Sergei Prokofieff : Mythe et réalité (*)

Irina Gordienko

Préface de l’ouvrage : Sergei Prokofieff : Myth and Reality

Les lecteurs de l’oeuvre de Serge O. Prokofieff se partagent en trois catégories. La première (la plus grande en nombre) est convaincue que ses écrits accélèrent le processus de connaissance dans l’anthroposophie et qu’au moyen d’une méthode efficace, ils sont même plus profonds que l’oeuvre de Rudolf Steiner lui-même. En outre, ils considèrent Prokofieff comme entouré d’une aura de présence spirituelle.

La seconde, une catégorie moins enthousiaste (et moins nombreuse également), analyse les textes de Prokofieff, compare ses écrits avec ceux de Rudolf Steiner, à l’expérience duquel il est fait constamment appel.

Enfin, une troisième catégorie (également réduite en nombre), analyse dans son oeuvre la structure intérieure, la logique, le style, la manière d’exposer, la mise en perspective de l’auteur, etc..

Dans les deux derniers cas, celui qui étudie fait des découvertes étonnantes, voire bouleversantes, lesquelles l’incitent à en faire part aussi bien aux lecteurs de la première catégorie comme également à ceux qui ne font que débuter dans l’étude de l’oeuvre de Prokofieff. Ce fut là aussi le premier motif qui détermina l’auteure de cet ouvrage à prendre la plume.

La seconde impulsion fut ce passage du livre de Herbert Wimbauer Le cas Prokofieff (1995), où Wimbauer évoque le danger qui menace la mission de l’Europe centrale à partir de l’Est (chapitre VIII), en caractérisant Prokofieff, avant tout comme un représentant de cette Théosophie mystique russe orientale (p.173). Sans vouloir entrer dans une discussion fondamentale avec Monsieur Wimbauer, nous aimerions cependant établir que dans ce cas concret, ni l’Est, ni non plus la Russie elle-même, ne se sont rendus coupables, car le phénomène Prokofieff, dans sa situation « scientifique » et sa position « sociétale », est un pur produit de l’Occident et seulement de l’Occident [Prokofieff fut effectivement coopté d’autorité par Manfred Schmidt Brabant, peu avant le départ de celui-ci pour le monde spirituel, ndt]. On fut pourtant aux petits soins pour lui, et on y mit tous les moyens. Sa « réputation » fut — à notre très grand regret — « réimportée » en Russie. Cela doit rester incontesté.

En ce qui concerne sa première impulsion, l’auteure souhaiterait poser ici une question centrale que le lecteur ne doit pas prendre à la légère à la façon d’un paradoxe. Si cela arrivait, un livre du genre de celui-ci n’aurait pas à être écrit. Le lecteur doit pouvoir se convaincre de façon réitérée que maints faits qui sautent aux yeux, et qui vont de soi dans le milieu anthroposophique, ne peuvent pas valoir justement comme tels.

Notre question est la suivante : dans la soi-disant littérature anthroposophique secondaire, le sens et le contenu d’une oeuvre ont-il une importance essentielle, ou bien sont-ils simplement accessoires, à l’occasion de quoi l’élément principal est-il à rechercher ailleurs ?

Si cette dernière hypothèse était juste, alors nous devrions à vrai dire admettre que dans ce cas nous ne pourrions rien dire d’essentiel, et plus encore : nous aurions même de la répugnance principalement à entreprendre une telle investigation. Nous sommes pourtant convaincue que dans les livres, qui sont écrits au nom de l’anthroposophie, ce qui est avant tout essentiel, c’est l’étude de leur contenu. Que l’on veuille cependant juger du contenu, alors les critères pour ce faire doivent provenir des efforts traditionnels de la connaissance scientifique. Ici, nous sommes arrivés au point où nous souhaiterions faire connaître au lecteur, notre point de départ et notre manière scientifique de procéder à l’aide de laquelle nous voulons analyser l’oeuvre de Prokofieff.

Le début du cheminement évolutif de l’Anthroposophie est habituellement daté de l’année 1902, au moment où la section allemande de la Société Théosophique fut fondée. Mais on devrait pourtant faire attention au fait que les fondements pour l’évolution ultérieure de l’anthroposophie avaient été créés bien avant par Rudolf Steiner lui-même dans ses écrits portant sur la théorie de la connaissance tels que Lignes directrices d’une théorie de la connaissance dans la vision goethéenne du monde (1886), Science et Vérité (1892 ; doctorat de philosophie de Rudolf Steiner, ndt), La Philosophie de la Liberté (1893) entre autres.

