Rudolf Steiner (1899)
Avec Spinoza (1632-1677), on ne progresse sur la voie devant mener à
la conquête d'une représentation du Je, mais au contraire, on
recule. Car Spinoza n'a aucun pressentiment de la position exceptionnelle
du Je humain. Pour lui, le cours des événements du monde s'épuise
dans un système de nécessités naturelles, de la même
manière que, pour les philosophes chrétiens, il s'épuisait
dans un système de volontés d'actions divines. Ici comme pour
ce temps-là, le Je humain n'est qu'un élément de ce
système. Pour les Chrétiens, l'homme est dans la main de Dieu;
pour Spinoza, à la merci des événements naturels du
monde. Chez Spinoza, le Dieu-Christ reçoit un autre caractère.
Ce philosophe, qui a grandi dans l'épanouissement des idées
des sciences naturelles des Lumières, ne peut reconnaître un
Dieu qui dirige le monde de manière arbitraire, mais seulement une
entité primordiale qui existe, parce que son existence est une nécessité
par elle-même, et qui dirige donc l'évolution du monde selon
des lois immuables, émanant de sa propre essence absolument nécessaire.
Que l'homme ait tiré de lui-même le contenu imagé d'après
lequel il se représente cette nécessité, Spinoza n'en
a aucune conscience. Sur cette base, l'idéal moral de Spinoza prend
aussi un caractère impersonnel et non individuel. Selon ses présuppositions,
il ne peut pas effectivement voir dans le perfectionnement du Je un idéal
visant au renforcement des forces spirituelles proprement humaines. Il considère
cet idéal comme relevant de l'imprégnation du Je par un contenu
universel divin, par les connaissances les plus élevés acquises
sur un Dieu objectif.
Le chemin, dans lequel Descartes s'était engagé: progresser
du Je vers la connaissance du monde, est désormais poursuivi par les
philosophes des Temps modernes. La méthode chrétienne-théologique,
qui n'avait aucune confiance dans la capacité du Je humain, en tant
qu'organe de connaissance, s'en trouvait pour le moins dépassée.
Une chose fut reconnue et acquise, c'est que le Je devait lui-même
découvrir l'essence la plus haute. Mais progresser de là vers
l'autre point, jusqu'au discernement révélant que le contenu
reposant dans le Je, est aussi l'essence la plus élevée qui
existe, la route restait encore longue, à dir
D'esprit moins profond que Descartes, les philosophes anglais Locke (1632-1704)
et Hume (1711-1776) s'en allèrent explorer la voix ouverte par le
Je humain, pour parvenir à une explication sur lui-même et sur
l'univers. Tous deux manquaient avant toute chose d'un regard sain et libre
sur l'intériorité humaine. Pour cette raison, ils ne purent
se faire aucune idée sur la grande différence qui existe entre
la connaissance des choses extérieures et celle du Je. Tout ce qu'ils
disent se réfère seulement à l'acquisition de connaissances
extérieures. Locke omet complètement le fait que l'être
humain, en tirant au clair et en expliquant les objets extérieurs,
répand sur eux une lumière qui s'échappe de sa propre
intériorité. Il croit donc que toutes les connaissances proviennent
de l'expérience. Mais qu'est-ce que l'expérience? Galilée
voit une lampe d'église en oscillation. Elle l'amène à
découvrir la loi d'oscillation du pendule. Il a fait l'expérience
de deux choses: premièrement, de phénomènes extérieurs
par le truchement de ses sens. Deuxièmement, il a tiré de lui-même
la représentation d'une loi
Nous voyons en George Berkeley
(1684- 1753) un homme, chez qui l'essence créatrice du Je est parvenue
à la pleine conscience. Il avait une représentation nette de
l'activité propre au Je, lors de la réalisation et de l'établissement
de toute connaissance. Quand je vois un objet, se disait-il, je suis donc
actif. J'en crée pour moi la perception. Que l'objet d'une perception
restât toujours au-delà de ma conscience, il n'existerait plus
pour moi, si je n'en ranimais pas constamment l'existence morte, par mon
activité. Et ce n'est que mon activité revivifiante que je
perçois, et non, ce qui précède objectivement ma perception
en tant qu'objet mort. Quelle que soit la direction vers laquelle je regarde
dans ma sphère de conscience, partout je me vois en activité,
en création. Dans la pensée de Berkeley, le Je acquiert une
vie universelle. Que sais-je de l'existence d'une chose, si je ne me la représente
pas? Pour Berkeley, le monde consiste en esprits créateurs qui le
façonnent en le tirant d'eux-mêmes. Mais sur le plan de la connaissance,
l'ancien préjugé réapparaît chez lui. Il laisse
bien le Je créer son monde, mais il ne lui donne pas, en même
temps, la capacité de le faire à partir de lui-même.
