Qu'est-ce que l'Anthroposophie?
Une conférence
publique de Rudolf Steiner non encore publiée
(*)
Comme ce fut le cas dans plusieurs numéros déjà, nous
publions de nouveau une
Des opposants de l'anthroposophie,
qu'il faut prendre au sérieux, tentent aujourd'hui de lui dénier
par principe le caractère d'une science, tandis qu'ils la laissent
en même temps et absolument prévaloir de plus en plus comme
une conception du monde alternative, de nature mystico-subjective [genre
New-Age, ndt]. L'influence de cette opposition "oui & non"
- oui à une Anthroposophie en tant que conception du monde mystique
et subjective, non par principe, en tant que science - s'étend malheureusement
jusqu'à pénétrer sur ces entrefaites les plus hautes
élites de la Société Anthroposophique, ce sur quoi nous
reviendrons en détail dans le prochain numéro de décembre.
Le texte de base qui a servi à la publication de cette conférence
est un document de notes typographiées de 50 pages qui semble avoir
été composé à partir d'un sténogramme
très précis; c'est la raison pour laquelle le texte reproduit
fidèlement le style de la conférence. La publication est intégrale
et non modifiée. Au milieu des exposés, il y avait une pause.
La conférence s'était achevée par une confrontation
en partie très vive sur son contenu. La première partie (jusqu'à
la pause) paraît dans ce numéro, la seconde dans paraîtra
dans le suivant et la discussion finale sera publié dans un de nos
prochains numéros.
La Rédaction de
Der Europäer (Thomas Meyer)
Première partie
Très honorables amis
ici présents!
Accordez-moi la liberté tout d'abord d'exprimer ici mes remerciements
les plus chaleureux à l'
Précisément
aussi certaines difficultés se présentent sur le thème
d'aujourd'hui, eu égard à ce qui se rapporte aux faits. La
première consiste en effet dans le fait qu'aujourd'hui, au sein des
plus vastes milieux, justement lorsqu'on veut parler du thème de la
relation de la science à l'anthroposophie, un préjugé
surgit aussitôt, à maint égard effectivement très
largement répandu, selon lequel l'Anthroposophie, qu'on a dans l'esprit
ici, voudrait se placer en quelque opposition que ce soit à la science,
telle que celle-ci s'est développée jusqu'à présent
dans l'histoire de l'humanité au long de ces derniers siècles
et telle qu'elle a atteint effectivement son apogée au dernier tiers
du 19 ème
siècle, au moins en ce qui concerne sa manière de penser et
sa méthodologie. Mais cela n'est absolument et vraiment pas du tout
le cas qu'une telle opposition se présente, car l'anthroposophie qu'on
a dans l'esprit ici, s'efforce justement de mettre en valeur les meilleurs
fondements essentiels du vouloir scientifique des temps modernes et elle
s'évertue à faire valoir ce qu'on doit présumer de la
perception humaine immédiate, de la disposition humaine à l'esprit
scientifique, pour faire prévaloir au sens le plus élevé
la reconnaissance de la science en usage afin d'en parachever le contenu.
Car au sujet de ce développement
à poursuivre, on découvre justement qu'à partir des
fondations assurées par la forme scientifique du penser, pourvu qu'on
la comprenne correctement et qu'on ne suive pas simplement sa logique, mais
qu'on s'attache à ses conséquences vivantes, on tombe alors
sur un chemin qui mène vers ces domaines suprasensibles de l'existence
universelle, avec lesquels l'entité humaine doit se sentir reliée,
précisément dans ses fondements éternels, si bien qu'au
travers d'une certaine relation, simplement par la continuation des principes
en vigueur dans la science, on doit trouver par l'Anthroposophie l'accès
aux domaines suprasensibles.
Naturellement, si je dois m'exprimer dans votre cercle sur la relation entre
l'anthroposophie et la science, j'aurai à m'exprimer de façon
à ce que, pour ainsi dire, vous ne sortiez pas de ce à quoi
vous êtes habitués à connaître, en tant que conscience
scientifique et façon de penser en oeuvre dans la science. Mais je
n'aurai effectivement pas à m'exprimer en quelque sorte sur la stabilité
de l'édifice scientifique du présent, comme j'aurai à
présumer que parmi vous, honorables condisciples, qui appartenez aux
domaines les plus variés de la science, je ne pourrai naturellement
pas aller au devant de vos exigences particulières et que beaucoup
de choses, dont on peut dire pourtant qu'on ne les conçoit pas ici
de façon abstraite, doivent se mouvoir à des hauteurs en ayant
l'air d'abstractions, si bien qu'éventuellement de ce que j'aurai
à dire, pour les domaines isolés, chacun en particulier n'aura
qu'à en tirer ses propres conséquences.
Agnosticisme est effectivement un mot qui est aujourd'hui moins souvent
exprimé, mais qui caractérise quelque chose qui dépend
absolument des fondements de notre forme de penser scientifique. C'est en
effet cet agnosticisme, dirais-je, en tant que légitimant la façon
scientifique de penser, ou pour mieux dire, la forme philosophique du penser,
qui a été fondé par des personnalités comme Herbert
Spenser. C'est aussi par lui que ce terme a été de préférence
employé, et si nous voulons chercher - dirais-je - la définition
de l'agnosticisme, alors nous devons la chercher chez lui.
Mais en tant que fondement, en tant que tonalité fondamentale de
la pensée scientifique, il existe bel et bien cet agnosticisme dans
les domaines cognitifs les plus variés du temps présent. Si
l'on doit d'abord dire de manière totalement abstraite ce qu'on entend
par agnosticisme, alors on peut dire à peu près ce qui suit:
on légitime les méthodes scientifiques, qui se sont façonnées
dans leur certitude au siècle dernier, on pratique avec elles une
science conforme aux faits, comme nous devons l'exercer aujourd'hui effectivement
dans certains domaines, par l'observation, par l'expérience, et par
ce qui est aussi bien élaboration de l'expérience qu'observation,
considéré du point de vue des idées.
En exerçant une science de cette manière - et je fais bien
observer qu'elles est absolument justifiée aujourd'hui pour certains
domaines - en exerçant une science de cette manière, on en
arrive à se dire: certes, par ces sciences on parvient à beaucoup
de choses touchant à la connaissance de l'ensemble des lois reposant
au fondement de l'univers. On s'efforce ensuite aussi d'étendre à
l'être humain lui-même ce qui a été incorporé
de cette manière comme lois générales, pour acquérir
ainsi ce que désire finalement posséder chacun en connaissance,
s'il porte une pensée saine en lui, à savoir une représentation
de la situation de l'être humain au sein de la totalité de l'univers,
de la vocation de l'homme dans l'univers.
Mais ensuite, si l'on exerce l'activité scientifique directement
de cette façon, on en vient simplement au cours de son déroulement
même à se dire: oui, en effet, on découvre cet ensemble
de lois, mais cet ensemble ne se réfère véritablement
qu'à la récapitulation des phénomènes extérieurs,
tels qu'ils sont donnés aux sens, ou bien tels qu'éventuellement,
lorsqu'ils ne sont pas donnés aux sens, ils peuvent être inférés
sur de la base du matériel qui résulte de l'observation sensible.
Mais, ce que l'on apprend de cette façon sur la nature et sur l'être
humain, on ne peut jamais l'étendre à ces domaines, qui ont
été considérés sous des formes anciennes de la
connaissance humaine, comme les fondements suprasensibles de l'univers, avec
lesquels son essence la plus profonde, et donc également celle de
l'être humain, son entité éternelle, si vous m'autorisez
à l'appeler ainsi, doit pourtant bien se trouver dans un certain rapport.
On en vient donc, directement par la manière scientifique de considérer
les choses, à reconnaître ce qui est scientifiquement inconnaissable,
on parvient à certaines limites de l'investigation scientifique, on
en vient tout au plus à se dire, l'âme humaine, l'essence spirituelle
intérieure de l'être humain, doit être en rapport avec
quelque chose qui ne se laisse pas atteindre par cette science seule. Ce
qui est donc ainsi en rapport avec cette essence, n'est tout simplement pas
à rechercher par la science, cela appartient au domaine de l'inconnaissable.
On ne se trouve plus devant le gnosticisme, mais devant l'agnosticisme, et
avec cela la vie spirituelle actuelle, justement à cause de son esprit
scientifique, s'est mise dans une certaine opposition, dirons-nous, par rapport
à ce qui existait encore environ à l'époque où
les sentiments cognitifs et le gnosticisme ont été appelés
Gnose.
À0 présent, ce qui est ici défendu comme Anthroposophie,
n'est absolument pas, comme beaucoup le croient, un réchauffage de
l'ancienne Gnose - qui ne peut plus ressusciter, qui était née
de la forme du penser de son époque, de la totalité de la science
de son temps, si je peux l'appeler ainsi. Nous nous trouvons aujourd'hui
dans une époque qui, après le passage de grandes personnalités
humaines et leurs apports, après Copernic, après Galilée
- et même si je n'en cite pas beaucoup d'autres -, nous nous trouvons
donc à une époque dans laquelle, si nous voulons fonder une
science de manière suprasensible, nous avons à tenir compte
de ce qui a été amené par de tels esprits, tels que
ceux cités et leurs semblables, dans l'évolution de l'humanité;
et en exprimant tout simplement cela, on déclare implicitement qu'il
est impossible de se placer dans la manière de voir de la Gnose, qui
n'avait naturellement rien de la science moderne, et donc de se placer dans
le point de vue de la Gnose. Mais on doit encore faire allusion au fait que
ce point de vue gnostique était justement, à certains égards,
le contraire de ce qui apparaît aujourd'hui comme la note fondamentale
de l'esprit scientifique, que cette manière de voir gnostique était
celle qui est parfaitement possible à l'homme, lorsqu'il se sert de
son intériorité, lorsqu'il fait usage des forces de connaissances
qui ne sont pas utilisées dans la vie ordinaire, pour s'élever
et pénétrer les domaines suprasensibles et y trouver ce qui
n'est pas religion, en vérité, mais qui peut être aussi
une base de connaissance de la vie religieuse.