On devrait particulièrement porter ses regards sur le fait que Rudolf Steiner, à l’époque où il rédigeait les oeuvres mentionnées ci-dessus, possédait une expérience suprasensible qui lui était propre. Devant son regard spirituel, le monde spirituel surgissait comme une réalité sublime au-delà de toute incertitude. Et en dépit de cela, il débuta pourtant son activité de création de sagesse, non pas par la description de ses expériences occultes, mais il se tourna vers les interrogations générales des hommes de son époque, celles de la crise cognitive d’alors. L’essentiel de cette crise cognitive, qui se prolonge jusqu’à notre époque, consiste dans le fait que l’énergie de connaissance humaine, telle qu’elle s’est développée durant les derniers siècles, se révélait incapable de répondre aux interrogations qui ont surgi dans le domaine de l’âme et de l’esprit. La conséquence en fut que tous les aspects qui concernent l’existence de l’âme et de l’esprit, s’étaient avérés inconnaissables, dès le 19ème siècle déjà, dans le domaine de la religion. La conscience individuelle pensante de l’homme se restreignit de plus en plus aux intérêts matérialistes étroits, pour finalement en arriver à une totale négation de la réalité spirituelle, laquelle a trouvé son apothéose dans le triomphe général de la conception du monde matérialiste.

À partir de ce fondement épistémologique, Rudolf Steiner commença donc par un thème très fastidieux pour la mystique populaire, et certes même par une prise en considération des lois cognitives dans l’espoir d’ouvrir la possibilité d’indiquer un cheminement sur lequel les limites du monde sensible perceptible peuvent être dépassées. Et c’est seulement après avoir réalisé l’essentiel de cette tâche, qu’eut lieu l’entrée de Rudolf Steiner dans la Société Théosophique et l’organisation de la section allemande. Les conditions à cette entrée avaient ainsi été créées au point que la Société Théosophique, de son côté, avait à résoudre le même problème que l’épistémologie de Rudolf Steiner, et ce n’est pas étonnant si dans les deux intentions vivait, à l’origine, une seule et unique impulsion spirituelle qu’on retrouvait chez leurs initiateurs mêmes. Cette tâche commune consistait à surmonter l’opposition entre le monde spirituel et la conscience de l’homme civilisé actuel, lequel sombrait toujours plus dans les profondeurs du matérialisme.

Alors les choses évoluèrent selon un réel processus de l’histoire culturelle, à vrai dire d’une façon telle que ce qui se trouvait au point de départ de l’activité théosophique fut accueilli comme quelque chose d’extérieur par la conception contemporaine. Il s’agissait alors de la Théo-Sophia, la sagesse divine existante à l’origine, qui avait été confiée, au commencement de l’évolution de la Terre, aux représentants qui conduisaient le genre humain dans les écoles secrètes, les lieux de Mystère, pour y être gardée et transmise par leurs élèves de génération en génération. La fondatrice de la Société Théosophique, H. P. Blavatsky, se donna pour tâche, quant à elle, la diffusion et la vulgarisation de cette sagesse occulte.

À l’opposé de cela, le point de départ dans l’anthroposophie fut ce que tout homme peut observer et reconnaître lui-même en soi. Pour l’anthroposophie, le départ c’est l’Anthropos, l’être humain, placé au centre de l’attention, et certes en premier lieu l’homme actuel ; ensuite la Sophia, cette sagesse-là, qu’il peut acquérir dans le processus d’un Je en devenir. C’est pourquoi l’anthroposophie s’articule organiquement, dès le moment de sa naissance, dans le courant vivant de l’évolution générale de l’humanité. Elle commence à ce point où l’homme actuel recherche une voie dans le monde spirituel — aussi bien en rapport avec une conception de sa vie d’âme et d’esprit qu’en rapport avec le contexte universel qui l’environne.

Pendant un certain temps, l’anthroposophie s’est développée en relation avec le mouvement théosophique. Plus tard, en conséquence de la sortie de Rudolf Steiner de la Société théosophique, le mouvement anthroposophique s’en sépara et devint autonome ; en même temps, il se présenta comme la continuation directe de la Société théosophique. Or nous voulons insister encore une fois sur le fait que l’anthroposophie n’a pas commencé avec la théosophie de H. P. Blavatsky, mais avec la théorie de la connaissance de Rudolf Steiner, laquelle de son côté s’enracine profondément dans l’ésotérisme chrétien occidental.