Il doit donc encore rester victime de la représentation divine. Chez
lui aussi, le principe créateur dans le Je, c'est Dieu.
Mais ce philosophe nous
révèle une autre chose. Celui qui se plonge réellement
dans l'essence du Je créateur, n'en ressort pas en débouchant
sur une essence plus extérieure; à moins de procéder
de manière violente! Et Berkeley progresse violemment. Sans aucune
nécessité contraignante, il ramène l'activité
créatrice du Je à Dieu. Des philosophes antérieurs avaient
effectivement vidé le Je de tout contenu, pour ensuite aller un chercher
un auprès de leur Dieu. Berkeley ne fait pas cela (siècle des
lumières oblige, N.D.T.). C'est la raison pour laquelle il n'est capable
de rien d'autre que de placer un esprit particulier à côté
de l'esprit créateur, qui au fond lui est pleinement équivalent,
c'est-à-dire parfaitement superflu.
Cela est encore plus frappant chez le philosophe allemand Leibnitz (1646-1716).
Il avait, lui aussi, connaissance de l'activité créatrice du
Je. Il embrassait nettement d'un coup d'oeil, l'étendue de cette activité
et voyait toute sa compacité interne, reposant sur elle-même.
Le Je devint pour lui un monde en soi, une monade. Et tout ce qui possède
une existence, ne peut l'avoir que par le fait qu'il y a dans cette existence
un contenu fermé. Seules les monades, c'est-à-dire des essences,
en elles-mêmes, tirent leur existence de leur propre création.
Des mondes séparés pour et en eux-mêmes qui ne sont renvoyés
à rien en dehors d'eux-mêmes. Ce sont donc des univers qui existent,
et non un seul univers. Chaque homme est un monde à part, une monade
en soi. Si maintenant, ces mondes s'accordent néanmoins entre eux
et savent donc quelque chose les uns des autres, en étant capables
de penser le contenu de leur savoir, cela ne peut provenir que du fait de
l'existence d'une harmonie préétablie. Le monde est justement
ainsi fait qu'une monade crée d'elle-même ce qui correspond
à l'activité d'une autre. Pour la cause instaurant cette harmonie,
Leibnitz a naturellement besoin, à nouveau, de ce bon vieux Dieu.
Il s'est aperçu que le Je est actif, créateur, dans son intériorité
et qu'il se confère lui-même son contenu; mais qu'il place aussi
lui-même ce contenu en connexion avec le contenu universel, voilà
ce qui lui est resté parfaitement dissimulé. De ce fait, il
ne s'est aucunement libéré de la représentation de Dieu.
Des deux exigences, reposant dans la sentence de Goethe: "Que je prenne
connaissance de ma relation à moi-même et au monde, et j'appelle
cela la vérité", il n'a vu que la première.
Cette évolution de la pensée occidentale révèle
une empreinte toute particulière. Le meilleur dont l'être humain
puisse prendre connaissance, il doit le puiser en lui-même. Il exerce
effectivement la connaissance de soi. Mais il recule de frayeur devant l'idée
de reconnaître comme telle cette auto-création. Il se sent trop
faible pour porter le monde. C'est pourquoi il en reporte le fardeau sur
un autre. Et les objectifs qu'il se fixe lui-même, perdraient de leur
importance, pour lui, s'il s'avouait franchement leur origine; c'est pourquoi
il les grève de forces qu'il croit devoir accueillir de l'extérieur.
L'être humain fait donc bien l'apologie de son enfant, sans vouloir
en admettre la paternité.