Eh bien, mes honorables amis ici présents, nous parviendrons le plus
facilement à une bonne intelligence sur ce que j'ai à dire
aujourd'hui, dans cette conférence d'information, si je vous rappelle
tout d'abord ce qui est universellement connu, mais qui peut renvoyer à
cette mutation que le processus cognitif a traversée au cours de
l'évolution de l'humanité.
Vous savez tous en effet quelle transformation, simplement relative à
la vie scientifique extérieure, la philosophie a traversée.
La philosophie englobe à vrai dire aujourd'hui encore, toute l'étendue
de ce qu'était la connaissance scientifique. La philosophie était
simplement, en tant qu'activité humaine, quelque chose sur quoi son
nom renvoie déjà avec un certain droit, la philosophie était
quelque chose qui s'épanchait uniquement de l'intellect humain, qui
ne s'écoulait pas non plus de l'observation et de l'expérience,
quoique la philosophie s'étendît sur les résultats auxquels
l'intellect, l'observation, et aussi l'expérience primitive pouvaient
arriver, la philosophie s'était réellement quelque chose qui
provenait à un degré bien plus élevé que notre
science actuelle - et de nouveau de manière parfaitement justifiée
- quelque chose qui provenait à un degré bien plus élevé
de la
Et la philosophie englobe effectivement aussi à l'époque grecque
tout ce qu'aujourd'hui nous embrassons dans la connaissance de la nature.
De l'aspiration philosophique s'est pourtant développé au cours
des siècle ce que nous avons aujourd'hui comme connaissances de la
nature. Mais cette connaissance de la nature, elle a traversé une
mutation inouïe dans les Temps modernes, un changement qui a d'abord
fait d'elle une base fondamentale pour la pratique de vie dans le domaine
de la technique, cette technique que nous avons aujourd'hui en face de nous
dans notre vie.
Car celui qui laisse errer son regard sur la vie scientifique du temps présent,
doit pourtant se dire que ce qu'a produit particulièrement de grand
la science de ces temps derniers, c'est ce qui a pu à présent
aussi jeter les bases de la vie pratique dans la technique. Notre science
est finalement devenue ce qu'exprime une parole de Kant - je cite volontiers
Kant lorsqu'il a exprimé quelque chose, que j'apprécie aussi,
bien que je confesse absolument partout que je suis un opposant de Kant dans
beaucoup de domaines - ce que Kant a voulu signifier donc, en disant que
dans la science on ne trouve qu'autant de connaissance véritable qu'il
y a de mathématiques en son sein. Je voudrais dire que dans la pratique
scientifique, pour préciser, dans la pratique des sciences naturelles,
on admet cela de plus en plus.
Nous exerçons aujourd'hui les sciences naturelles en étant
conscients que nous relions quelque chose que nous reconnaissons dans l'espace
et le temps au moyen de l'observation et par l'expérience, avec ce
que les mathématiques nous laissent discerner au moyen d'une pure
perception intuitive intérieure [satisfaisant au principe d'intersubjectivité,
c'est-à-dire que la perception intérieure en question est la
même pour tout homme parvenu à ce niveau intellectuel, ndt],
et c'est justement par ce moyen que nous nous sentons dans la certitude scientifique,
que nous sommes en état pour ainsi dire d'unir intimement quelque
chose comme les mathématiques, qui sont à ce point connaissances
intérieures, expériences intérieures humaines, avec
ce que l'observation et l'expérience nous donnent. Par le fait que
nous embrassons par la certitude mathématique, qui nous est donnée
au sein de notre pure vie intérieure, ce qui nous vient de l'extérieur,
nous sentons que nous nous trouvons dans une connexion avec cet extérieur
au sein du processus cognitif, cela nous suffit donc pour ressentir un certitude
scientifique.
Et ainsi avons-nous de plus en plus réussi, en partant directement
des hypothèses de sciences naturelles, à y voir l'exactitude
des méthodes scientifiques, au point que nous justifions ce que nous
faisons dans notre travail scientifique par les mathématiques.
Pourquoi faisons-nous cela? Pourquoi nous faisons cela, eh bien, cela repose
à proprement parler, mes très honorables amis ici présents,
mes chers condisciples, cela repose à vrai dire dans ce que je viens
tout juste de dire, à savoir qu'en nous livrant aux mathématiques,
nous avons purement et simplement constater la vérité de notre
propre expérience de vie de l'âme, que nous restons totalement
en nous-mêmes, dans notre vie intérieure.
Je crois que ceux qui se sont livrés tout spécialement aux
études de mathématiques, me donneront raison si j'affirme ceci:
eu égard à la vie intérieure, l'exercice des mathématiques,
s'adonner aux mathématiques, est une des activités qui peut
donner beaucoup plus de satisfactions, beaucoup plus que tout autre activité
à laquelle je pourrais me livrer, à partir de mes facultés
intérieures et mes prédispositions, par pure enthousiasme,
dirais-je, une activité qui peut donc me donner beaucoup plus de satisfactions
que tout autres connaissances du monde extérieur, simplement pour
la raison que nous nous sentons immédiatement reliés pas à
pas avec ce qu'on obtient en résultats scientifiques, et que l'on
est ensuite en état de relier ce qui vient de l'extérieur avec
ce que l'on connaît de la totalité de l'édifice, l'édifice
entier que l'on a soi-même bâti, ainsi se ressent-on justement
au sein de ce qui surgit finalement de l'union intime des données
extérieures avec le travail mathématique au sein des méthodes
scientifiques, si bien que l'on sent que l'on peut ainsi prendre pied sur
une base sûre.
C'est pourquoi, donc parce que notre science nous a accordé la liberté
de relier l'extérieur avec ce qui est vécu intérieurement
dans les mathématiques, c'est la raison pour laquelle nous reconnaissons
ces méthodes scientifiques dans la mesure où, au sens de Kant,
il y a des mathématiques dedans.
Eh bien, très honorables amis ici présents, avec cela le chemin
est en même temps ouvert pour une conception toute particulière
de la vision scientifique du monde et cette conception de la façon
de voir le monde, elle est justement suivie dans toutes ses conséquences
par l'investigation anthroposophique. Car qu'est-ce qui repose déjà
à la base d'une telle conception de notre cognition scientifique,
à laquelle nous sommes parvenus? Il s'y trouve la reconnaissance du
fait que nous voulons perfectionner notre pensée, et, en la cultivant
intérieurement, parvenir à une certitude, et puis ensuite l'employer
pour suivre les phénomènes extérieurs et les faits extérieurs
conformément à leurs lois.
Eh bien ce principe, l'Anthroposophie le suit dans le domaine où
elle est appropriée à le faire, en se livrant à ce que
je voudrais appeler le pur phénoménisme relativement à
un certain domaine des sciences naturelles extérieures, qui se rapporte
à la mécanique, la physique, la chimie, ce qui touche à
tout ce qui ne pénètre pas d'abord jusqu'au vivant. Au sens
le plus extrême, nous nous en tenons avec ce phénoménisme
aux domaines qui reposent sur l'absence de vie, mais nous verrons aussitôt
dans quelle mesure il doit être compléter par quelque chose
d'essentiellement différent.
Il faut dire que l'on en vient peu à peu, en rendant justement présent
à l'esprit la relation mathématique avec le monde extérieur,
on en vient peu à peu à se dire que le penser ne peut avoir
qu'un caractère auxiliaire, surtout en premier lieu pour les sciences
inorganiques, et que nous ne sommes jamais en droit d'apporter nous-mêmes
quelques chose dans le monde à partir de nos idées, si nous
voulons avoir une science pure. Mais cela conduit à ce qu'on peut
appeler phénoménisme, qu'à sa façon - et même
s'il peut être souvent critiqué à ce sujet dans les détails
- qu'à sa façon Goethe a suivi le plus purement.
Qu'est-ce que ce phénoménisme? Il consiste à ce que
l'on comprenne purement les phénomènes, peu importe que ce
soit par l'observation ou l'expérience, tels qu'ils résultent
en tombant sous les sens et à ce que l'on utilise le penser uniquement
pour considérer les phénomènes dans une certaine interdépendance,
à les ranger les uns à côté des autres et parvenir
ainsi à ce que les phénomènes eux-mêmes s'éclaircissent.
Mais pour cela, on exclut d'abord de la science naturelle pure tout ce qui
se conçoit comme des hypothèses, et qui n'est pas simplement
constructions auxiliaires, mais qui interprète des hypothèses,
comme si elles pouvaient donner quelque connaissance sur le réel.
Si on en reste au pur phénoménisme. On est bien sûr en
droit d'admettre ce que les gens établissent avec cela de l'observation
ou de l'expérience elle-même, telle une structure atomique par
exemple, que ce soit dans le monde matériel ou dans le monde des forces,
mais on ne laisse prévaloir cette tendance à la structure atomique
que dans la mesure où l'on peut la suivre à la manière
d'un phénomène, où l'on peut la décrire comme
un phénomène.
La conception scientifique qui construit une atomistique n'observe pas ce
principe; elle constate effectivement derrière les phénomènes
que l'on peut suivre par les sens, que le phénomène ne peut
plus dès lors lui-même être concrètement suivi
dans le monde, par exemple dans l'instant où l'on ne suit plus le
monde des couleurs, qui est étalé devant nous, où l'on
ne range plus le phénomène chromatique lui-même par rapport
à un autre phénomène chromatique, pour parvenir ainsi
à une relation d'interdépendance inhérente à
la chromatique, conformément à une loi propre à la chromatique,
et quand du phénomène on passe à quelque chose qui lui
serait sous-jacent, qui ne peut même pas être quelque chose comme
une simple construction auxiliaire, mais qui est censé établir
le réel, lorsque pour cela on fait un saut [rupture épistémologique,
ndt] pour admettre des mouvements oscillatoires ou autres choses semblables
dans l'éther, alors on étend le penser au-dessus du phénomène
et, pour ainsi dire, on traverse le tapis des sens à partir d'une
certaine paresse du penser et que l'on statue derrière le tapis des
sens des sortes d'atomes tourbillonnants ou choses semblables, ce pour quoi
il ne se présente plus dès lors d'occasion pour un penser qui,
se comprenant lui-même, ne veut servir qu'à la mise en ordre
des phénomènes les uns à côté des autres,
pour saisir l'interdépendance immanente de ceux-ci conformément
à leurs lois, car il ne peut plus signifier quoi que ce soit vis-à-vis
du monde sensible extérieur en rapport avec ce qui trouverait derrière
le monde des sens.