Ce qui vient d’être dit, d’après nous, n’a pas tant une importance purement historique, mais plutôt une signification de principe. Si l’on voulait séparer l’anthroposophie de ses propres fondements — à savoir d’avec les écrits épistémologiques de Rudolf Steiner —, alors on risquerait de perdre de vue cet aspect le plus fondamental, par lequel elle se détache des autres courants spirituels du passé et du présent, à savoir pour préciser, sa méthode de connaissance particulière et qui lui est bien propre. Grâce à celle-ci, l’homme a la possibilité de reconnaître le monde spirituel aussi objectivement et authentiquement que cela se produit pour les méthodes des sciences naturelles dans le monde physique. En insistant sur la possibilité d’une connaissance exacte de l’esprit, Rudolf Steiner caractérisa également l’anthroposophie comme une science du spirituel ou science de l’Esprit. Il existe à vrai dire une différence essentielle entre la science spirituelle et celle matérialiste, laquelle, encore une fois ne se fonde pas dans leur opposition, mais bien plus dans la méthode. Et aujourd’hui cette différence ressort particulièrement nettement, puisque les savants sont contraints par la pression des faits, à reconnaître l’existence du spirituel et à tenter de l’explorer d’une manière méthodique ; c’est pour cela que se sont développées des branches spécialisées de la science que sont la parapsychologie, l’extrasensorialité et autres choses semblables. En élargissant son domaine d’investigations, et en tentant de pénétrer dans le monde invisible, elle emprunte le chemin extensif de la découverte de nouvelles techniques d’observation, qui peuvent être appliquées comme des sortes d’extension des organes des sens humains, en révélant cependant une plus haute fiabilité. Par la technique de comptage électronique (Computerisation) cette extension remplit des fonctions isolées de la pensée humaine beaucoup plus efficacement, qu’il n’est possible à l’homme. De cette manière, la science perfectionne les deux côtés de la connaissance humaine : autant celui de la perception, que celui de la pensée. Cependant elle n’a fait cela que d’une manière exclusive, à savoir, sans toucher pour autant la capacité cognitive même de l’entité humaine ; elle améliore purement et simplement les dispositifs techniques. C’est la raison pour laquelle la science matérialiste, en dépit justement de ces conquêtes carrément fantastiques, jusqu’à présent se voit condamnée à ne faire que rassembler des connaissances simplement à l’intérieur des frontières du plan physique ; en fait également partie aussi le kaléidoscope enregistré jusqu’à aujourd’hui des phénomènes soi-disant paranormaux.

L’anthroposophie ou science de l’esprit avance sur une autre voie. Pour elle, l’évolution de la capacité cognitive de l’homme lui-même, en tant que sujet et objet de la science, s’avère d’une importance presque centrale. Alors qu’il est indifférent pour la science matérialiste, de savoir quel cheminement intérieur un scientifique a parcouru jusqu’à l’instant où il parvient à une découverte scientifique, pour la science spirituelle il en va tout autrement. Son cheminement cognitif est en même temps le cheminement d’évolution de celui qui connaît. Rudolf Steiner disait que la science spirituelle s’efforce ... d’acquérir, au travers d’une formation strictement réglée d’une pure contemplation de l’âme, des résultats objectifs et exacts du monde suprasensible ... [et] ne laisse prévaloir en de tels résultats que ce qui a été acquis par une telle contemplation, par laquelle on peut tout aussi exactement embrasser du regard l’organisation d’âme et d’esprit de la même façon que l’on domine un problème mathématique ... Pour [l’investigateur spirituel] ... la méthode scientifique est donc d’abord utilisée à la préparation de ce qui repose dans ses « organes spirituels » (GA 25, p.7-8).

La méthode anthroposophique, pour l’investigation du monde spirituel, englobe les indications données par Rudolf Steiner concernant le développement ésotérique de l’élève et se fonde totalement sur les principes épistémologiques de sa philosophie, dans laquelle l’essence de la connaissance humaine est dévoilée en tant que telle. Elle consiste dans l’union de la perception avec le concept qui lui correspond, opérée par le penser, une activité du Je, qui est donnée par l’expérience. Dans le cours de l’apprentissage ésotérique, l’homme développe en soi des organes de perception spirituelle, par lesquels s’élargissent ses perceptions au-delà des limites de l’expérience des sens. À partir d’une combinaison conforme à l’entendement et aux conclusions logiques, le penser se hausse à une contemplation directe de l’idée et commence ensuite à s’ouvrir, au sein d’un domaine qui s’élargit toujours plus, aux concepts qui peuvent appréhender l’essence de ce qui est spirituellement contemplé. Même si la perception et le penser se modifient qualitativement, le caractère cognitif lui-même ne subit aucune modification. Le centre du processus cognitif demeure toujours le Je conscient de soi, dans lequel les perceptions — qu’elles soient sensibles ou suprasensibles — parviennent à former une unité avec les concepts correspondant à leur essence respective.