En dépit des courants contraires, la connaissance humaine de soi
a constamment progressé. Au moment où elle commençait
à devenir vraiment critique à l'égard de toute croyance
dans l'au-delà, elle tomba sur Kant (1724-1804). La pénétration
de la nature de la connaissance humaine avait ébranlé la force
de conviction de tous les arguments qui peuvent être inventés
pour appuyer une croyance comme celle-là. On avait peu à peu
acquis une idée sur ce qu'étaient les connaissances réelles
Des reproches naturels contre ces développements de Kant assaillent
déjà celui dont l'esprit ou le jugement est resté libre.
La différence de principe entre les faits isolés (contenus
de sensations) et le mode de mise en connexion de ces faits n'existe pas,
relativement à la connaissance, de la façon dont Kant l'accepte:
même si l'un s'offre à nous de l'extérieur, tandis que
l'autre provient de notre intériorité, ces deux élément
Ce qui importait tant à Kant, ce qui lui tenait le plus à
coeur, et dirigeait bien plus ses idées qu'une observation non préconçue
des réalités, c'était la sauvegarde de la doctrine se
rapportant à l'au-delà. Or tout l'acquis de savoir accumulé
sur une longue période pour soutenir cette doctrine était pourri.
Kant croyait désormais avoir montré qu'il ne revenait surtout
pas aux arguments de connaissance de venir en fournir la preuve puisque la
connaissance est quant à elle renvoyée à l'expérience
et qu'on ne peut pas faire l'expérience des "choses" de
la croyance en l'au-delà. Kant pensait avoir ainsi dégagé
un domaine sur lequel la connaissance ne venait plus l'entraver de manière
fâcheuse, lorsqu'il y édifiait sa croyance dans l'au-delà.
Et il exigeait qu'on crût aux choses de l'au-delà afin d'y aller
chercher des appuis pour la vie morale. D'un domaine, d'où ne nous
vient pourtant aucun savoir, retentit donc à nos oreilles le despotisme
de l'impératif catégorique qui exige de nous que nous fassions
obligatoirement le bien. Et pour édifier notre domaine moral, nous
avons justement besoin de ce sur quoi le savoir ne peut rien nous dire. Kant
croyait ainsi avoir atteint ce qu'il voulait: "Je devais supprimer la
connaissance et le savoir, pour faire place à la foi." (On aurait
dû le
Le grand philosophe de l'évolution de la pensée occidentale,
qui d'une manière directe cherche à partir d'une connaissance
de la conscience autonome humaine, c'est Johannes Gottlieb Fichte (1762-1814).
Il est important pour lui de se rapprocher de cette connaissance avec un
esprit absolument dépourvu de préjugé. Il a une conscience
claire et aiguë du fait que, nulle part dans le monde, on ne peut découvrir
une essence de laquelle on pourrait faire dériver le Je. Il ne peut
donc être dérivé que de lui-même. En aucun lieu,
on découvre une force d'où émanerait l'existence du
Je. Tout ce dont le Je a besoin, il ne peut l'acquérir que de lui-même.
Par l'observation de soi, il n'acquiert pas simplement des informations sur
sa propre nature; il est dans la situation de s'attribuer son essence et
de se poser lui-même existant, par un acte absolu sans préalable.
"Le Je se pose lui-même et il est tel, qu'il a la vertu de se
poser simplement par lui-même. Il est en même temps celui qui
agit et le produit de son acte; l'agissant et ce qui est produit par l'activité.