L'anthroposophie tire donc
les dernières conséquences vers lesquelles on tend dans les
sciences naturelles modernes. Nous sommes parvenus ces derniers temps dans
les sciences naturelles dans une haute mesure à un perfectionnement
de ce phénoménisme, encore peu admis, mais utilisé dans
la pratique, en ne se souciant simplement pas des mondes atomiques hypothétiques
et en restant à l'intérieur du phénomène.
Mais cela entraîne
effectivement une conséquence tout à fait précise, quand
on reste à l'intérieur du phénomène, cela a pour
conséquence qu'on doit nécessairement en venir à l'agnosticisme;
que, mes honorables amis ici présents, de la manière dont par
le penser on range simplement les phénomènes les uns par rapport
aux autres, on met de l'ordre dans les phénomènes, on n'en
vient jamais avec cet ordre, avec cette suite de lois conformes, à
l'être humain lui-même, et c'est là la chose singulière
que l'on doit simplement et ouvertement admettre: on ne peut pas, si on tire
à bon droit les conséquences ultimes de la science naturelle
moderne, si on va jusqu'au phénoménisme pur, si on n'échafaude
pas d'hypothèses conceptuelles injustifiées derrière
le tapis du monde sensible, on ne plus parvenir à rien d'autre que
l'agnosticisme. Cet agnosticisme est cependant pour la connaissance quelque
chose de tout autre que ce qu'attend à proprement parler l'humanité
de la connaissance au sein de son parcours évolutif, au sein de son
histoire, quelque chose de tout autre que ce qu'elle a recherché par
la connaissance.
Je ne voudrais pas vous amener sur-le-champ - quoique j'y ferai allusion
par la suite - mais je ne voudrais pas vous amener tout de suite aux domaines
suprasensibles éloignés, mais je voudrais renvoyer à
quelque chose qui doit montrer comment la connaissance, par exemple dans
les temps anciens justement, était tout de même conçue
comme quelque chose de tout différent de ce que, aujourd'hui, nous
retirons de connaissance, précisément lorsque nous poursuivons
consciencieusement nos investigations sur des bases scientifiques, ce qui
peut advenir aujourd'hui en connaissance, et dans ces conditions, je suis
autorisé à vous renvoyer de nouveau à cette époque
grecque, durant laquelle toutes les sciences étaient encore réunies
au sein de la philosophie, alors je peux donner à entendre qu'effectivement
chacun d'entre nous aura probablement une profonde vénération
pour ce qui vit dans les arts grecs, dirons-nous, et, pour faire ressortir
en particulier ce qui vivait dans la tragédie grecque, l'un de ces
arts.
Pour ce qui est de la chose la plus importante de la tragédie grecque,
on a parlé de sa composante essentielle, de la catharsis, de la crise
qui s'y trouve, comme d'un élément décisif qui vit dans
cette tragédie. Et un problème important, qui est en même
temps une question pouvant nous mener au coeur essentiel du processus cognitif,
se pose lorsque, justement, nous voulons nous relier à ce que le Grec
a vécu peut-être dans la tragédie.
Si on définit de manière abstraite ce qu'est la catharsis,
alors on dit effectivement en se rattachant à Aristote, que la tragédie
doit éveiller chez le spectateur l'effroi et la compassion, afin qu'a
partir de telles passions ou autres analogues surgissant dans l'âme
humaine, celle-ci soit purifiée par ce type d'emportement. Eh bien,
de tout ce qui se présente dans la tragédie grecque, on voit
bien - et je ne peux que le rapporter simplement ici, mais les preuves peuvent
en être absolument fournies par la science ordinaire - on voit bien
que par tout ce qui se présente dans la tragédie grecque, que
l'activité du penser sur cette catharsis, sur cette crise amenée
par l'art, était très étroitement liée dans le
caractère grec avec la pensée médicale.
Ce qui était présent dans l'âme humaine par l'effet
de la tragédie, on se le représentait, on se le figurait seulement
comme un processus de guérison de quelque chose de pathologique existant
dans l'homme et relevé par la mise en scène. À partir
de cette conception de l'élément artistique, on peut donc voir
le processus de guérison et, au-delà, la façon dont
le Grec a conçu la thérapie. Il l'a conçue en présumant
que pathologiquement, il se forme quelque chose de malsain dans l'organisme;
contre ce qui se forme en lui - je dois naturellement parler tout à
fait abstraitement dans une conférence d'information comme celle-ci
- , contre ce qui se forme là, l'organisme se met à lutter
pour la raison que cela s'est formé. L'organisme humain surmonte un
processus malsain en lui, en l'emportant sur les désintégrations
du processus maladif.
C'est ainsi que l'on se représentait les choses dans les domaines
pathologiques et thérapeutiques. On pensait tout aussi rigoureusement,
sinon en le rehaussant à un niveau plus élevé, pour
ce qui concerne le processus artistique. On se figurait simplement que ce
que faisait la tragédie était une sorte de processus de guérison
pour l'âme. Disons que, comme dans le cas du rhume (catarrhe), les
résidus de la maladie se retirent de l'organisme, l'âme devait
développer l'effroi et la compassion en elle par le spectacle de la
tragédie, pour engager ensuite le combat contre ces produits d'élimination
et subir l'oppression d'un processus de restauration de la santé.
Il faut dire que l'on ne comprend l'élément fondamental de
cette façon de penser que si l'on sait qu'existait déjà
dans l'hellénisme, dans certaines tendances de cet hellénisme
sain, une manière de voir, selon laquelle, à proprement parler
ce que l'homme développait touchant à la vie de son âme,
lorsqu'il s'abandonnait simplement à sa nature, menait toujours à
une sorte de maladie, et que la vie spirituelle dans l'homme devait être
un processus constant de restauration de la santé.
Ce que l'hellénisme connaît plus intimement sous ce rapport,
il convient de le dire sans hésiter un instant: le Grec se représentait
aussi sa vie spirituelle supérieure dont il se disait que c'était
un remède contre la tendance constante de la vie de l'âme à
dépérir, une façon d'aller au devant de la mort; de
revivifier la vie de l'âme dans la direction de sa nature, voilà
ce qu'était la vie spirituelle pour les Grecs. Le Grec ne voyait donc
pas une connaissance abstraite dans sa science - il voyait dans sa science
ce qui stimulait en lui un processus de guérison, et cela était
aussi la façon particulière - dirais-je - qui était
alors pensée sous une autre coloration, disons dans les conceptions
du monde qui s'appuyaient plutôt sur le Judaïsme: la chute, le
péché originel.
Les Grecs avaient aussi cette vision - seulement d'une autre façon,
à savoir que l'âme humaine a besoin de se laisser aller dans
la vie à un processus constant de restauration de la santé.
Il en était principalement ainsi au sein de cette vie spirituelle
grecque que l'être humain en aucun cas ne juxtaposait les activités
auxquelles ils s'adonnait et les façons de penser qu'il choyait. Elles
confluaient plutôt chez lui, et pour lui l'art de guérir était
justement un art - tout bonnement et exactement un art, qui restait dans
la nature, et le Grec, cet homme éminemment prédisposé
à l'art, considérait justement ce dernier comme quelque chose
qui n'est pas de quelque manière profané, ou bien encore ravalé
à un domaine inférieur, si on le compare avec ce qui existait
en tant que processus de restauration de l'état de santé au
sein de l'entité humaine.
Et nous voyons ainsi comment, de fait, la connaissance dans ces temps plus
anciens n'était pas séparée de ce qui reposait dans
la nature humaine entière, avec ce qui englobait toute l'activité
humaine. Ainsi, comme la philosophie englobe la connaissance de la nature,
la vie artistique englobait aussi ce qui devait à présent résulter
de la science, en étant développé de plus en plus loin.
Et dans la vie religieuse, on voyait en fin de compte justement la récapitulation
du grand processus de guérison de l'humanité, si bien qu'en
concevant la connaissance dans un style ancien, nous devons effectivement
dire: en ce temps là, la connaissance est conçue comme quelque
chose qui émane de l'être humain entier. Le penser existait
déjà, mais l'évolution de l'humanité ne pouvait
justement pas en rester à cette phase de la connaissance, mais qu'est-ce
qui était donc indispensablement combiné à cette phase
d'évolution de la connaissance? On le voit tout à fait clairement,
mes très honorables amis ici présents, si, armés de
l'esprit scientifique actuel, on se plonge - dirais-je - dans n'importe quelle
oeuvre, qui passait pour de la science à l'époque, et que par
exemple dans le domaine des sciences de la nature - disons, au 13
Je n'hésite pas à dire que, si on est pénétré
par l'esprit scientifique d'aujourd'hui et si l'on n'a pas fait d'abord des
études historiques intimes et probes, on doit nécessairement
mal comprendre une oeuvre des sciences naturelles d'une époque comme
celle du 13
Nous nous adressons aujourd'hui tout autrement à la nature, quand
nous parlons de Sulfure, de Phosphore ou de sel. Lorsque nous employons les
concepts d'aujourd'hui, nous n'approchons pas le moins du monde du sens de
ce qui existait autrefois dans un livre qui était pourtant rédigé
scientifiquement, et certes pour la raison qu'en ce temps-là justement
on apportait dans les résultats de l'observation du monde extérieur
plus que des mathématiques, ou bien des choses analogues aux mathématiques.
