd’hui,
l’importance du mystère du Golgotha survenant à l’époque
gréco-latine, et l’opposition entre le Christ d’une part,
Lucifer et Ahriman d’autre part. Ce tableau se comprimera en quelques
mots qui pénétreront dans l’humanité future comme
l’a fait par exemple cette phrase-ci : « Aime Dieu
par-dessus toute chose et ton prochain comme toi-même. »
Il a fallu de longs siècles pour acquérir ce que renferment
ces mots ; et il en sera de même avant que l’enseignement
d’aujourd’hui tienne en quelques formules. Alors il brillera
aux yeux de tous.
Notre travail spirituel est nécessaire ; il faut acquérir
lentement, dans le détail, une connaissance pour qu’elle apparaisse
un jour comme évidente. A ce travail vous êtes conviés.
Voilà ce que je voulais dire aujourd’hui. Cela touche au
fond à la question du sens de toute l’évolution terrestre.
Si des esprits contemplent la Terre, depuis d’autres plans, et demandent :
« Quel est le sens de l’évolution terrestre ? »
ils en trouvent la signification dans le mystère du Golgotha ;
car tout ce qui se passe au cours de l’évolution ne s’explique
que par lui. Le sens en rayonne dans l’univers entier et donne à
tout ce qui émane de la terre sa signification fondamentale.
*
[Note 1] (1) Première traduction dans la Revue la Science Spirituelle n°4/5 1936 - GA 165 (Non traduit en 2006). Il s’agit de cette traduction ayant subi quelques corrections mineures.
[Note 2] (2) Voir notamment, La Science de l’Occulte en esquisse, Rudolf Steiner
[Note 3] (3) On peut voir l’œuvre en question au Gœthéanum à Dornach (près de Bâle en Suisse)
[Note 4] (4) Ces vitraux ont été détruits dans l’incendie criminel qui détruisit le premier Gœthéanum six ans plus tard.
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