L'action et l'acte sont une seule et même chose; et c'est pourquoi
le "Je suis" est l'expression d'un acte réel, une réalité
accomplie. Sans ce laisser du tout déconcerté par le fait que
d'autres philosophes antérieurs avaient transposé cette essence
à l'extérieur de la nature humaine, une essence qu'il décrit
quant à lui de cette manière, Fichte considère le Je
d'une manière ingénue. C'est la raison pour laquelle, selon
lui et conformément à la nature même du Je, celui-ci
devient l'entité la plus élevée. "L'entité,
dont l'existence (la nature) consiste simplement à se poser lui-même
en existant, c'est le Je, en tant que sujet absolu. Tel qu'il se pose, il
est, et tel qu'il est, il se pose: et le Je est, par conséquent, tout
simplement nécessaire au Je. Ce qu'il n'est pas pour lui, n'est pas
lui... On peut bien déjà entendre soulever la question: Qu'étais-je
donc avant de parvenir à la conscience de moi? La réponse naturelle
à cette question c'est: je n'étais pas du tout; car je n'étais
pas Je... Se poser soi-même et être, sont deux opérations
pleinement identiques pour le Je. C'est ainsi que la pleine clarté,
l'évidence lumineuse sur la nature propre du Je, l'éclaircissement
sans réserve de l'entité personnelle humaine apparaît
ainsi au commencement de l'activité du penser humain. En conséquence,
c'est à partir de ce point que l'être humain doit partir à
la conquête cognitive du monde. La seconde des exigences de Goethe
mentionnées plus haut: la connaissance de ma relation au monde, se
rattache ainsi désormais à la première: la connaissance
du rapport que le Je entretient avec lui-même. C'est de ces deux relations
que parle cette philosophie fondée sur la connaissance de soi. Et
non de l'évolution dérivée de l'univers à partir
d'une entité originelle. On peut maintenant se poser la question:
L'être humain doit-il placer son essence propre à la place de
cette entité originelle, dans laquelle il transfère l'origine
de l'univers? L'être humain peut-il ainsi donc absolument se placer
lui-même à l'origine de l'univers? À l'encontre de cela,
on doit répondre que cette interrogation sur l'origine de l'univers
provient d'une sphère (d'évolution, N.D.T.) inférieure.
Au cours des événements qui nous sont donnés de la réalité
même, nous recherchons les causes qui les ont provoqués; et
de ses causes, nous remontons à d'autres causes, qui leur ont donné
naissance à leur tour et ainsi de suite. Nous réalisons donc
une extension du concept de causalité et nous recherchons donc une
cause première à la naissance de l'univers entier. Et c'est
bien de cette manière que le concept d'une entité primordiale,
absolument nécessaire, vient se fondre avec l'idée d'une causalité
universelle. Pourtant, tout cela n'est que simple construction conceptuelle.
Lorsque l'être humain se met à édifier ce genre de constructions,
elles n'ont aucunement besoin d'avoir une justification. Le concept de dragon
volant n'en a pas non plus! Fichte part du Je en tant qu'entité primordiale
et il parvient, en exerçant un esprit ou un jugement resté
libre, aux idées qui décrivent la relation de cette entité
primordiale au reste du monde, mais sans avoir recours aux concept de cause
à effet. En partant du Je, Fichte tente désormais d'acquérir
les idées lui permettant de concevoir le reste du monde. Celui qui
ne veut pas se tromper sur la nature de ce qu'on peut désigner comme
savoir cognitif ou connaissance, ne peut pas faire autrement. "Tout
ce que l'être humain peut dire sur la nature des choses est emprunté
à son vécu intérieur. L'homme ne saisit jamais à
quel point il est anthropomorphe" (Goethe). L'anthropomorphisme se trouve
à la base de l'explication du moindre des phénomènes,
par exemple celui du heurt entre deux corps. Le jugement: un corps en heurte
un autre, c'est déjà de l'anthropomorphisme. Car, si on veut
aller au-delà de ce que les sens disent du phénomène,
on doit transposer sur lui l'expérience que nous faisons, nous, lorsque
notre corps en heurte un autre et qu'il le met en mouvement dans le monde
extérieur. Nous transférons notre vécu du choc sur l'événement
du monde extérieur; et nous parlons donc aussi de heurt ou de choc,
lorsque nous voyons une boule mise en mouvement sous l'effet du heurt d'une
autre boule. Car nous ne pouvons observer que le mouvement des deux boules;
le choc, lui, nous le rajoutons par le penser, en l'intégrant au sens
d'un événement que nous avons nous-mêmes vécu.
Toutes les explications physiques sont de l'anthropomorphisme, de l'humanisation
ou une transposition de la nature humaine dans la nature (actuellement cette
tendance est tellement prononcée dans l'explication des phénomènes
vivants, en particulier au sein de la cellule, que les chercheurs n'en sont
même plus conscients la plupart du temps. N.D.T.). On ne doit pourtant
pas en conclure, comme on l'infère si souvent, que ces explications
n'ont aucune signification objective pour les choses. Une partie du contenu
objectif, se trouvant dans les choses, se révèle précisément
à nous lorsque nous l'éclairons par la lumière, dont
nous apercevons bien la présence dans notre propre intériorité.