L'être humain mettait une plénitude de vie intérieure
- un vécu qualitatif, pas simplement quantitatif - dans ce qu'il
éprouvait au sein du monde extérieur, et tout comme nous exprimons,
disons, un résultat de sciences naturelles par une formule mathématique,
ou avec une formule mathématique, tout comme nous relions apparemment
sujet et objet, en ce temps là on unissait, raison de plus, le sujet
et l'objet, mais le sujet était rempli d'une profusion de choses,
dont nous n'avons aucun soupçon et dont nous ne pourrions même
plus du tout nous permettre d'avoir aujourd'hui, qu'il apportait de la même
façon dans la nature. L'homme voyait simplement beaucoup de choses
dans la nature qu'il voyait en lui-même, comme nous voyons les mathématiques
en nous, comme nous les voyons aussi dans la nature. Il n'y pensait pas autrement,
mais il voyait beaucoup de choses dans la nature.
Ainsi voyait-il aussi l'élément moral dans la nature. L'élément
moral, l'homme le voyait dans la nature au point qu'en quatre millénaires
les lois de la nature avaient pris naissance dans sa connaissance, de la
même façon que naissaient les lois morales en lui. L'être
humain pouvait transposer dans la nature ce qu'il pensait dans ces temps-là
sous les notions de Sel, Sulfure et Phosphore; l'homme en avait le droit,
parce qu'à l'époque il n'accomplissait absolument rien d'autre
en son for intérieur, il pouvait transposer dans la nature ce qu'il
vivait en tant qu'impulsions morales.
À0 présent, nous nous sommes à bon droit retirés
- car cette évolution devait venir - nous nous sommes à bon
droit détachés d'une telle conception du monde extérieur,
par laquelle nous portons tout ce qui a été indiqué.
Nous apportons seulement plus de mathématiques dans le monde extérieur
et notre science devient pour cette raison un très bon fondement pour
la pratique technique.
Mais en portant ainsi plus de mathématique dans le monde extérieur,
nous ne sommes aucunement justifiés, sur le chemin de notre science
à transposer l'élément moral dans l'objectivité,
or nous devons nécessairement, justement parce que nous sommes vraiment
scientifiques dans le sens qui est apparu dans ces derniers siècles,
nous devons nécessairement tomber dans un agnosticisme moral, car
il ne nous reste plus rien d'autre à voir dans les principes moraux
que le sujet, dont nous ne pouvons plus affirmer qu'il vient de la nature
d'une façon aussi objective que celle du déroulement d'un processus
naturel.
Aussi avons-nous la contrainte de nous interroger: comment fondons-nous
une science morale, et avec cela le fondement de toute science spirituelle,
et aussi de toute science sociale, comment fondons-nous une science morale
dans le moment où, d'une manière justifiée, nous devons
reconnaître le phénoménisme pour la nature extérieure?
Cela, mes honorables amis ici présents, ce fut pour moi la grande
question au moment où j'écrivis ma "Philosophie de la
Liberté". Je me tenais sur le terrain - pleinement sur le terrain
- de la science moderne, en effet sur le terrain du pur phénoménisme
vis-à-vis de ce que j'avais à élucider du monde sensible
extérieur par le processus de connaissance. Mais on doit se dire alors,
si on veut en tirer toutes les conséquences jusqu'au bout et en toute
honnêteté, on doit nécessairement se dire: si l'élément
moral doit être fondé objectivement, on doit alors pouvoir placer
à côté de cette connaissance, qui mène au phénoménisme
et avec lui à l'agnosticisme, une autre connaissance - une connaissance
qui désormais n'utilise plus la pensée, pour supputer des mondes
hypothétiques derrière les phénomènes des sens
- on doit donc fonder une connaissance qui puisse concevoir directement le
spirituel, après que celui-ci n'est plus, selon l'ancien style, apporté,
mis, placé dans le monde, excepté bien sûr les mathématiques.
C'est justement l'agnosticisme qui nous astreint d'un côté
à le reconnaître pleinement dans son domaine, mais de l'autre,
à relever précipitamment l'activité de notre esprit
pour concevoir un monde spirituel, si nous ne voulons pas d'abord en rester
simplement au plan subjectif, un monde spirituel, à partir duquel
nous pouvons découvrir les principes moraux au moyen d'une observation
spirituelle objective.
À0 coup sûr, mes honorables amis ici présents, on a
désigné ma "Philosophie de la Liberté comme un
individualisme éthique, avec une certaine justification, mais on en
n'a saisi ainsi qu'un côté. Il va de soi que nous devons en
arriver à l'individualisme éthique, parce que ce qui est à
présent examiné comme principe moral, doit l'être en
toute liberté par chaque individualité humaine.
Mais tout comme au sein d'un processus spirituel intérieur nous élaborons
les mathématiques en connaissance pure, et que cela se révèle
pourtant fondé en toute objectivité, ce qu'est le contenu de
l'impulsion morale peut être également saisi par la manière
de voir spirituellement - non pas simplement dans la foi - mais il peut être
saisi au moyen d'une vue intuitive purement spirituelle, et c'est la raison
pour laquelle on se voit contraint, comme ce fut le cas pour moi, avec ma
"Philosophie de la Liberté", de dire: on doit fonder une
science morale sur des intuitions morales; et en ce temps-là je l'avais
exprimé comme cela: nous parvenons seulement dans un style moderne
à un réelle vue intuitive morale que si nous nous disons: de
la même façon que nous "décortiquons" un à
un les phénomènes naturels isolés de l'ensemble de la
nature, nous devons, à partir d'un monde spirituel dont nous avons
la vision directe, immédiate, nous devons aller chercher dans un tel
monde spirituel suprasensible qui ne peut être examiné que par
l'esprit, des principes moraux qui sont cependant conçus d'une manière
parfaitement objective, pour la raison précisément qu'ils sont
indépendants de nous.
Je parlai donc d'abord d'intuition morale. Mais avec cela, le processus
de connaissance est orienté dans une certaine direction, le processus
de connaissance est activé pour cela, justement parce qu'il veut en
rester aux méthodes scientifiques authentiques et unilatérales,
il est pour cela poussé à en venir à rassembler et mettre
en activité les forces de l'âme au point que la contemplation
d'un monde spirituel devienne possible.
Mais à présent la question surgit de savoir si ce qui est
conçu comme impulsions morales est donc seulement ce qui est à
observer dans le monde spirituel, ou bien ce qui mène à nos
impulsions morales n'est-il éventuellement que l'un des domaines parmi
beaucoup d'autres? C'est bien cela qui résulte de ce qu'on a vécu
véritablement dans l'âme, ne serait-ce qu'une fois, et qui a
été conçu en impulsions morales, si on poursuit seulement
l'investigation de la manière correspondante.
Car ce que l'âme éprouve exactement alors, en ramassant ainsi
ses forces pour appréhender purement et spirituellement l'élément
moral - chose qui est devenue indispensable à l'époque moderne
seulement et qui n'est devenue indispensable qu'à partir de l'avènement
des sciences naturelles - précisément ce qui est vécu
là, cela peut aussi à présent être vécu
pour d'autres domaines spirituels; on peut simplement affirmer que celui
qui est parvenu un jour, à produire par l'observation de soi, cette
expérience intérieure qui mène à l'intuition
morale, peut effectivement désormais cultiver toujours plus cette
faculté; et l'apprentissage à cette expérience intérieure
est représenté par ces exercices que vous trouvez décrits
dans mon ouvrage "
Car si vous vous interrogez [
Seconde partie
Mes très honorables amis ici présents!
Le premier degré de la connaissance suprasensible, on l'atteint pour
ainsi dire par ce que l'on peut appeler la méditation, une méditation
qui est liée avec une certaine concentration de la vie du penser.
Le fond de la chose - ce qui importe à ce sujet -, je l'ai dépeint
sous un aspect dans ma dernière conférence publique ici, à
Leipzig - je vais à présent le caractériser sous l'autre
aspect de manière telle, qu'au-delà nous trouvons la voie vers
la conception scientifique du monde -, l'essentiel de cette méditation,
liée à une concentration de l'activité du penser, cela
consiste précisément dans le fait que l'être humain n'en
reste pas à une sorte de manipulation de ce penser qui s'est façonné
un jour par héritage, sous l'effet de l'éducation ordinaire
ou autre, mais qu'à un certain moment de la maturation de la vie de
sa pensée, qu'il a fait sienne, l'être humain la considère
comme le point de départ seulement d'une autre évolution intérieure.
Cela étant, vous
savez bien qu'il y a des natures mystiques dans le temps présent,
qui traitent quelque peu dédaigneusement la pensée et qui se
réfugient dans toutes sortes de forces de connaissances, chatoyant
plutôt dans des profondeurs inconscientes, pour acquérir par
ce moyen une sorte de contemplation du monde censée englober ce à
quoi le penser ordinaire ne peut pas parvenir. Ce que l'on entend ici par
l'anthroposophie n'a rien à faire avec cette immersion au sein d'une
vie intérieure de l'âme, dans cette région pathologique
aux paysages tirant sur le rêve et la fantaisie. Cela se meut carrément
dans la direction opposée, cela se dirige même dans une direction
où chaque pas individuel qui a été entrepris pour cultiver
plus avant le penser, pour le transformer en faculté supérieure,
où chacun de ces pas puisse être poursuivi avec une évidence
intérieure, libre et circonspecte, comme ne peuvent être poursuivies
autrement les expériences intérieures que l'on développe
au moyen d'une activité circonspecte de connaissance telle qu'elle
existe dans les mathématiques.
On peut donc affirmer que ce pour quoi l'homme moderne s'est éduqué
au moyen de sa formation scientifique, le penser mathématique, est
pris comme un exemple, mais à présent, non pas pour partir
en quête de je ne sais quels enchaînements extérieurs,
mais pour former un processus supérieur du penser lui-même.
Je voudrais dire que ce qui a été entrepris à partir
des mathématiques, si je peux m'exprimer ainsi à l'aide d'une
image, disons donc dans la direction horizontale, cela est maintenant entrepris
dans la direction verticale, dirais-je, tandis que l'on accomplit soi-même
une activité intérieure de l'âme, un entraînement
de l'âme, au point qu'à chaque pas individuel réalisé
l'on puisse rendre compte, comme l'on rend compte à chaque progression
dans l'étude des mathématiques, lorsque sous le contrôle
des idées au centre de sa conscience, on place un certain contenu
de représentation, qui doit être simplement un contenu idéel.