La connaissance objective se fonde donc dans le monde spirituel sur la capacité de connaissance, qui fut élaborée par l’homme dans le monde physique. C’est pourquoi il est compréhensible aussi que les exigences posées au penser et à l’état de santé général de l’âme de l’être humain qui veut emprunter ce cheminement anthroposophique, soient si élevées. Et ces exigences doivent être satisfaites avant de commencer les exercices ésotériques qui mènent à la formation des organes de perception du suprasensible. Devient évident, ici aussi, combien est fausse la position de ces gens-là qui croient que, sans la faculté d’un penser logique, conséquent et conforme à la réalité en vue d’une connaissance objective dans le monde physique, mais avec seulement l’appui de n’importe quelle autre disposition d’âme et d’esprit, l’on puisse mener un travail de recherche sérieux et autonome de science spirituelle. La formation pratique du penser, qui est édifiée sur la réalité, est tout particulièrement [importante] pour ceux-là qui se trouvent sur le terrain anthroposophique ... (18.1.1909, GA 108) — souligne avec insistance Rudolf Steiner pour cette raison.

Le chemin d’apprentissage anthroposophique est dès le premier pas édifié de manière telle que l’être qui veut s’y engager, peut acquérir des connaissances authentique et objectives sur le monde spirituel. L’expérience occulte en tant que telle, n’est pas un but en soi sur ce chemin d’apprentissage, et la satisfaction de leur curiosité et le penchant de certaines personnalités à des expériences mystiques et des états de conscience irréguliers n’appartiennent pas au cercle des tâches de l’anthroposophie.

Les tâches de la science de l’esprit se trouvent en connexion avec la connaissance objective du monde spirituel, et l’expérience suprasensible est simplement l’une des conditions préalables pour la connaissance. La question de savoir de quelle manière cette expérience est acquise est d’une extrême importance sous ce rapport.

Par conséquent, une étude approfondie, la compréhension et la stricte observation de la méthode de connaissance anthroposophique sont la tâche prioritaire (ce n’est pas une question de goût personnel), la condition fondamentale pour que l’anthroposophie puisse réaliser sa mission dans le monde. Sa méthode fut élaborée à fond par Rudolf Steiner en exacte correspondance avec sa mission. Dans l’anthroposophie, le processus cognitif devient lui-même un Mystère, qui a une signification pour l’humain en général ; Par lui, la voie est aplanie vers une évolution ascendante de l’ensemble de la civilisation humaine, et cette voie doit être correctement tracée et on doit veiller au respect des lois qui gouvernent l’évolution du monde et de l’homme.

L’étude des contenus de science de l’esprit et des fondements de la faculté de connaissance propre à la conscience de l’homme ordinaire est le point de départ du cheminement anthroposophique et le premier degré de la pratique ésotérique. Les connaissances acquises par le penser, qui précèdent l’expérience suprasensible, des entités et de l’ensemble des lois du monde spirituel est une condition préalable absolument nécessaire en vue d’une entrée adéquate, et sans danger pour l’homme, dans ce monde, tandis que des erreurs commises sur le cheminement d’évolution occulte, dont les causes sont des connaissances insuffisantes ou fausses, peuvent entraîner derrière elles les plus graves conséquences dans la destinée, et cela non seulement en rapport avec l’état de santé de l’âme humaine dans son incarnation actuelle, mais aussi pour l’ensemble de sa destinée future. C’est pourquoi il est particulièrement important d’éviter toute fausse connaissance anthroposophique. Tout un chacun, qui revendique au sein du mouvement anthroposophique le rang d’un investigateur indépendant dans le domaine de l’esprit et qui communique à d’autres la connaissance spirituelle acquise par lui, doit tout d’abord exactement rendre compte de la méthode d’investigation spirituelle qui a été employée par lui.