Celui qui, dans l'esprit
de Fichte, pose le Je totalement sur lui-même, ne peut trouver également
les sources de l'agir morale qu'uniquement dans ce Je. Le Je ne peut pas
trouver un accord avec une autre essence, sinon qu'avec lui-même. Il
ne se laisse pas prescrire son sort, mais se donne lui-même sa vocation.
Agis selon le principe d'après lequel tu peux considérer ton
agissement comme le plus digne qui soit. On devrait donc exprimer quelque
peu de cette façon le principe le plus élevé de la doctrine
morale de Fichte. « Le caractère essentiel du Je, par lequel
il se distingue par rapport à tout ce qui lui est extérieur,
consiste dans une tendance à une réalisation autonome pour
l'amour de la réalisation de soi; et cette tendance dont il s'agit,
c'est justement ce dont il est question quand on pense le Je, en lui et pour
lui, sans aucun rapport quelconque avec quelque chose qui est en dehors de
lui. Un acte se trouve donc à un degré d'autant plus élevé,
sur l'échelle de l'estime moral qu'on peut avoir pour cet acte, qu'il
émane le plus nettement de la réalisation et de la libre disposition
de soi.
Dans la suite de
Par contre l'apport philosophique de Schiller s'avère lui important
pour cette progression. Si Fichte a formulé l'autonomie du Je s'édifiant
sur elle-même comme une vérité philosophique générale,
Schiller, lui, eut plutôt à se préoccuper de la question:
comment le Je individualisé, l'individualité humaine particulière,
pouvait vivre en elle de la meilleure façon possible. - Kant a expressément
exigé la répression du plaisir comme préalable à
l'action moral. Ce n'est pas ce qui lui apporte de la satisfaction que l'être
humain doit réaliser, mais ce qu'exige de lui l'impératif catégorique.
Selon Kant, une action est d'autant plus morale que sa réalisation
s'accompagne de la répression de tout sentiment de plaisir, dans le
simple respect de la stricte prescription morale. Pour Schiller, quelque
chose semble venir ainsi jeter un discrédit sur la dignité
humaine dans cette exigence. Dans sa revendication au plaisir, l'être
humain est-il réellement aussi vulgaire qu'il doive d'abord étouffer
sa nature vile, s'il veut être vertueux? Schiller blâme cette
dépréciation de l'être humain dans son épigramme:
« Volontiers, je rends
service aux amis,
Hélas, pourtant le
fais-je avec propension,
Ainsi cela me ronge-t-il
souvent le coeur,
Car en cela, je ne suis pas vertueux. »
Non, dit Schiller, les instincts
humains sont capables d'un ennoblissement tel qu'on ressente du plaisir à
faire le bien. Chez l'être humain d'âme noble, le strict devoir
se transforme en libre vouloir. Plus l'homme s'élève sur l'échelle
morale, et plus il agit moralement par plaisir, comparé à celui
qui doit d'abord se faire violence afin d'obéir à l'impératif
catégorique.
Schiller a exposé
en détail son point de vue dans ses «
Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme
». L'idée d'une individualité pure se présente
à son esprit, qui peut sereinement renoncer à ses instincts
égoïstes, parce que ceux-ci veulent lui faire réaliser
ce que ne peut accomplir qu'une personnalité qui n'est ni libre, ni
noble, lorsqu'elle réprime ses propres exigences. L'être humain,
comme l'expose Schiller, peut ne pas être libre selon deux tendances:
premièrement, lorsqu'il n'est capable que de suivre ses instincts
inférieurs et aveugles. Alors, il agit par nécessité.
Ses instincts le motivent et le contraignent; il n'est pas libre. Deuxièmement,
il agit aussi d'une manière non libre en ne suivant que sa raison.
Car la raison établit les principes d'action selon des règles
logiques. Un homme qui ne fait simplement que suivre la raison, n'agit pas
librement, car il se soumet à une nécessité logique.
Ne peut agir librement à partir de sa propre initiative que celui
qui unit sa personnalité si intimement avec la raison, qu'elle en
devient une seconde nature en lui, au point de lui faire accomplir avec plaisir
ce qu'un autre être, moins élevé au plan moral, ne peut
réaliser que dans la plus extrême aliénation de soi et
sous la plus forte contrainte.
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