Ce qui importe n'est pas du tout le contenu, mais c'est ce qu'on fait avec
ce contenu qui est essentiel. On ne doit pas se livrer non plus à
l'autosuggestion. Car l'entraînement anthroposophique est le contraire
de ces activités de l'âme plutôt inconscientes.
Si l'on continue de cultiver ce que l'on s'est déjà approprié
comme une certaine forme du penser, de manière à ce qu'à
présent, avec toute l'activité de l'âme dont on dispose,
on s'arrête sur un contenu qui peut être embrassé par
le penser et que cet arrêt sur une certaine activité de l'âme,
cette attention soutenue sur cette activité de l'âme, à
l'exclusion de toutes les autres choses qui pourraient autrement pénétrer
le champ de l'âme, si l'on n'a de cesse de procéder ainsi, alors
le processus du penser se renforce et alors seulement on commence à
remarquer ce qui était - dirais-je - le bon côté du matérialisme,
de la conception matérialiste du monde.
Car l'on remarque à présent que tout penser, dont on dispose
d'abord dans la vie ordinaire, à savoir de ce penser qui se prolonge
ensuite dans le souvenir, qui nous conduit à disposer de ce que nous
avons vécu sous forme d'idées que nous pouvons par la suite
de nouveau nous remettre en mémoire, de tout ce que l'homme, entre
la naissance et la mort, peut seulement accomplir que parce qu'il dispose
d'un corps qui en est le fondement - je ne veux pas dire que ce corps en
est l'outil, mais plutôt un fondement dont l'homme se sert - et l'on
remarque alors en continuant d'activer ainsi le penser dans son évolution
interne, que le penser ordinaire est absolument lié à l'organisme
corporel de l'homme, au corps humain, tout comme, en particulier, tout processus
du souvenir ne peut pas être expliqué sans prendre appui sur
une subtile physiologie, on commence seulement à remarquer alors que
le penser se libère du corps, qu'il devient de plus en plus libre
du corps.
C'est seulement à cet instant que l'on s'élève d'un
penser procédant et s'appuyant sur le corps à un penser qui
se déroule lui-même dans les processus au sein de l'âme,
à présent on remarque seulement que l'on passe peu à
peu à une expérience intérieure telle qu'elle ne se
produit plus, n'apparaît plus, mais - je dirais plutôt qu'elle
se prépare. Lorsque l'on passe de l'état de conscience ordinaire,
éveillé, dans l'état de sommeil, il en va simplement
de notre organisme qu'il n'accomplit plus ces fonctions qui s'épuisaient
dans la représentation, et dans la perception qui est reliée
à l'activité représentative.
Mais du fait que dans la vie ordinaire, nous sommes seulement en état
de penser avec notre corps, avec l'aide de notre corps, l'activité
du penser s'éteint à l'instant où elle ne peut justement
plus être accomplie avec l'aide du corps - c'est le cas lors de l'endormissement.
Des restes ultimes en subsistent dans la pensée imagée du rêve,
mais lorsque l'on poursuit l'entraînement au moyen d'exercices intérieurs
précis sans cesse renouvelés, comme on l'a dit - et c'est la
raison pour laquelle je parle de clairvoyance exacte en opposition à
la voyance mystique -, lorsque l'on active donc le penser sans cesse au moyen
d'exercices exacts, alors on apprend à reconnaître la possibilité
d'un penser indépendant de la corporéité. C'est justement
à cause de cela que l'investigateur anthroposophique peut renvoyer
avec une telle assurance à son penser développé, parce
qu'il connaît parfaitement - encore mieux même que le matérialisme
lui-même - la dépendance de la pensée ordinaire d'avec
l'organisation corporelle et parce qu'il a expérimenté comment
ce qui est propre à l'âme se détache dans la méditation,
dans l'exercice, de l'assujettissement au corps. On apprend exactement à
penser en étant libéré du corps, on apprend à
sortir du corps, au niveau de sa propre entité Je, on apprend à
connaître le corps à l'instar de connaître un objet, alors
qu'auparavant le corps était absolument lié à la subjectivité.
Mes très honorables amis ici présents, c'est précisément
ce que l'éducation actuelle reconnaîtra difficilement, parce
que d'un côté c'est ce qui résulte effectivement, et
qui à la vérité résultera de plus en plus, justement
sous l'effet la connaissance anthroposophique, à savoir que l'on a
percé à jour cet état d'assujettissement de l'activité
représentative aux fonctions corporelles de la science moderne. Mais
on doit être au clair là-dessus que malgré cet examen
approfondi, le penser n'en reste pas là, mais que cette activité
du penser peut être détachée du corps par le fait qu'elle
a été intérieurement renforcée par la voie de
la méditation. Mais ensuite ce penser se transforme aussi.
Premièrement, mes très honorables amis ici présents,
il en est ainsi que lorsque ce penser libéré du corps jette
ses premières lueurs, lorsque jaillit cette expérience - Tu
es à présent au sein de l'activité de ton âme,
que tu réalises comme tu le ferais si tu étais simplement sorti
de ton corps - lorsque jaillit ce type d'expérience intérieure,
alors le penser devient intérieurement plus intense. On acquiert ce
même rassasiement intérieur, que l'on n'éprouve autrement
que lors de la perception du monde sensible. La pensée reste de même
dans la sphère de la réflexion, à l'instar de n'importe
quelle autre pensée, qui est liée au corps, mais on atteint
à présent dans cet état libéré du corps
un monde peuplé d'images. On pense en formes, et cette pensée
dans les formes cela existait aussi au commencement de ce que Goethe a pratiqué
dans ces études de morphologies.
C'est la raison pour laquelle il affirma en effet qu'il pouvait voir ses
idées avec ses yeux - il ne pouvait naturellement pas entendre par
là, avec les yeux physiques, mais il voulait dire que ce qui surgissait
en lui à partir d'un processus élémentaire naturel,
qui peut aussi bien être éduqué cependant par la voie
méditative, il voulait dire avec cela qu'il voyait avec ses yeux spirituels,
ce qui a aussi une qualité d'image, ce que possèdent autrement
seulement les visions sensibles, mais qui du reste ont une qualité
idéelle quant à leur nature. Je dis "qualité idéelle",
je ne dis pas "idée", car il s'agit d'idées qui ont
été perfectionnées dans la forme, métamorphosées
- mais tout en conservant leur qualité inhérente d'idée.
De cette manière on s'élève d'un côté
à la connaissance de ce que l'on est en tant qu'être humain,
ce qu'on a été au moins dans une vie terrestre entière,
d'abord jusqu'au moment, dans lequel on vit présentement. La conscience
ordinaire a soudain devant elle l'instant présent avec toutes ses
expériences qui sont là dans le monde environnant. Dans la
science ordinaire on n'a devant soi que ce qui vient en complément
- ce sont des souvenirs qui émergent à la façon d'idées,
et que nous relions aux événements de l'instant présent.
Ce qui se hausse à présent à ce penser à la qualité
d'image; et qui est libéré du corps, dont je viens tout juste
de parler et que j'appelle penser imaginatif - non pas parce qu'il s'agit
de chimères, mais précisément parce que cette activité
du penser se déroule en images et non en abstractions -, ce penser,
donc, qui englobe toute notre vie terrestre jusqu'à cet instant en
une unité, à l'instar d'un tableau unique qui se tient là
devant nous, nous prenons maintenant connaissance qu'à côté
d'un organisme spatial, vit aussi en nous un organisme temporel, chez lequel
l'avant et l'après se trouvent dans une relation d'interdépendance
tout aussi organique, que ce qui se trouve côté à côte
dans l'organisme spatial extérieur, physique, que nous portons en
nous. On discerne cet organisme comme un organisme suprasensible, que j'ai
appelé dans mes ouvrages corps éthérique - on peut aussi
le désigner comme un corps de vie.
Ce qu'il implique n'est
absolument pas identique avec la force de vie non justifiée d'une
science ancienne, qui était parvenue à cette force de vie par
des voies hypothétiques, alors que ce corps de vie est une représentation,
une vue intuitive qui apparaît au penser imaginatif développé.
Ainsi parvient-on avec cela, d'un autre côté, à ce que
ce qui fait partie du passé de la conscience ordinaire, pour ainsi
dire, ce qui a été vécu il y a dix ans et ce qui émerge
maintenant dans mon souvenir, cela n'est plus désormais quelque chose
de passé qui surgit là, mais c'est quelque chose que l'on vit
comme immédiatement présent, et que l'on voit et ressent avec
la même intensité que lors de la contemplation de quelque chose
de bien présent.
Mais de ce fait, ce qui
autrement s'écoule dans le temps, se trouve à présent
devant soi organisé en une unité instantanée, la vie
entière représentée à l'instar d'un tableau -
comme un tableau dont les éléments figurés s'appartiennent
mutuellement, et l'on remarque qu'en réalité le passé
est un présent, et qu'il n'apparaît seulement comme passé
du fait qu'avec notre connaissance positionnée et orientée
sur l'observation présente, nous ne disposons de rien d'autre en effet,
à cet instant précis, que d'un souvenir. Dans l'objectivité,
ce passé est un présent immédiat, bien réel cependant.
On en vient donc à la reconnaissance de ce qui se trouve dans la
première dimension suprasensible en l'être humain. Mais on en
vient aussi à reconnaître quelque chose qui existe aussi d'ailleurs
dans l'ensemble du monde vivant, ce que les sciences naturelles inorganiques
jusqu'à la chimie peuvent encore fournir, on en vient à l'idée
dont le développement ultérieur est la morphologie de Goethe,
on en vient à la vue immédiate de la manière dont la
forme d'une plante individuelle n'est qu'une configuration particulière
de ces formes qui se rattachent à ce que Goethe appelait la plante
archétype, qui n'est pas d'aventure une cellule à présent,
mais une forme suprasensible concrètement organisée, que l'on
ne peut appréhender que par la connaissance imaginative, qui peut
vivre cependant dans toute forme de plante individuelle - transformée,
métamorphosée -, on en vient à reconnaître ce
que nous trouvons dans le végétal, si nous voulons pleinement
comprendre le végétal, et à cette occasion on se dit
pour la première fois: si on n'exerce pas cette connaissance imaginative,
qui révèle une dimension suprasensible, dynamique, dans tout
végétal, on apprend alors à ne connaître que ce
qui se passe dans la forme végétale comme processus mécaniques,
chimiques.