Tout ne doit pas rester non-prouvé en matière de contenu de la science de l’esprit, comme pour toute autre science ; le travail d’investigation spirituelle doit, pour être reconnu tant sur le plan de la méthode qu’aussi sur celui du contenu, correspondre à certaines exigences. Ainsi ne doivent se présenter ni des contradictions internes, ni celles en rapport avec les communications de Rudolf Steiner, ou bien en rapport avec des faits incontestables généralement reconnus dans le monde extérieur ; le seul respect de cette exigence limiterait considérablement la quantité débordante de « littérature anthroposophique secondaire », ce par quoi les têtes seraient moins surchargées de toutes ces représentations les plus erronées et dépourvues de contenu. Une telle instance de vérification ne serait en aucun cas une restriction imposée à la liberté individuelle, comme cela n’est pas le cas non plus pour l’activité des comités d’évaluation et de publication scientifiques. L’objectif de telles institutions est de protéger le domaine scientifique qui leur est familier des fausses conceptions, déformations, d’emplois abusifs, de substitutions et de préserver les assemblées scientifiques correspondantes de l’activité des dilettantes et des charlatans.

Enfin, on doit reconnaître le caractère douteux du fait que dans la Société anthroposophique, dans laquelle on ne s’efforce pas seulement de réaliser des choses pratiques, mais où l’on s’efforce aussi à la véracité dans le domaine spirituel, la question de la crédulité à l’égard de divers « trésors spirituels » n’a été à peine posée à la vérité jusqu’à aujourd’hui ! Lorsque dans la presse scientifique une affirmation fausse ou bien non prouvée est avancée, cela donne lieu au déclenchement d’un débat scientifique, en vue d’aboutir à une clarification définitive de l’état des choses, même si ensuite, un travail de recherche supplémentaire doit être produit. La chose se présente différemment dans les médias anthroposophiques. On peut y écrire ce que l’on veut, si l’on ne blesse aucun intérêt et si l’on utilise la terminologie usuelle. Toute tentative d’une critique de telles choses imprimées est condamnée au nom d’une éthique mal comprise ; en effet, la tolérance à l’égard de l’être humain est confondue avec la tolérance à l’égard des ses aberrations, et ce qui concerne l’amour du prochain : elle revient en réalité à entretenir des relations « diplomatiques » avec le prochain, à l’occasion de quoi on se place dans l’indifférence en face de sa destinée spirituelle.

Cet état des choses, selon nous, n’est en aucun cas la seule conséquence d’une absence de responsabilité — celle-ci est de second ordre —, mais bien plus la conséquence d’un matérialisme enraciné profondément dans l’inconscient, à l’occasion de quoi les relations humaines momentanées sont ressenties comme quelque chose d’absolument réel, alors que l’action des puissances adverses, qui se trouvent derrière chaque mensonge, n’est pas prise en compte, dans le meilleur des cas on en fait fi en en bricolant des théories abstraites sur lesquelles on peut discuter intelligemment, mais qui sont aussitôt oubliées, dès qu’on plonge dans la réalité de la vie. Un faux résultat d’investigation dans le monde spirituel est un être vivant. Il est là, présent, et on doit d’abord le combattre avant de devoir l’éliminer (22.10.1915, GA 254).

Des bandes chatoyantes d’entités de cette sorte menacent de submerger le mouvement anthroposophique, si les contenus des ouvrages et des conférences des anthroposophes actifs aujourd’hui continuent d’être acceptés sans critique ; la science de l’esprit risque d’être étouffée par des chimères, des opinions personnelles, des expériences subjectives et d’autres contenus de conscience et de sous-conscience, qui n’ont pas été travaillés, de ses « adeptes » actuels, et de ce fait de perdre son caractère scientifique, ce qui a nettement paru au grand jour en 1997, au « Congrès de Pâques » de Berlin.

Ces hommes qui, consciemment ou inconsciemment, ressentent l’aspiration ardente à un maître spirituel infaillible, qui ne sont pas assez renforcés dans leur Je et qui n’ont pas le courage de se tenir sur leurs propres jambes, ceux-là qui attendent l’occasion pour charger les fortes épaules de quelqu’un d’autre de la responsabilité de leur propre évolution — tous ceux-là créent une atmosphère de dévotion et de croyance aveugle, qui entoure ces personnalités de la Société anthroposophique, lesquelles s’y entendent à faire parler d’elles et à prendre les meilleurs places à la tribune.