C'est le mérite des nouvelles sciences naturelles, comme la botanique
par exemple, de suivre purement ce qui se trouve dans la forme de la plante
ou, pour mieux dire, dans la partie spatiale qui est enclose par la forme
végétale, ce qui se déroule comme événements
mécaniques, physiques, chimiques. Ces événements ne
sont pas différents de ceux qui sont là dehors, mais ils sont
saisis par quelque chose que l'on ne peut pas appréhender avec les
mêmes méthodes physiques et chimiques: ils sont appréhendés
par ce qui vit à l'instar d'une réalité suprasensible,
et qui ne peut être connu qu'au niveau de l'imagination - dans cette
imagination dans laquelle on [se] trouve soi-même en même temps,
en tant que totalité humaine dans notre vie terrestre et depuis notre
naissance, en une unité instantanément présente devant
soi.
Nous apprenons à connaître par ce moyen d'un côté
pourquoi, lorsque nous employons les méthodes modernes et exactes
des sciences naturelles, telles qu'elles ont été formées,
nous parvenons nécessairement de ce fait à un certain agnosticisme
pour ce qui est de la manière de comprendre le végétal.
Et ainsi nous comprenons pourquoi, l'agnosticisme doit être dans un
certain domaine, et nous comprenons aussi, dans la mesure où l'anthroposophie
vient adjoindre précisément ce qui doit rester nécessairement
inconnu à cet agnosticisme, nous comprenons aussi dans quelle mesure
l'anthroposophie mène au-delà de l'agnosticisme, en le laissant
pour autant exister comme pleinement justifié dans son domaine. Cela
mes très honorables amis ici présents, c'est un aspect des
choses, l'autre est qu'à ce degré, on s'approprie la connaissance
d'une cause commune plus intime de l'entité humaine avec le monde
extérieur. La physique, la mécanique, la chimie - sont dans
le temps présent constituées à bon droit de manière
telle que nous ne pouvons pas autant que possible mettre de l'humain dans
ce monde extérieur et que nous disons: n'a d'objectivité que
ce pour quoi nous nous abstenons de toute subjectivité de notre part.
Il est tout à fait certain que l'anthroposophie ne combat pas la justification
de cette méthode dans un certain domaine, mais au contraire la reconnaît
plus que jamais. Mais pour ce dont il s'agit par ce que nous connaissons
au travers de l'imagination, lorsque nous appréhendons par la contemplation
ce qui vit maintenant dans le végétal, alors nous le rapportons
d'une part à la connaissance intime de notre propre entité
suprasensible, tout au moins de la façon dont elle se présente
entre la naissance et la mort et, d'autre part, nous le rapportons également
de ce fait justement à la contemplation de l'élément
fluctuant, en métamorphoses constantes, qui anime le monde des formes
vivantes. Ainsi nous relions nous d'abord en tant qu'hommes à ce premier
degré avec le monde extérieur et dans l'imagination. Nous réintroduisons
par là même l'humain au sein de notre conception du monde.
Le degré suivant de la connaissance suprasensible est l'inspiration.
Elle est conquise du fait que l'on façonne de plus en plus - dirais-je
- le pôle opposé de l'activité de méditation et
de l'effort de la concentration de soi. Celui qui a assimilé un certain
exercice au sein de la méditation et de la concentration, sait que,
parce que le penser se renforce, on reçoit en même temps l'inclination
intérieure d'en rester à ce qui résulte de cette part
de l'âme acquise par le penser renforcé. On doit s'efforcer
de préférence à abandonner ces idées imaginatives
renforcées. Si l'on y parvient, c'est-à-dire si on parvient
à rejeter réellement hors de la conscience ces idées
renforcées, tout ce monde imaginatif, que l'on a d'abord fait sien;
si, autrement dit, on peut évacuer tout contenu de sa conscience,
non pas vider celle-ci à partir du point de vue habituel, mais de
pouvoir le faire à partir du moment où on l'a d'abord renforcée
intérieurement, alors la vacuité de cette conscience devient
quelque chose de tout différent que ce qu'est le vide de la conscience
dans la vie ordinaire. C'est le vide de la conscience du sommeil.
Cependant, la vacuité de la conscience qui surgit, après que
l'on a d'abord renforcé celle-ci, elle est peu après remplie
des phénomènes qui sont à présent tout différents
de ceux que l'on a connus auparavant. On apprend maintenant à connaître
un monde sur lequel nos représentations habituelles d'espace et de
temps ne sont plus utilisables, un monde qui est réellement psycho-spirituel,
un monde réellement extérieur, qui est tout aussi concret que
notre monde sensible réel, mais qui afflue en nous du fait que l'on
a fait le vide à un degré plus élevé de la conscience.
Après avoir traversé ces préparations, être parvenu
d'abord à l'imagination, à l'occasion de quoi l'on peut se
concentrer sur un contenu spirituel et on peut percevoir en dehors de son
corps, parce que l'on a de l'activité en soi - non pas cette passivité
qui existe dans la conscience ordinaire -, alors pénètre à
présent, tout comme autrement les phénomènes chromatiques
et les phénomènes du monde des sons par les sens, alors pénètre
en nous, au moyen de l'activité développée d'une conscience
devenue libre, alors pénètre en nous le monde spirituel extérieur.
Par ce monde spirituel extérieur, on parvient d'un côté
à la connaissance de ce que nous étions en tant qu'hommes,
avant de descendre du monde psycho-spirituel dans le monde physique, avant
que nous nous unissions avec le germe embryonnaire physique qui avait été
préparé par la conception au sein de l'organisme maternel,
on parvient à la contemplation de ce qu'a vécu d'abord l'entité
humaine physique, dans son état supra-physique au sein du monde psycho-spirituel.
On apprend donc à connaître ce qui chez quelqu'un est au fond
totalement inactif entre la naissance et la mort, ce qui est pour ainsi dire
exclu au sein de notre nature humaine sensible, mais qui était bel
et bien actif en nous, et qui agissait dans toute sa pureté, avant
que nous descendissions au sein d'une incarnation physique. C'est la première
chose: nous recevons une connaissance humaine, en nous élevant à
ce degré de la contemplation suprasensible, qui est tout aussi exactement
développée que les autres, et cette connaissance qui afflue
de l'extérieur, à la manière de l'air frais dans nos
poumons, que nous élaborons plus avant, cette connaissance, donc,
qui afflue en nous depuis un monde spirituel, si bien que nous pouvons élaborer
en nous ce déversement de connaissance - qui, pour la conscience ordinaire
se situe dans la sous-conscience - mais qui est pleinement conscient face
à la conscience développée - ce déversement que
j'ai consenti à recevoir en moi, est à désigner comme
l'inspiration dans la connaissance.
Tel est donc le second degré. Par ce degré, nous parvenons
à reconnaître d'abord notre entité éternelle comme
préexistante. Mais avec cela, mes très honorables amis ici
présents, nous avons aussi la possibilité de pénétrer
dans ce qui vient du monde extérieur et qui ne vit pas simplement,
mais vit et ressent à la fois, et donc vit au sein des configurations
vivantes de la vie intérieure, au point que cette vie intérieure,
devient présente et actuelle elle-même au sein du sentiment.
Nous commençons aussi à connaître ce qui relève
de la nature de l'animal qui vit dans notre entourage. De nouveau nous complétons
ce que nous pouvons atteindre en aucune façon par une vision ordinaire
des choses, telle que nous l'avons dans la physique, dans le chimisme - nous
parvenons à contempler ce qui vit dans la vie du sentiment comme un
élément suprasensible supérieur. Nous apprenons par
la contemplation et non par la spéculation philosophique au sens actuel,
à suivre un monde supérieur, le monde de ce qui est ressenti
en esprit et en l'âme au sein du sentiment vécu au plan physique.
Avec cela, mes très honorables amis ici présents, nous pénétrons
un pan au-delà de l'agnosticisme, qui doit être présent
si nous voulons suivre tout au plus les processus chimiques au sein du vivant
en train de ressentir des sentiments; nous devons les suivre et c'est le
grand service rendu par les nouvelles sciences naturelles que ceux-ci puissent
être suivis; mais pour cela, cette science devait devenir agnosticisme.
Un agnosticisme qui doit trouver son complément justement du fait
que désormais, dans une libre spiritualité au sein de l'inspiration,
on fait l'expérience de ce qui doit être complété
vers la pleine réalité de la vie des sentiments. Mais de ce
fait, on parvient encore à quelque chose d'autre, dont je voudrais
vous donner un exemple en le rehaussant, on parvient en effet à reconnaître
que le processus qui se déroule par exemple dans la nature humaine
- pour l'animal c'est analogue, mais quelque peu différent - que le
processus qui se déroule par exemple au sein de la nature humaine,
n'est pas identique simplement à une processus qui s'élève,
mais c'est un processus qui descend.
On apprend maintenant à percevoir vraiment intérieurement,
en se haussant à cette connaissance inspirative, on apprend à
connaître précisément ce qui se passe à proprement
parler au sein de la conscience ordinaire. On apprend avant tout à
connaître des choses telles que celles du processus du penser de la
conscience ordinaire, non pas ce qui se passe dans le processus du penser
imaginatif, mais ce qui se passe au sein du processus du penser habituel,
on n'a plus à faire alors à un processus d'édification,
(ou anabolique, ndt) mais au contraire à une processus de destruction,
(ou catabolique, ndt) et que, pour l'essentiel, notre vie des nerfs est une
vie de destruction. Si nos nerfs ne pouvaient être le siège
de ce catabolisme, et naturellement être réédifiés
de façon anabolique dans l'intervalle, nous ne pourrions pas développer
l'activité du penser ordinaire. La vie véritablement pleine
de vitalité, si elle apparaît proliférante en excès,
c'est qu'il y a effectivement un engourdissement du penser, tel qu'il surgit
normalement à chaque sommeil. Cette vie, qui est traversée
de sentiments et de pensées, doit être en même temps un
processus catabolique, je voudrais dire: elle doit porter en elle un processus
de dépérissement différencié. Ce catabolisme,
on apprend d'abord à le connaître au sein de la vie saine, à
savoir à le connaître tel qu'il surgit au sein même du
vivant pour que le penser humain puisse se réaliser au sens ordinaire
du mot.
Mais quand on s'est approprié une fois la nature de ce processus,
on apprend aussi à connaître le surgissement anormal d'un tel
phénomène. Il existe simplement certains organes, ou systèmes
organiques au sein de l'organisme humain, appropriés à vivre
sous une forme habituelle, c'est-à-dire comme celle qui se déroule
parallèlement au penser, alors que - dirais-je - lors d'une infection
interne, ce mot n'est pas véritablement utilisé au sens propre,
bref lors d'une infection interne, ces processus cataboliques, qui autrement
fournissent le fondement du processus du penser, s'ils s'étendent
à des organes, sur lesquels ils ne sont pas autrement attribués
à le faire, ces processus cataboliques font naître des situations
de maladie.
Mes honorables amis ici présents! Il est absolument indispensable
que l'on étudie la pathologie de manière à ce que l'on
retrouve dans la pathologie les processus que l'on connaît dans la
physiologie. Mais ce n'est seulement possible que si nous pouvons percevoir
l'élément déterminant de notre organisation humaine
- chez l'animal il y a des analogies, mais c'est quelque peu différent
-, je le dis encore une fois, afin de ne pas être mal compris: à
savoir si nous suivons nos processus humains dans l'organisme, de manière
à y reconnaître une polarité à l'instar d'une
organisation établie sur un catabolisme et l'autre polarité
à l'instar de celle qui ne peut pas être appréhendée
dans l'état sain par ce catabolisme, autrement dit, si nous apprenons
à percevoir cet élément anabolisant et cet élément
catabolisant au sein de la connaissance inspirative.
Si nous apprenons par cette examen en détail, nous pouvons ensuite
relier cette étude de notre propre organisme avec un examen approfondi
de la connaissance inspirative du monde extérieur, à savoir
examiner attentivement par la connaissance inspirative les processus dans
le règne végétal, ceux du règne minéral
et aussi ceux du règne animal, alors nous apprenons à connaître
une parenté encore plus intime des processus humains internes avec
le monde extérieur, plus intime que ce n'était encore le cas
au degré précédent de la connaissance suprasensible.
J'ai montré comment au premier degré de connaissance suprasensible,
l'être humain se sent de nouveau apparenté avec la nature extérieure,
en voyant, dans tout ce qui surgit dans les métamorphoses les plus
variées du monde végétal, quelque chose qu'il voit également
dans l'élément psychique au sein de sa propre corporéité
entre la naissance et la mort.
S'il apprend maintenant à contempler au moyen de la connaissance
inspirative ce qu'il était dans l'état précédent
son existence sur la terre, alors il examine attentivement en même
temps ce qui se passe au sein des règnes extérieurs, non seulement
ce qui vit dans le sentiment, mais ce qui a une certaine relation, un certain
rapport, avec ce qui vit au sein de l'organisation humaine, en s'orientant
vers le sentiment et sur l'activité du penser, et on apprend à
connaître ces connexions entre processus externes et processus internes,
les connexions avec la vie des sentiments, qui engendrent justement chez
l'être humain, le fait que les organes sont affectés par une
déconstruction, qui ne devraient pas l'être, parce que la déconstruction
dans cette acception doit être précisément le fondement
des processus du penser et de la vie des sentiments.
Lorsque l'activité organique, pour le penser et la vie des sentiments,
affecte pour ainsi dire des organes de l'organisme humain, qui ne doivent
pas l'être, alors prend naissance ce que nous devons appréhender
dans la pathologie. Si maintenant à l'aide de ce même type de
connaissance nous appréhendons le monde extérieur, alors nous
y découvrons ce qui doit être appréhendé par la
thérapie, à savoir le processus correspondant de polarité
inverse à la déconstruction normale au sein de l'organisme
- si je peux m'exprimer ainsi - bref, nous découvrons par la vue inspirative
intérieure le rapport qui existe entre la pathologie et la thérapie,
entre le processus maladif et le remède. Par ce moyen, nous dépassons
l'agnosticisme médical, non pas en niant la médecine actuelle,
mais en reconnaissant ce qu'elle peut seulement être, et en trouvant
en même temps la voie pour la compléter en lui adjoignant ce
qu'elle ne peut pas découvrir d'elle-même.
Si l'on croit maintenant que l'anthroposophie veut donner forme dans les
domaines les plus divers de la science à un quelconque dilettantisme,
alors je dois affirmer que ce n'est pas le cas! Elle veut consciemment être
la prolongation de ce qu'elle reconnaît parfaitement comme un résultat
existant de la science actuelle; mais elle veut le compléter au moyen
de méthodes supérieures d'investigation cognitive, elle veut
donc au fond, parvenir à une thérapie, dont toute personne
active dans la pratique ressent le défaut d'être simplement
soumise aux essais aléatoires, elle veut parvenir à une thérapie
qui tombe sous le sens, qui a simplement une interdépendance organique
interne avec la pathologie, qui n'est pour ainsi dire que l'autre versant
de cette dernière.
Si on parvient de la manière ici décrite à découvrir
dans la pathologie simplement une continuation de la physiologie, alors pour
quelqu'un connaissant la parenté de l'homme avec son environnement
naturel, il est aussi possible de prolonger la pathologie de nouveau d'une
façon parfaitement rationnelle au sein de la thérapie, si bien
qu'à l'avenir ces dernières n'auront plus besoin être
considérées l'une à côté de l'autre, comme
elles le sont aujourd'hui au sein d'une science plutôt teintée
d'agnosticisme.
Ce ne sont là que des indications, mes très honorables amis
ici présents, mais je souhaiterais les donner cependant dans le sens
qu'elles pussent montrer un peu - je sais combien l'on est incomplet dans
une conférence d'information comme celle-ci - qu'elles pussent indiquer
combien l'anthroposophie est loin de se mettre de manière dilettante
en opposition aux sciences reconnues, et combien il lui importe beaucoup
plus de tirer les dernières conséquences de la forme agnostique
de la science et d'en venir par ce moyen à une représentation
de ce qui doit être ajouté en complément à cette
science. On ressent déjà en effet, et au fond il existe beaucoup
de gens en particulier parmi la génération montante, qui ressentent
déjà que la science telle qu'elle existe, ne suffit plus. Alors
il nous faut quelque chose d'autre, car elle ne nous suffit pas, justement
si nous sommes sinon honnêtement disposés à son égard,
alors nous devons parvenir à autre chose par elle.
Précisément pour ceux qui - dirais-je - apprennent à
connaître la science, non pas simplement comme une réponse,
mais qui apprennent à la connaître dans le sens plus élevé
d'interrogation (du monde, ndt), pour ceux-là, l'anthroposophie est
là - non pas pour les pousser au dilettantisme, mais pour prolonger
eux-mêmes leur recherche de manière correcte et exacte, au travers
de la science et au-delà, telle qu'elle doit l'être de manière
conséquente.
Alors, mes honorables amis ici présents, il existe un troisième
degré supérieur de la connaissance. Qui est atteint à
la condition que nous étendions nos exercices en exercices de la volonté.
Par la volonté, nous menons à bien d'abord surtout ce que l'être
humain peut faire dans le monde extérieur. Mais si nous employons
la même énergie de volonté sur nos propres événements
intérieurs, alors surgit sur les fondements de l'imagination et de
l'inspiration, un troisième degré de cognition suprasensible.
Si nous sommes tout à fait honnêtes avec nous-mêmes, nous
nous avouerons à tout instant de notre vie la chose suivante: nous
sommes aujourd'hui tout différents de ce que nous étions voici
dix ou vingt ans. Le contenu de notre âme s'est modifié, mais
en se modifiant, nous nous adonnions à proprement parler tout à
fait passivement au monde extérieur. C'est justement eu égard
à notre transformation intérieure qu'une certaine passivité
règne en nous.
Si nous prenons ce changement nous-mêmes en main, si un jour nous
modifions en outre radicalement ce qui se trouve par exemple dans une certaine
relation en nous conformément à l'habitude, si nous nous considérons
nous-mêmes intérieurement, au point qu'après avoir suivi
une certaine direction nous décidions d'en changer pour faire de nous
un autre homme, alors mes très honorables amis ici présents,
alors il nous faut souvent être actifs au sein de notre vécu
intérieur pendant des années, voire des décennies, car
de tels exercices nécessitent du temps.
Que l'on procède donc à la chose suivante: tu façonnes
une certaine qualité ou la forme d'une qualité en toi. Après
des mois, on remarque combien peu on est parvenu de cette façon à
faire nous-mêmes ce qu'autrement le corps fait de nous. Mais si on
s'efforce sans cesse, alors on ne regarde pas seulement sa nature humaine
intérieure, suprasensible, mais on parvient à rendre cet homme
intérieur pour ainsi dire tout à fait transparent. Un organe
des sens tel que l'oeil ne pourrait pas nous servir d'organe des sens s'il
n'était altruiste - si je peux me permettre cette expression - s'il
faisait prévaloir sa propre substantialité; il est transparent,
physiquement transparent.
C'est ainsi que nous deviendrons par des exercices de volonté - je
n'en ai indiqué qu'un; vous trouverez de tels exercices de volonté
exposés en détail dans mon ouvrage:
Comme de l'autre manière, que j'ai décrite tout à l'heure,
nous avons appris à connaître notre préexistence, à
présent nous apprenons à connaître notre vie après
la mort, notre postexistence. Comme nous avons maintenant appris à
ne plus voir l'organisme, nous apprenons aussi, du fait qu'il se présente
devant nous en image, à connaître l'événement
dans lequel nous nous trouvons lorsqu'en pleine réalité nous
rejetons cet organisme physique et qu'avec notre seul organisme psycho-spirituel
nous entrons dans le monde spirituel. La perte de notre existence physique,
la renaissance à l'existence psycho-spirituelle, c'est ce dont nous
faisons l'expérience au troisième degré de la cognition
suprasensible, dans ce que j'ai appelé l'intuition supérieure.