La meilleure preuve que ces reproches à l’adresse de la Société snthroposophique ne sont pas des paroles vides de sens, sera apportée par le contenu de cet ouvrage. Nous y avons traité d’un seul et unique exemple, mais qui est suffisamment expressif et significatif, pour justifier ce qui a été avancé ci-dessus et pour appeler les membres de la Société anthroposophique à réfléchir sérieusement sur le problème : veulent-ils s’occuper de l’anthroposophie de Rudolf Steiner, ou bien la décision a-t-elle déjà mûri en eux de s’occuper de n’importe quel autre contenu ? Si ceci est le cas, alors la Société doit être intitulée autrement, et les portraits accrochés aux murs de ses espaces de réunion, doivent être changés. Les membres veulent-ils cependant rester fidèles à l’anthroposophie et à prendre ses tâches au sérieux, alors il serait grand temps de renoncer aux préjugés pseudo-moralistes, à la passivité spirituelle et à l’influençabilité, tout comme à la susceptibilité de l’âme, et de poser les questions sérieuses : que signifie la vérité, du point de vue de la science de l’esprit et comment l’acquérir, la développer, la préserver pour nous et les générations à venir, car actuellement a lieu une infiltration extrêmement énergique dirigée contre elle.

Dans le présent ouvrage, nous avons entrepris une digression critique minimale (une plus importante eût exigé de trop nombreuses années de travail et il en eût résulté un long rayonnage d’ouvrages épais) dans le monde idéel de Prokofieff, un homme, dont les créations littéraires sont devenues une sorte de classiques d’anthroposophie, dont les conférences attirent d’innombrables auditeurs dans le monde, dont la considération est si élevée dans certains milieux, que maintes personnes reconnaissent en lui le « gourou » et jugent comme sacrilège toute critique à son égard ; son activité détermine finalement aussi, et cela dans une mesure significative, le destin de l’anthroposophie en Russie.

Nous allons chercher à comprendre quelles méthodes il utilise dans sa recherche, quelle genre de logique anime ses conceptions et dans quelle mesure elles correspondent aux faits connus ; nous nous abstiendrons le plus possible d’estimations personnelles et nous tenterons de comparer ce qui nous est proposé en tant que contenu de science spirituelle, à ce qui nous est connu des communications de Rudolf Steiner. Dans notre étude, nous faisons uniquement usage de la faculté de logique habituelle, de l’attribut d’une saine et humaine force de jugement. La justification et l’appui de notre point de vue, nous les trouvons dans les paroles suivantes de Rudolf Steiner : Le sain entendement humain, qui ne se laisse pas induire en erreur par les idées naturelles ou sociales d’aujourd’hui, peut décider de lui-même s’il règne un trait de vérité dans ce que quiconque exprime devant lui. N’importe qui parle des mondes spirituels : on ne doit que tout reprendre en bloc, la manière dont cela est dit, le sérieux dans lequel les choses sont interprétées, la logique qui est développée et ainsi de suite, alors on pourra se faire un jugement là-dessus, quant à savoir si l’information qui est apportée du monde spirituel, est du charlatanisme, ou bien si elle a du fond. Cela chacun peut en décider...( 14.12.1919, GA 194).

Nous souhaitons que le travail qui suit puisse servir à inciter le lecteur à sa propre activité intérieure, à une recherche autonome de la vérité et à la vigilance de ses pensées et de sa conscience pour une continuation et un renforcement du sentiment de vérité; que se travail contribue aussi à tracer un cheminement juste et droit pour ôter la fausse autorité de son socle. Et nous caressons l’espoir d’en arriver à une compréhension authentique et une collaboration productive avec ces hommes qui recherchent, à l’Ouest comme à l’Est, des possibilités d’apporter une contribution saine et progressive à l’évolution.

Irina Gordienko

(source : http://www.lochmann-verlag.com/ Irina %20 Vorwort .pdf)

(Traduction de l’allemand: Daniel Kmiécik)

(*) Préface de l’ouvrage : Sergei Prokofieff : Myth and Reality par Irina Gordienko, Lochmann Verlag, Basel .

Traduction anglaise disponible : UK distribution: The Wellspring Bookshop, London.

Irina Yurievna Gordienko est née à Moscou en 1964, elle étudia la biologie, la mécanique et les mathématiques à l’Université d’État de Moscou. Après avoir terminé avec succès ses études, elle publia un série d’articles sur la théorie des ensembles et la typologie générale dans des publications spécialisées en Russie et à l’étranger. Sa connaissance considérable de l’anthroposophie alliée à sa formation académique la poussée à entreprendre cette étude de l’oeuvre de Prokofieff, ce qui la conduisit à des résultats surprenants. Irina Gordienko est décédée tragiquement en 1999 lors d’un accident de la route. (nde)

http://www3.mistral.co.uk/wellspringbooks/sergeip.htm


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