En ayant cette expérience, en pouvant à présent nous
transposer dans un monde sans être prisonnier de notre subjectivité,
nous acquérons la possibilité de ce fait de connaître
ce monde spirituel pour la première fois dans sa pleine intériorité.
Dans l'inspiration, il est encore tel qu'il afflue en nous, mais à
présent, dans l'intuition supérieure, nous apprenons à
la connaître dans sa pleine intériorité, et à
présent nous regardons en arrière vers ce qui s'est d'abord
livré à nous comme une nécessité - sous la forme
de l'intuition morale. Cette intuition morale, c'est la seule et unique chose
qui apparaît à la conscience dégagée par la connaissance
de soi par l'exercice du penser pur - j'ai exposé cela dans ma
L'histoire en tant que juxtaposition de faits extérieurs n'en est
que la préparation. Ce qui en tant que forces de motivation spirituelle
et entités motrices dans la vie historique, on le perçoit seulement
au stade de la connaissance intuitive et à partir de ce degré
de cette cognition intuitive, on perce également à jour en
réalité ce qu'est notre propre entité-Je. Notre propre
individualité-Je n'apparaît à proprement parler que comme
quelque chose dont nous ne pouvons pas "voir au travers" - je voudrais
dire ceci: elle se manifeste tel un espace sombre au sein d'une certaine
luminosité, voilà comment elle nous apparaît, si bien
que nous voyons avec nos yeux cette clarté sur la base de son noyau
obscur, nous jetons ainsi un regard rétrospectif sur notre âme,
nous voyons ses idées, et ressentons bien d'autres événements
qui l'animent, et vivons dans ses impulsions volontaires. Mais la véritable
entité-Je - dirais-je - s'y trouve en son sein comme une zone sombre;
elle est indirectement mise en évidence par la clarté de l'âme.
Nous apprenons donc à connaître notre nature éternelle.
Mais avec cela nous pouvons commencer seulement à percevoir aussi
l'être humain dans sa nature pleinement sociale. À présent
nous sommes en face du point où surgit le complément de l'agnosticisme
social.
Mes très honorables amis, ici présents! Ici la chose commence
à devenir tout particulièrement grave. Qu'est-ce que l'agnosticisme
social? Il surgit du fait que nous voulons faire usage de cette observation,
que nous avions à bon droit employée sur les phénomènes
naturels extérieurs, mais voilà qu'à présent
nous voulons aussi en mettre en oeuvre cette observation éduquée
sur les phénomènes naturels en les transposant aux phénomènes
sociaux. Surgissent alors ces diverses théories de compromis au sein
des sciences sociales et de la sociologie - principalement dans la conception
de la vie sociale, que nous avons vu apparaître en tout premier lieu,
s'élève ce que les sciences naturelles ont inséré
dans la conception de la vie sociale, mais qui pour cette raison doit être
mis à part de toute chose connaissable, qui devient étranger
même à l'idée sociale, à savoir ce qui existe
en tant qu'instincts de vie. L'absolu ultime s'est en cela manifesté
dans le marxisme, qui voit une idéologie dans tout ce qui est de nature
spirituelle et qui ne veut réaliser ensuite l'impulsion à la
vie sociale que si cette impulsion se développe à partir des
instincts appartenant à l'agnosticisme. La conscience de classe n'est
en vérité rien d'autre que la somme de ce qui ne s'enracine
plus dans une connaissance de l'être humain, mais de ce qui ressort
des instincts. Ceux qui développent de tels instincts dans des circonstances
déterminées de la vie doivent le savoir en tout et pour tout.
Lorsque d'un regard non prévenu vous envisagez notre vie sociale,
vous découvrez alors que c'est justement sur ce terrain que l'on parvient
uniquement à l'agnosticisme. Aussi grotesque et paradoxal que cela
puisse apparaître à l'homme d'aujourd'hui, on parvient uniquement
dans ce domaine de la science spirituelle - on ne parvient dans ce domaine
que dans la mesure où l'on exerce l'agnosticisme, mais en s'élevant
à la connaissance intuitive réelle et avec cela en s'élevant
à faire l'expérience de ce qu'est réellement la nature
humaine. Nous passons véritablement aujourd'hui devant les hommes
sans nous arrêter. Nous nous apprécions extrêmement superficiellement.
Les exigences sociales surgissent du fait que nous développons justement
le plus fortement les vieux instincts sociaux. Mais l'état d'âme,
la disposition profonde de l'âme à la vie sociale, ne nous viendra
uniquement que du fait des intuitions en provenance du monde spirituel qui
se mettent à vivre et pénétrer en nous. Nous avons dû
en venir nécessairement à une époque agnostique pour
envisager uniquement tout contenu spirituel plus ou moins restreint à
des idées. Mais les idées ne vivent plus, pour autant qu'elles
se trouvent au sein de la conscience ordinaire. Le philosophe d'aujourd'hui
nous parle d'idées logiques, d'idées esthétiques, d'idées
éthiques. Toutes ces idées, nous pouvons les observer, nous
pouvons les vivre intérieurement en théorie - nous n'en recevons
aucune impulsivité de vie. Les idées ne reçoivent de
l'impulsivité à vivre qu'à partir du moment où
nous faisons des efforts pour nous élever à l'expérience
du spirituel. Nous ne pouvons pas en venir à un affranchissement,
à une libération sociale, et nous ne pouvons pas non plus imprégner
notre vie par une religiosité qui nous convient, si nous n'arrivons
pas à appréhender le spirituel de manière intuitive
et vivante.
Cette conception pleine de vie du spirituel, elle se distinguera essentiellement
de ce que nous appelons aujourd'hui la vie spirituelle. Celle-ci désigne
aujourd'hui pour nous la vie idéelle - autrement dit: la vie dans
les idées abstraites, qui ne sont pas des impulsions. Ce que nous
livre l'intuition, nous redonnera en tant qu'humanité l'Esprit de
vie qui vit avec nous. Nous ne disposons plus effectivement que des idée
qui, parce qu'elles sont simplement des idées, ont totalement perdu
l'esprit. Nous avons des idées en tant qu'abstractions. Nous devons
reconquérir
Il se peut qu'aujourd'hui nous regardions en arrière sur des époques
antérieures, certes nous les avons dépassées, et justement
celui qui se trouve sur le terrain anthroposophique, celui-là en viendra
d'autant moins à souhaiter un retour de leurs formes anciennes. Mais
ce qu'elles ont eu, en dépit de toutes leurs erreurs que nous pouvons
si facilement critiquer aujourd'hui, c'est que, dans certaines époques,
l'esprit de vie - et pas simplement l'esprit des idées - a circulé
parmi les hommes. De ce fait ce qui a existé en tant que fondements
cognitifs a pu s'étendre jusqu'à appréhender le monde
par l'art, jusqu'à pénétrer véritablement l'intériorité
de vie religieuse, jusqu'à organiser socialement le monde. Une nouvelle
organisation sociale dans le monde, une nouvelle vie religieuse, de nouvelles
valeurs artistiques reposant sur un fondement de connaissance, sur lequel
au fond elles se sont toujours trouvées, nous ne les conquerrons qu'à
partir du moment où nous conquerrons une connaissance vivante, de
façon que vivent au sein de l'humanité, non pas uniquement
Par ce moyen nous dépasserons l'époque qui a amené
le phénoménisme à son épanouissement maximum.
Bien sûr, on ne peut que souhaiter qu'il continue à fleurir
de cette manière, on ne peut que souhaiter que la manière de
penser au sein des sciences de la nature, par sa probité avec laquelle
elle a acquis droit de cité, continue d'être si féconde.
Mais la vie de l'esprit ne doit pas non plus exister uniquement parce qu'elle
continue de vivre sur les traditions anciennes. Au fond, toutes les expériences
de l'esprit sont édifiées sur la tradition, elles ont été
bâties sur ce dont une humanité antérieure a conquis
de spiritualité.
Au fond, notre art d'aujourd'hui est aussi construit sur la tradition, sur
les fondements qu'une humanité antérieure a conquis. On ne
parvient plus aujourd'hui aux styles architecturaux, sans les transformer
soi-même en conscience. Sinon nous en serions encore à bâtir
selon les formes de style de la Renaissance, du Gothique ou de l'Antiquité.
Nous ne parvenons pas à produire. Produire, nous y parvenons qu'à
partir du moment où nous animons intérieurement la connaissance,
de façon à ne plus façonner des concepts, mais la vie
intérieure du penser qui nous emplit et qui peut jeter un pont entre
ce que nous appréhendons sous forme d'idées et ce que nous
devons créer pleinement dans la vie. Nous devons devenir des hommes
productifs en recherchant une connaissance vivante devant toutes choses à
l'instar d'un fondement de vie.
Cela, mes très honorables amis ici présents, mes très
honorables condisciples, c'est ce que l'anthroposophie voudrait. Elle voudrait
apporter la vie dans l'âme humaine, dans l'esprit humain - ne pas se
trouver en opposition comme cela a été souvent répété
sur elle, ne pas être une opposition à ce qu'elle reconnaît
comme pleinement justifié dans l'esprit scientifique moderne. Elle
souhaiterait prolonger cet esprit scientifique afin qu'il puisse pénétrer
depuis les choses extérieures, matérielles, naturalistes jusqu'au
sein du psycho-spirituel. Et celui qui peut percer à jour les besoins
humains d'aujourd'hui est convaincu que chez de nombreux hommes du présent
il existe déjà une soif intérieure inconsciente, une
aspiration à une extension de l'esprit scientifique du présent.
Développer uniquement dans la conscience ce qui vit chez maintes personnes
sous la forme d'un vague besoin, c'est cela que voudrait l'anthroposophie,
et seul celui qui la regardera sous un éclairage correct et dans sa
relation avec la science, apprendra à la connaître dans sa vraie
lumière, et non selon les altérations que l'on ébauche
en partie sur elle à l'époque actuelle.
Der Europäer, 7ème année,
n° 1- novembre 2002
(Traduction Daniel Kmiécik)
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